Territoires vivants de la République
Raconter les enfants réfugiés en classe

Parce que les enfants ne sont pas épargnés par les violences du monde, comment ne pas les faire réfléchir à des parcours d’exil : pendant l’Occupation ou aujourd’hui, avec notamment deux réfugiées syriennes. Ils font preuve d’une grande humanité dans leur accueil. Par Clément Huguet, professeur d’histoire-géographie au collège Michel-Richard-Delalande à Athis-Mons (91)

Parce que les enfants ne sont pas épargnés par les violences du monde, comment ne pas les faire réfléchir à des parcours d’exil : pendant l’Occupation ou aujourd’hui, avec notamment deux réfugiées syriennes. Ils font preuve d’une grande humanité dans leur accueil.

Par Clément Huguet, professeur d’histoire-géographie
au collège Michel-Richard-Delalande à Athis-Mons (91)

À l’enseignement des questions relatives aux migrations et à l’exil sont liés d’importants enjeux civiques. Ils ont trait à la manière dont l’école peut participer à la maturation de la conscience citoyenne des élèves tout en favorisant l’émergence d’un socle commun basé sur le refus inconditionnel du rejet d’autrui et de sa négation, quelles que soient ses différences.

Ainsi, sur une planète qui voit, en ce premier quart de XXIe siècle, nombre de guerres et de conflits s’enraciner et s’inscrire dans le temps long, favorisant le développement de violences extrêmes orchestrées par des groupes ou des États, comment ne pas s’interroger sur la manière de parler à nos élèves de réfugiés et de solidarité, d’exilés et de fraternité ? Comment ne pas s’inquiéter en constatant qu’en France, comme ailleurs dans le monde, le sentiment d’appartenance à une humanité commune tend à s’affaiblir ? Comment ne pas se questionner avec les élèves en classe sur la manière de conduire une réflexion apaisée sur ces questions, alors même que certains discours, parfois abondamment relayés dans les médias, n’hésitent plus à se faire l’écho des pires théories racistes et complotistes ? Sans paralyser, ces interrogations doivent permettre d’imaginer de nouveaux modus operandi de transmission.

C’est dans ce cadre de réflexion que nous avons proposé à des élèves inscrits dans plusieurs classes de quatrième au collège Michel-Richard-Delalande, situé à Athis-Mons et classé en réseau d’éducation prioritaire (REP), de participer au prix de la Maison d’Izieu 2022. Le thème portait, pour l’année scolaire 2021-2022, sur les questions relatives au déracinement et à la reconstruction des enfants réfugiés, d’hier à aujourd’hui, et la production finale attendue devait prendre la forme d’une vidéo.

Raconter des histoires et des parcours migratoires

Dès le début de l’année scolaire, quatorze élèves volontaires se sont engagés dans ce projet et ont travaillé sur des histoires et des parcours d’enfants réfugiés à l’occasion d’une séance hebdomadaire qui se tenait à l’heure du déjeuner, sur leur temps libre.

Ils ont, durant plusieurs semaines, commencé par réaliser un travail d’enquête historique sur les parcours de plusieurs enfants passés par la Maison d’Izieu. Grâce, notamment, à Sabine et Miron Zlatin, ce lieu devenu un mémorial a permis d’accueillir et de protéger plus d’une centaine d’enfants de diverses origines, persécutés parce qu’ils étaient juifs, de mai 1943 à avril 1944.

Le 6 avril 1944, sur ordre de Klaus Barbie, la Gestapo de Lyon y a néanmoins organisé une rafle : les quarante-quatre enfants ainsi que les sept éducateurs présents ont été arrêtés puis déportés. Seule une adulte, Léa Feldblum, est revenue vivante de l’enfer des camps nazis.

Dans le cadre de leur enquête, l’attention des élèves s’est focalisée sur l’un des enfants, Georges Halpern, dit Georgy, dont ils ont cherché à retracer le parcours depuis Vienne (Autriche) où il est né en 1935, jusqu’à Izieu où il est arrivé en mai 1943. Ils se sont, pour cela, intéressés aux archives rassemblées et publiées par Serge Klarsfeld et se sont également attardés sur les nombreuses lettres que Georgy a échangées avec sa mère lorsqu’il était réfugié à Izieu.

