« Seuls les enfants savent lire », de Michel Zink. L’amour des livres, « un amour d’enfance »

« Seuls les enfants savent lire », de Michel Zink« L’amour des livres est un amour d’enfance », c’est fort de cette certitude que Michel Zink, s’est livré avec bonheur à une entreprise autobiographique qui se donne pour objet d’interroger ses lectures précoces. Seuls les enfants savent lire que les éditions des Belles Lettres viennent de rééditer est un livre original dans lequel l’auteur, académicien, médiéviste émérite, fondateur de la collection « Lettres gothiques » au Livre de poche, revient avec émotion sur ses premières lectures.

« La règle que je me fixe, écrit-il, en rassemblant ces souvenirs, est de ne pas relire les livres dont je parle, puisque je cherche, non à en donner un aperçu complet et objectif, mais à retrouver la trace qu’ils ont laissé dans ma mémoire. »

L’entreprise séduit tout lecteur au long cours et l’on ne peut s’empêcher de s’interroger soi-même : Qu’aurais-je moi-même sélectionné si je m’étais lancé dans  la même entreprise ?

L’apprentissage de la lecture

Et la première constatation qui s’impose est que la lecture est sans doute affaire de génération. Gaston Zink évoque d’abord ses manuels : ne font-ils pas précisément référence pour les lecteurs d’une génération ? L’enfant qui apprend à lire au début des années cinquante comprend la dimension didactique des manuels qu’on lui fournit. Il s’amuse du style « gourmé » ou « empesé » des textes du manuel, tout en admettant sa pertinence dans le contexte policé de la classe.
Si les manuels de Pérochon, vénérable inspecteur d’académie, réclament l’indulgence du jeune lecteur, il n’en va pas de même pour Le Voyage d’Edgar d’Édouard Peisson (le  grand romancier de la mer de l’entre-deux-guerres), dans lequel le futur académicien sait reconnaître la patte d’un véritable écrivain. Car l’apprentissage de la lecture est aussi une éducation à l’esthétique. De Mark Twain à Henri Bosco en passant par Colette Viviers, Serge Dalens, Henri Pourrat, Michel Zink cartographie le paysage éditorial des années d’après-guerre, ressuscitant ses héros, ses ambiguïtés aussi.

« Une forme de compréhension aiguë, directe, spontanée… »

Mais c’est surtout le jeune lecteur que Michel Zink cherche à retrouver. Philippe Lejeune a démontré dans ses dernières recherches que l’autobiographie était avant tout un discours de justification. C’est bien en ce sens que l’ouvrage de Michel Zink est pleinement autobiographie car c’est avant tout le jeune lecteur qu’il a été qu’il cherche à retrouver et célébrer.

« Il est une forme de compréhension aiguë, directe, spontanée et comme inconsciente qui est propre à l’enfance et qui disparaît avec elle. »

Cet enfant lecteur pleinement immergé dans sa lecture est très certainement à l’origine de bien des vocations intellectuelles. Michel Zink retrouve d’ailleurs dans ses souvenirs les origines de sa vocation de médiéviste, il parvient à la situer précisément dans la lecture des contes de Grimm que son père lui faisait à voix haute. La poésie du texte que savait ressusciter l’intonation paternelle, les formulettes chantantes ont inscrit chez notre futur académicien le goût des textes populaire s et naïfs qu’il devait retrouver dans les pastourelles médiévales, objet de sa thèse. « Je suis un médiéviste romantique », affirme-t-il malicieusement. Ce romantisme si décrié de ses collègues n’est-il pas précisément cette part d’enfance qui persiste dans le lecteur nostalgique ?

Défendre l’enfance et trouver sens

Et c’est toujours le parti de cet enfant que Michel Zink choisit de défendre :

« Quand vous avez lu un livre dans votre enfance, les phrases qui vous restent à l’esprit, même inadéquates, ont une force unique. »

C’est pour cette raison qu’il défend les traductions imparfaites de Trois hommes et un bateau ou d’Huckleberry Finn. C’est par fidélité à cet enfant lecteur qu’il choisit de ne pas condamner la morale étroite de la comtesse de Ségur ou des ouvrages de Colette Viviers.
L’enfant lecteur n’est pas dupe : s’il ne sait pas tout, il comprend tout, il ressent le racisme de Huck qui transparait dans certaines situations, éprouve un malaise diffus quand le prince Éric de Serge Dalens admire la perfection des jeunesses hitlériennes. Il n’est certes pas facile de le retrouver cet enfant lecteur. Lorsque Michel Zink s’interroge sur son aptitude, enfant, à saisir l’ironie de Mark Twain, il fait ressortir toute la difficulté du travail de la mémoire :

« M’était-elle [l’ironie] sensible à cette époque ? Probablement pas. Tout de même un peu. Il est si difficile de séparer les strates de lecture d’un livre lu pendant des années. »

Seuls les enfants savent lire est une plongée fantastique dans l’expérience intime de la lecture, un voyage qui donne envie à tout lecteur d’entreprendre le même périple. Il ne s’agit pas de retrouver l’enfant lecteur par coquetterie ou par nostalgie. C’est en définitive avec une qualité d’être qu’il s’agit de renouer, ce que dit merveilleusement la conclusion :

« Après tout, peut-être sommes-nous parfois capables, comme nous y sommes invités, de devenir, même vieux, “pareils à un de ces petits” et de recevoir comme eux la révélation de ce qui est “caché aux sages et aux habiles”. »

La référence évangélique est sans doute l’un des indices majeurs de ce texte qui loue l’enfance non par démagogie mais par volonté de donner sens à une existence qui s’est vouée à la lecture.

Stéphane Labbe

• Michel Zink, « Seuls les enfants savent lire » , Les Belles Lettres, 2019, 162 p.
 

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