Spécificité de l’enseignement du français dans les classes post-bac

L’enseignement du français après le bac est mal connu. Il occupe pourtant une place de choix dans les BTS et classes préparatoires, même scientifiques et commerciales, et participe à la formation intellectuelle des étudiants.

Par Pascal Caglar, professeur de lettres (académie de Paris)

Que devient l’enseignement du français après le bac ? BTS, prépas scientifiques, commerciales ou littéraires, la permanence du français dans nos préparations aux examens et concours dans des classes post-bac au lycée (hors université et établissements privés du supérieur) est une particularité de notre système éducatif. Cela ne manque ni de sens ni de mérite, et témoigne d’un attachement national à la culture générale humaniste et actuelle.

Nombreux sont les professeurs de français du secondaire qui ignorent ce que devient leur matière après le bac, ainsi que le rôle précieux qu’ils jouent dans la transition vers les études supérieures. Pour n’en rester qu’aux formations prises en charge par l’Éducation nationale, dont les programmes sont d’un bout à l’autre suivis par l’Inspection générale, on observe à la fois une certaine continuité dans les épreuves et les programmes, et une rupture. Celle-ci concerne l’encadrement pédagogique, les exercices, les activités, les compétences et les documents d’accompagnement didactique de toutes sortes qui brouillent la finalité de l’enseignement du français.

Les professeurs ont le choix des textes

Du côté des programmes, on note un élargissement des horizons dès les intitulés des disciplines : le français devient « Culture générale et expression » en BTS, « Culture générale » en prépa économique et commerciale, « Français-Philosophie » en prépa scientifique, et « Littérature française » en prépa littéraire. Ce qui n’était qu’une tendance dans le secondaire devient une volonté affichée dans le post-bac, à savoir mettre l’accent sur l’histoire des idées dans sa variété générique, réunir la philosophie, les lettres et la sociologie, littératures française et étrangère, œuvres d’aujourd’hui et d’hier, sujets classiques et sujets d’actualité. Dans ce cadre élargi où les thèmes sont transdisciplinaires, c’est une chance et une responsabilité pour les professeurs de décider seuls d’une grande partie des textes à faire lire et étudier.

Ainsi, pour l’année scolaire prochaine 2025-2026, le thème est « À table ! » en BTS (comme en 2024-2025), « Juger » en prépa économique et commerciale, « Expériences de la nature » en prépa scientifique, et « le roman » en prépa littéraire, où c’est un genre et une question, « l’œuvre, sa valeur, son auteur », qui succède à la poésie et d’autres questions de littérature générale.

Trois œuvres sont imposées en prépa scientifique : La connaissance de la vie, de Georges Canguilhem ; Vingt mille lieues sous les mers, de Jules Verne ; Le Mur invisible, de Marlen Haushofer. Une liste de propositions comptant plus de cinquante titres laisse carte blanche aux professeurs de BTS, le thème de prépa HEC n’impose aucune œuvre et repose sur l’investissement personnel des professeurs, et les programmes des écoles normales supérieures, même divisés en genres et thèmes, couvrent en réalité l’ensemble de l’histoire de la littérature et de la critique. Cette liberté laissée à l’étude des textes est tout au plus encadrée par les éditeurs spécialisés et leurs collections post-bac qui établissent des anthologies ou sélections d’œuvres commentées que chacun peut suivre ou pas.

Initiation à la vie de l’esprit

Les épreuves écrites restent la finalité de ces classes à examen ou concours, contribuent à unifier le travail des élèves et à ancrer dans leur mémoire leur thème de l’année et leurs œuvres marquantes. C’est ainsi qu’en BTS, l’épreuve de français (3 heures) propose deux à trois documents sur le thème de l’année et se divise en deux parties : questions et essai. Épreuve dans la continuité du lycée, l’accent est mis sur la compréhension textuelle et la rédaction argumentée.

En prépa scientifique, l’épreuve (4 heures) consiste, selon les écoles, en une dissertation à partir d’une citation ou d’un résumé (en deux cents mots) suivi d’une courte dissertation. En prépa économique et commerciale, deux épreuves sont proposées : un résumé (2 heures) ou une synthèse de textes (4 heures) selon les écoles, ainsi qu’une dissertation (4 heures) sur le thème de l’année. Les écoles normales supérieures de Paris ou de Lyon ont des épreuves de français dignes du Capes : une dissertation en 6 heures à partir d’une citation en relation avec l’une des grandes questions du programme de critique littéraire.

Quelles que soient ces classes post-bac, les exigences de leurs épreuves et de leur préparation sont un palier important dans la formation intellectuelle des jeunes étudiants, une véritable initiation à la vie de l’esprit. Dans ces classes de futurs techniciens, ingénieurs ou économistes, il est impossible d’intégrer les écoles ou BTS les mieux classés (Polytechnique, les Mines, HEC, l’Essec ou encore les BTS métiers de l’audiovisuel, management en hôtellerie-restauration, commerce international) sans avoir obtenu de bonnes notes en français-culture générale, à l’écrit comme à l’oral. Ces résultats sont souvent la satisfaction de nombreux professeurs de français post-bac qui, certes, n’enseignent peut-être pas les matières les plus fortes dans ces filières, mais restent reconnus et appréciés par leurs étudiants les plus complets.

Spécificité française

Cette place du français dans le post-bac est loin d’être négligeable quand on considère le nombre en augmentation constante d’élèves choisissant une formation en BTS ou en classe prépa. La rentrée de septembre 2024 a établi un record historique pour les prépas, avec plus de 86 000 inscrits (62 % en scientifique, 22 % en commerciale, 16 % en littéraire) et le nombre d’étudiants en BTS reste haut, autour de 260 000 inscrits. Preuve que l’enseignement supérieur, malgré la mauvaise image du collège et du lycée, continue à inspirer confiance lorsqu’il s’agit des formations post-bac de l’Éducation nationale.

Ce contraste entre une manifeste efficacité de l’enseignement du français dans l’après-baccalauréat et un relatif échec de ce même enseignement dans le secondaire pose un certain nombre de questions : pourquoi ça marche là et pas ici ? Les objectifs seraient-ils moins nets ici que là, les missions des professeurs seraient-elles plus ambiguës ici ? L’explication serait-elle plutôt du côté de la psychologie des élèves : plus de motivation, de maturité, de cohésion dans le post-bac ?

La question vaut bien qu’on la pose aux experts : « Messieurs les experts, vous avez quatre heures ».

P. C.

Ressources

À quoi sert la culture générale ? Entretien du site Studyrama avec Paul Mathias, ancien professeur de philosophie et directeur de programme au Collège international de philosophie, Inspecteur général de l’Éducation nationale, doyen du groupe Philosophie.

CPGE : les thèmes des programmes tournants pour 2025-2026, sur le site snes.edu


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