« So long, my son », de Wang Xiaoshuai

So long, my son, de Wang Xiaoshuai, a été fort justement remarqué lors de la dernière édition du Festival de Berlin en février dernier.
Et ses deux principaux comédiens dûment récompensés – Ours d’argent de la meilleure actrice pour Yong Mei et du meilleur acteur pour Wang Jingchun – pour leur prestation dans le douzième long-métrage du réalisateur chinois.

Politique de l’enfant unique

Pékin, début des années 1980. Début de la politique de l’enfant unique… Yaojun (Wang Jingchun) et son épouse Liyun (Yong Mei), ouvriers dans une usine sidérurgique, sont les heureux parents d’un petit garçon, Xing. Avec son copain Hao, celui-ci va souvent jouer près d’une digue. Or, un jour, c’est le drame. Poussé par Hao, Xing, qui ne sait pas nager, se noie, plongeant ses parents dans un chagrin d’autant plus noir que sa mère est devenue stérile à la suite d’un avortement forcé quelques années plus tôt…
Wang Xiaoshuai est, avec Jia Zhangke (Les Éternels, 2018), Wang Chao (Fantasia, 2015) et Wang Bing (Les Âmes mortes, 2018), l’un des plus fins connaisseurs de l’âme chinoise. Il la scrute, l’ausculte, la filme depuis The Days, son magnifique premier long-métrage en 1993, en s’intéressant notamment aux conséquences directes des grands plans politiques de son pays sur la vie des individus. Son dernier opus, Red amnesia (2014), et troisième de ses films sur la révolution culturelle (après Shanghai Dreams en 2004 et 11 fleurs en 2011), lui a valu les foudres de la censure.

« So long, my son », de Wang Xiaoshuai © Ad Vitam

Classicisme de bon aloi

Esthète formé à l’école de cinéma de Pékin, Xiaoshuai s’est progressivement départi de ce que son cinéma contenait d’académisme (Beijing Bicycle, 2001), sans rien renier de sa délicatesse ni de sa patiente attention à peindre les sentiments. Moins disert au cours de la dernière décennie (le cinéaste est passé par une âpre période de doutes), il signe aujourd’hui une œuvre d’une grande ampleur et d’une belle facture classique – au sens laudateur où la mise en scène, fondée sur le jeu solide des acteurs, est entièrement au service de la narration, étalée ici sur trois générations, des années 1980 à nos jours.
Avec beaucoup de mesure et un sens aigu de l’équilibre, le cinéaste s’est néanmoins tenu à distance de l’emphase qui boursoufle la plupart des fresques historiques. Aucune démonstration de force, ni de mouvements symphoniques destinés à répondre au cahier des charges d’un genre réputé grand public. Xiaoshuai a préféré la petite musique du quotidien, faisant du mélodrame familial le moteur de son récit.
Il a également fait le choix d’un montage alternant les époques, pratiquant les ellipses, les flash-backs et les changements de lieux. Ce n’est pas là un gadget dramaturgique ni une manière un peu facile de fuir l’esthétique classique du film ou la ligne par trop prévisible de son intrigue. En abandonnant la linéarité narrative, le réalisateur maintient ainsi la tension (et l’attention du spectateur) et joue de la violence des contrastes entre les différents âges du récit et des personnages.

« So long, my son », de Wang Xiaoshuai © Ad Vitam

Pensée unique et soumission

Le ressort mélodramatique de So long, my son s’appuie sur un rapport de forces (pris en charge par la mère de Hao et membre du parti) entre le groupe et l’intime, entre la société toute-puissante et l’individu. Ce dernier voyant sa singularité broyée, bafouée par la tyrannie du modèle planifié.
En retraçant la période politique de l’enfant unique (1979-2015), Xiaoshuai donne à voir une machine totalitaire à laquelle une population a globalement « accepté » de se soumettre. Stupéfiant récit, en effet, que celui-ci qui raconte que faire des enfants est dénoncé comme un crime (soumis à sanctions professionnelles et financières), et qu’avorter peut faire d’un couple des héros célébrés lors d’une cérémonie officielle.
Xiaoshuai dit avoir voulu faire son film à la suite de la première annonce en 2011 de l’abandon de la politique de planning familial de l’enfant unique par les autorités, mais également en réaction à l’absence de réactions de la société chinoise dans son ensemble.

« Maintenant qu’on peut de nouveau avoir plusieurs enfants, s’étonne-t-il,je me suis rendu compte que ça n’a pas donné lieu à beaucoup de débats, qu’il n’y a pas eu de libération de la parole. Ça m’a interpellé et je continue de réfléchir sur le pourquoi de ce silence. »

« So long, my son », de Wang Xiaoshuai © Ad Vitam

Critique du passé, et du présent

So long, my son tente un travail de mémoire et d’analyse critique que les autorités refusent encore d’accomplir en s’empressant de faire table rase du passé (les cités ouvrières détruites et remplacées par des quartiers flambant neufs, symboles de la nouvelle ligne économique et politique du pays). Sans ignorer le poids diffus du pouvoir et les effets de la propagande, Xiaoshuai s’interroge sur la résignation (la peur) de la population d’alors. Il questionne le conflit entre raison d’état et droit des libertés individuelles face à l’épineux problème de la surpopulation.
Son film fouille le passé, mais il sonde également le présent où un autre dogme semble avoir remplacé le précédent avec la même efficience dans les esprits convertis à l’économie de marché. Au point que chez les jeunes générations, désireuses d’enrichissement et d’épanouissement individuel, l’enfant au pluriel apparaît aujourd’hui comme une sorte de contre-modèle, frein à leur appétit de consommation.

Philippe Leclercq

Philippe Leclercq
Philippe Leclercq

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