Territoires vivants de la République : d’un territoire à l’autre, le collège Vauban de Belfort

C’était un jeudi, le jeudi 10 avril 2014. Sous un soleil radieux et dans une ambiance à la fois festive et bucolique,nous célébrions la Liberté au collège Vauban de Belfort, situé en zone d’éducation prioritaire.
Point d’orgue du projet conduit tout au long de l’année scolaire 2013-2014, An 1 du projet intitulé « Place de la République », la journée avait débuté par la découverte des activités réalisées par les élèves sur le thème du premier principe de notre devise.

À l’école, plus encore qu’ailleurs,
la République est à la fois le but et le moyen

Par petits groupes, les élèves empruntaient leur « chemin de la Liberté », au sens propre puisque conformément à l’organisation choisie, ils n’étaient pas directement accompagnés par un adulte. De salle en salle, ils avaient pu apprécier la qualité des travaux réalisés par leurs camarades au sein des ateliers artistiques danse, théâtre ou architecture et patrimoine mais aussi au cours des séances d’enseignements ou d’accompagnement éducatif. La musique, les arts graphiques, la poésie, l’histoire ou encore la philosophie furent à l’honneur.
L’après-midi, la célébration de la Liberté, placée sous l’égide des élus et des autorités représentant les corps constitués,avait pris une tonalité plus solennelle. Après les discours officiels et les ultimes mises en valeur des productions d’élèves, l’ensemble des personnalités invitées, des personnels et les 450 élèves présents avaient participé à la plantation de l’arbre de la Liberté, chacun déposant une pelletée de terre. Le jeune et frêle tilleul de la Liberté, financé par les parents d’élèves, avait lentement pris terre et eau au premier des quatre points cardinaux de la future place de la République du collège Vauban : Liberté, Égalité, Fraternité, Laïcité.
Nous ignorions alors que neuf mois plus tard, le jeudi 8 janvier 2015 exactement, nous nous rassemblerions autour de ce même arbre symbole pour observer une minute de silence à la mémoire des dessinateurs, des journalistes et des autres victimes de l’attentat contre Charlie Hebdo. Dans l’air glacial de cette matinée, nos consciences affligées se voyaient soudain rappeler cette vérité dont nous nous pensions hors d’atteinte : la barbarie, portée par le fanatisme, peut rejaillir à tout moment parmi nous dès que les conditions de l’histoire le lui permettent.
Et cependant, malgré le chagrin et l’effroi qui nous étreignaient, nous entrevîmes comme une lueur d’espoir dans l’attitude exemplaire, empreinte de gravité et de dignité, dont l’ensemble des élèves fit preuve en cet instant d’émotion communément partagée. Elle témoignait avec la force de l’évidence de leur profonde compréhension des enjeux de ce qu’il venait d’advenir. Comment ne pas percevoir alors que le travail réalisé tout au long de l’année précédente avait porté ses fruits et comme préparé nos élèves à faire face à cette sinistre actualité ?
Nous comprîmes alors qu’à l’école, plus encore qu’ailleurs, la République est à la fois le but et le moyen.Nous avons donc reconduit notre démarche avec les principes suivants de notre devise : l’Égalité en 2014-2015, la Fraternité en 2015-2016 ; la Laïcité en 2016-2017. Puis, forte de ce premier constat d’efficacité et d’adhésion de tous, l’équipe pédagogique fit le choix d’initier un nouveau cycle en 2018.

