Ré-enseigner la langue au lycée : le défi des nouveaux programmes

Si les nouveaux programmes de français au lycée pour les classes de seconde et de première se caractérisent par différents traits distinctifs dont la revalorisation de l’histoire littéraire, ils se singularisent notamment par rapport à ceux en cours jusqu’à juin 2019, par la place qu’ils accordent à l’étude de la langue.

La prise en compte d’un état de fait

Si l’on pose la question aux élèves de lycée du temps d’apprentissage accordé à l’étude de la langue (grammaire, orthographe, conjugaison), la réponse sera au mieux « très peu » avec sans doute, tout de même une nuance concernant le vocabulaire, plus impliqué dans l’analyse des textes. Cette appréciation des élèves pourra être relativisée en fonction des établissements. Il n’en demeure pas moins vrai que, comme le rappelle la « présentation générale » de l’étude de la langue dans les nouveaux programmes, « la littérature constitue le cœur de l’enseignement du français au lycée ». D’ailleurs, dans les programmes en cours, les objets d’étude de littérature précèdent la présentation de l’objet « étude de la langue ».
En somme, ce serait comme si, une fois assurée une forme de socle commun de connaissances et de compétences linguistiques au collège, le lycée n’aurait plus qu’à se concentrer sur la chose littéraire. De ce point de vue, la phrase introductive des nouveaux programmes tend à amorcer sinon une révolution au moins un bouleversement potentiel des pratiques : « Le travail sur la langue doit y retrouver une place fondamentale ».

Professeur de français / professeur de lettres :
une distinction sans fondement

Si l’on interroge les professeurs stagiaires, on constate une forte présomption dans leurs représentations du métier. Au collège, on est pleinement « prof de français », ce qui implique d’investir totalement le champ de l’étude de la langue à la différence du lycée où le professeur de littérature est supposé se focaliser au premier chef sur les œuvres littéraires. On déduira par conséquent des textes publiés au Bulletin officiel que les temps ont changé et que, définitivement, les professeurs devront aussi développer les compétences linguistiques de leurs élèves en seconde et en première, y compris sur le plan orthographique et pas simplement dans des séances d’accompagnement personnalisé.
D’un certain point de vue, la scission traditionnelle entre approche linguistique au collège et approche stylistique au lycée semble battue en brèche. Cela est d’autant plus net dans le texte de référence que l’étude de la langue bénéficie d’objets d’étude précis, comme pour ce qui concerne la grammaire, « les accords dans le groupe nominal et entre le sujet et le verbe » (classe de seconde) ou encore, pour la classe de première, « l’expression de la négation ».
En ce sens, le propos développé relève clairement d’une prescription accompagnée d’un cahier des charges. Or, indépendamment des difficultés inhérentes à la mise en place de tels apprentissages sur lesquels nous reviendrons, il convient d’admettre qu’il était grand temps de regarder la réalité en face. Les compétences linguistiques des élèves de seconde restent très incertaines tant sur le plan du repérage des constituants de la phrase que de la maîtrise des règles orthographiques de base.

L’appropriation grammaticale par la manipulation

Quand ils énoncent des éléments de « mise en œuvre » de l’étude de la langue, les programmes reprennent à leur compte les grands principes de la linguistique transformationnelle. En effet, ils mettent en perspective la nécessité de favoriser les « exercices de manipulation syntaxique et morphologique » impliquant des tâches de « commutation », de « déplacement », d’« adjonction », de « pronominalisation » ou encore de « passage à la voix passive ». En ce sens, il s’agit de ne plus craindre d’entrer dans la compréhension d’un texte littéraire par sa manipulation. Ce qui peut ne pas aller de soi pour certains professeurs de lettres convaincus du caractère sacré du texte.
Pourtant, cela relève d’une pratique réellement productive. Supprimer des adjectifs qualificatifs et observer à la relecture quelles différences de sens ou de tonalité cela introduit par rapport à l’énoncé de départ a tendance à rendre plus concret le questionnement des élèves. Et surtout, comme y insiste le document de cadrage programmatique, cette pratique, pour ainsi dire ritualisée, aura comme incidence de justifier une bonne catégorisation des constituants de la phrase.
Il s’agit par conséquent de systématiser des « moments de grammaire », en ayant toujours en tête le relatif flou dans l’appréhension syntaxique des énoncés proposés aux élèves. Par là même, la revalorisation de l’étude de la langue semble en lien avec la mise en valeur d’un enseignement explicite. Au lieu de faire comme si les élèves avaient acquis des connaissances linguistiques stables à l’entrée au lycée, on devra chercher à mettre à plat tout ce qui n’est pas totalement maîtrisé. Ce qui pourra passer par une reprise ponctuelle de formulations orales erronées comme « Le personnage voulait lui révéler comment (sic) il était content de le voir » ou « il lui a parlé : genre (sic) avec du mépris ».

L’étude (systématique) de la langue :
un objectif raisonnable ?

Si, sur le principe, la remise au premier plan de l’étude de la langue au lycée a tout lieu d’être louée, il apparaît néanmoins nécessaire d’émettre quelques réserves quant aux possibilités réelles de sa mise en place. En effet, trois paramètres doivent être pris en compte : le nombre d’heures allouées aux séances de français, le volume des classes de lycée (qui oscille de trente-cinq à souvent plus de quarante élèves) et la très grande hétérogénéité des classes. Très pragmatiquement, si l’on ritualise un « moment de grammaire », cela signifie que la séance dédiée à l’explication d’un texte ne tiendra plus en 45 minutes de temps réel d’apprentissage mais au mieux en 35 minutes en accordant 10 minutes à l’étude de la langue.
L’objectif ministériel n’apparaît donc « tenable » qu’en modifiant radicalement les façons d’enseigner. Aussi, le principe de la classe inversée semble-t-il devoir être élargi à l’ensemble des classes. Ce qui suppose par exemple de donner à l’avance une leçon de grammaire synthétique qui sera reprise par des activités voire des exercices en classe. En clair, il faut être lucide sur ce qu’il est possible de faire en classe et ce qui relève de vœux pieux.
En effet, les programmes de littérature demeurent toujours aussi denses et justifient naturellement un temps d’apprentissage conséquent. De ce point de vue, la jonction entre étude de la langue et commentaire des textes demeurera la condition sine qua non d’une appropriation raisonnable des textes programmatiques. Pour le dire autrement, les professeurs ne pourront pas tout faire en classe, même en incluant les temps d’accompagnement personnalisé.
On voit bien ici l’écart entre un principe posé dans l’absolu et ce même principe confronté à la réalité. Il s’agit en conséquence de revenir à l’idée que la ritualisation de l’étude de la langue pour être rendue opérationnelle doit passer par des moments d’apprentissage hors temps scolaire. Or, ce postulat n’a de chance d’être mis en œuvre que si les professeurs des classes de troisième et de seconde collaborent et se dotent d’objectifs méthodologiques communs.

Antony Soron, ÉSPÉ Sorbonne Université

Voir sur ce site :
Le nouveau programme de français en seconde et en première : continuité ou rupture ? par Jacques Vassevière.
Les nouveaux programmes de français au lycée, par Pascal Caglar.
BO spécial n°1 du 22 janvier 2019.
Les programmes au format pdf.

Antony Soron
Antony Soron

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