Territoire de dignité

Le collège Vauban regroupe les élèves issus de dix écoles primaires : deux situées en zone d’éducation prioritaire, sept en village, dans la ceinture péri-urbaine de Belfort et une en centre-ville. La structure pédagogique de l’établissement renforce encore cette diversité puisqu’elle inclut au sein des classes générales une Section d’enseignement général et professionnel adaptée (SEGPA), une Unité pédagogique pour élève allophones arrivants (UPE2A), une Unité localisée pour l’inclusion scolaire, pour les troubles des fonctions cognitives ou mentales (ULIS TFC), une section bilangue anglais-allemand et une section internationale américaine. In fine, les élèves relèvent de conditions scolaires et sociales,d’origines et de cultures si diverses, qu’ils constituent  une forme de condensat de la diversité de la population française.
Parce que rien ne serait vrai en République si la justice venait à lui manquer, ici, plus qu’ailleurs, il nous était apparu tout autant nécessaire de s’engager à renforcer le lien unissant chaque élève à sa communauté éducative, qu’à affuter nos démarches pédagogique et éducative visant à répondre au mieux aux besoins et aux aspirations de chacun d’eux. La place de la République à l’école, n’est-elle pas d’abord celle en laquelle l’élève se reconnaît et se sent reconnu ?
Mais comment construire jour après jour cette République à l’école ? En articulant toutes nos politiques à cette fin. Multiplier et diversifier les approches a donné des résultats spectaculaires en termes de réussite des projets conduits et d’implication enthousiaste des élèves.
Aussi, toute notre énergie, notre intelligence professionnelle, furent vouées à la réduction de l’échec scolaire et à celle des écarts de performance entre les élèves issus des écoles situées en réseau d’éducation prioritaire et ceux issus des autres écoles du secteur. Éveiller et porter au plus haut l’ambition scolaire des élèves, exploiter toutes leurs potentialités, fut une exigence de chaque instant, envers soi-même comme envers les élèves et parfois leurs parents.
C’est, par exemple, convaincre Louis-Victor, maladivement introverti, de s’inscrire à l’atelier théâtre de Juliette Prieur et le voir s’épanouir sur scène puis, peu à peu, gagner en assurance au sein de sa classe et valider son passage en seconde générale. C’est encore voir Céline, Tugce, Oguzan ou Laura, tous élèves en grande difficulté, inscrits en section «5e tremplin» de Séverine Soria, professeur de lettres mettant en œuvre une pédagogie active et innovante, reprendre tellement goût au français et à la littérature qu’ils comblent leurs lacunes et redécouvre l’horizon de la réussite scolaire.

Territoire d’engagement :
parce que chaque élève compte

Au quotidien, cela revient à œuvrer sans relâche à la transmission du goût de l’effort et de l’amour du travail bien fait, à susciter l’expression des élèves, des personnels et à favoriser l’éclosion de leurs talents, dans leur diversité. Cela consiste aussi à leur prodiguer, sans répit, soutien, accompagnement, encouragements et à ne jamais oublier, surtout quand tout semble aller pour le mieux, que si comprendre produit souvent un plaisir, apprendre requiert toujours un effort.
C’est aussi assumer l’autonomie, c’est-à-dire user de toutes les latitudes, de toutes les possibilités, avec détermination et audace quand il s’agit d’innover, de se saisir de toutes les bonnes opportunités, de bousculer les habitudes, de résister quand il le faut, de convaincre les tutelles dont le soutien et l’accompagnement nous sont indispensables, de se former ou encore de visiter les marges des textes réglementaires pour tenter, expérimenter, explorer un territoire inconnu prometteur.
C’est enfin garantir les conditions du travail scolaire, le calme, l’écoute attentionnelle et la coopération positive en classe, le bien-être général et consacrer autant d’énergie et de temps que nécessaire à la résolution des inévitables, mais de moins en moins fréquents, incidents de vie en collectivité. Là aussi, tout est relié : l’intelligence et le confort des espaces  dévolus aux enseignements et à la vie scolaire, la beauté et la propreté des locaux auxquelles les élèves contribuent par leur respect des lieux mais aussi par la mise en valeur de leurs productions – combien de visiteurs restèrent stupéfaits par la beauté et la qualité des travaux réalisés par les élèves et dont se parent les murs du collège ? –, la vitalité des activités périscolaires souvent animées par les élèves pour les élèves, par exemple.
La République c’est, au quotidien, la recherche de la concorde et de la paix. « Nous sommes très fières d’avoir pu réaliser notre Marianne sur le mur de notre classe et ça nous tenait à cœur de lui donner toute sa dimension », clament  Louison, Manon et Pauline. « Savoir que les autres élèves peuvent l’admirer et comprendre notre message, c’est un grand honneur pour nous. »
Territoire d’espérance

Mais il me semble que ce qui fit surtout la force de notre action, ce fut l’application la plus large possible d’un principe de coopération entre les professeurs, les autres personnels, les élèves et leurs parents, avec les structures partenaires, les collectivités ou nos tutelles, car l’échec scolaire se nourrit surtout des espaces laissés vacants et muets entre tous les acteurs de l’école. Chacun apprend de l’autre.
Incidemment, nous avons mesuré à quel point la cohésion dont nous faisions preuve en toutes circonstances nous conférait un pouvoir d’action quasi irrépressible auprès des élèves. Aujourd’hui, plus que jamais, nous sommes unis face aux objectifs, unis quant à la définition des moyens de les atteindre et solidaires dans l’effort à réaliser, chacun prenant toute sa part, selon ses missions et ses talents propres.
À titre personnel, au-delà de la merveilleuse expérience professionnelle et humaine que les élèves et les personnels du collège Vauban m’ont permis de partager à leurs côtés, mes considérations sur les finalités de l’école, a fortiori dans la situation de crise aigüe, voire de péril, que notre pays traverse actuellement, ont fermement forgé la conviction suivante :
Le rôle de l’école et de ses acteurs ne peut plus se limiter à la seule transmission des savoirs, aussi essentielle soit-elle. Il lui revient aussi de transmettre à ses enfants les principes sur lesquels se fonde le projet républicain. Hier, comme aujourd’hui, l’unique matrice de la société de demain, c’est l’école.
Mais pour cela, auprès des élèves et de par l’action de chacun de ses personnels, l’école se doit d’incarner la République et ses valeurs. Elle ne peut donc se satisfaire de son niveau de performance actuel ni se résoudre à accepter que les déterminismes sociaux influent autant sur la réussite scolaire et l’intégration professionnelle de ses élèves ou étudiants.
Enfin, si la République est encore à l’état de projet et que, de par sa nature, il en sera toujours ainsi, affirmons-le et impliquons progressivement nos élèves, demain citoyens responsables, dans l’accomplissement de son perpétuel avenir.
Territoire de reconnaissance

Quand en 2012, nous avons imaginé le projet « Place de la République », de nombreux parents cherchaient à éviter l’établissement. De façon parfaitement injuste au regard de la qualité de l’engagement et de la créativité de son équipe, l’image du collège Vauban était si dégradée qu’il n’accueillait que 55 % de son effectif potentiel. C’est parfois un effet négatif de l’affichage RÉP.
Sept ans plus tard, les résultats dépassent toutes nos espérances. 450 élèves avaient fait la rentrée 2011 au collège Vauban, ils étaient plus de 700 à s’y inscrire en septembre 2018 et l’établissement ne parvient plus à accueillir toutes les demandes d’inscription tant l’espace manque désormais, malgré les perspectives d’agrandissement et le retrait en 2017 d’une école de la carte du secteur de recrutement.
Les autres indicateurs de pilotage progressèrent à l’avenant. La dimension collective de cette impensable victoire en est son caractère premier et elle fut portée par la remarquable et si attachante équipe du collège Vauban.
Ce projet nous a donné de vivre de nombreux moments mémorables, tel la remise du prix national Jean Zay par Mme la ministre de l’Éducation nationale en juin 2016. Une belle délégation du collège avait fait le chemin et c’est avec une émotion aussi neuve que poignante que j’entends encore, au cœur de la crypte du Panthéon, la voix si tendre d’Hélène Mouchard-Zay nous narrer la vie et l’œuvre de son père, quelques minutes avant cette cérémonie. La véritable histoire de la République, la rude, celle qui s’apparente au tragique combat qu’un être choisi pour d’autres de livrer sans réserves, en ces instants lumineux nous en avions alors intimement ressenti toute la grandeur. De quelle plus belle marque de reconnaissance aurions-nous pu rêver ?
Valoriser le mérite et les réussites, reconnaître l’engagement de tous et le travail accompli au travers de cérémonies associant les parents et nos nombreux partenaires ont constitué un rituel plébiscité par les élèves. Ces temps de rassemblement réguliers sont autant de balises qui forment comme une scansion soutenant la vitalité de la vie scolaire.
Alors, le temps de ces quelques parenthèses, il est utile de se rappeler le sens de notre action, de contempler ensemble l’horizon toujours lointain de notre projet et de mesurer tout ce qui nous rattache au bien public le plus précieux : la puissance émancipatrice de l’école au service d’une république en laquelle chacun trouve sa place et se reconnaît.

Jean-Jacques Fito,
Principal du collège Vauban de Belfort du 1er septembre 2011 au 30 août 2018

 
Voir sur ce site :
« Territoires vivants de la République. Ce que peut l’École : réussir au-delà des préjugés », par Alexandre Lafon.
L’École dans le Centenaire de la Première Guerre mondiale : des enseignants et des élèves engagés, par Alexandre Lafon.
Les élèves de CAP et Bac Pro du lycée Gustave-Eiffel, à Reims, acteurs du Centenaire, par Anne-Laure Hartmann.

Jean-Jacques Fito
Jean-Jacques Fito

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