L’analyse de son parcours et de son histoire a permis de mettre en avant les stratégies mises en place par les enfants d’Izieu pour tenter de se reconstruire après leur déracinement et la séparation avec leur famille. Les élèves se sont ainsi intéressés à sa vie, et ont cherché à restituer au mieux son itinéraire afin de ne pas le cataloguer uniquement comme une victime de la Shoah et « [lui] redonner une dignité car n’envisager que [sa] fin c’est prendre le point de vue des bourreaux[1] ».

À l’issue de cette enquête historique, les élèves ont souhaité raconter l’histoire de Georgy en écrivant un long poème qui retrace les grandes étapes de son parcours.

De Vienne ils sont partis.
Georgy devait quitter la ville où il avait grandi.
Il était démoli
Mais il devait faire place à sa nouvelle vie

Ils ont vu leurs droits bafoués
Et leur vie être mise en danger
Ainsi ils se sont réfugiés
En France, le pays des droits et de la liberté

Qui aurait su que leur destin allait être bouleversé
Que la guerre et la violence les arracheraient
À leur ancienne vie
Que le feu et le sang mettraient leur sourire au défi

Certains d’entre eux, dotés de multiples talents artistiques, ont également réalisé une série de dessins illustrant tout à la fois la vie de Georgy et l’histoire de la Maison d’Izieu. Cette approche à la lisière de la démarche historique, mêlant un ensemble de méthodes critiques et scientifiques à une narration, correspond à leur libre interprétation des évènements et témoigne d’une sensibilité qu’ils n’ont cessé d’exprimer tout au long du projet. Cela nous semblait d’autant plus légitime qu’écrire cette page d’histoire revenait à se confronter au silence, à l’absence, à la destruction des témoins, des archives et des preuves, à l’indicible qu’est la Shoah. C’était donc un moyen de se heurter à l’impossibilité d’obtenir des réponses et à la difficulté d’écrire.

Au cours de ce travail et à travers la découverte de l’engagement de ces « militants de la mémoire » que sont Serge et Beate Klarsfeld, les élèves ont exprimé un attachement viscéral aux valeurs de tolérance, de fraternité, de solidarité et de justice sur lesquelles repose la République. Ils les ont proclamées avec conviction et sincérité dans les poèmes qu’ils ont rédigés. Ce faisant, ils se sont inscrits à l’opposé des discours caricaturaux qui soupçonnent a priori les élèves des quartiers populaires de contester ces valeurs.

Une réflexion passé-présent

Parallèlement au travail d’enquête historique, les élèves se sont intéressés aux parcours d’enfants réfugiés qui, aujourd’hui encore, sont contraints à l’exil pour fuir des conflits. Nous n’avons pas cherché à établir de comparaisons hasardeuses entre le passé et le présent car l’analogie n’est pas forcément porteuse de sens. Nous avons plutôt tenter de faire naître une interrogation auprès de nos élèves sur les particularités de chacune de ces situations et sur la manière dont le passé peut éclairer le présent.

Il nous semblait important, pour la réalisation de cette partie du projet, que nos élèves puissent rencontrer des enfants réfugiés et échanger avec eux. Ainsi, nous avons sollicité Elisabeth Condamines, une bénévole engagée de longue date dans l’accueil et le suivi de familles réfugiées en région parisienne. Elle nous a mis en relation avec Avin et Hevin, deux jeunes filles réfugiées syriennes en France et scolarisées dans un collège situé non loin d’Athis-Mons. Elles ont accepté de raconter leur histoire et nous ont transmis des documents rapportés de Syrie : des bulletins de notes, des photos de classe et des notes écrites en arabe dans un carnet prenant des allures de journal intime. Nos élèves ont également produit une série de dessins permettant de raconter leur parcours et ils ont rédigé un poème à plusieurs mains.

De Damas ils ont fui
À Kameshli près de la Turquie
Survolant la barbarie
Ces allers-retours ont préservé leur vie

Détruite par les bombardements
Leur ville a été mise à feu et à sang
Leurs souvenirs de la vie d’avant
Dans leur mémoire restaient gravés profondément

Des souvenirs à moitié détruits
Du pays qu’ils aimaient tant, la Syrie
Dans le carnet d’Hevin
Ces souvenirs on les devine

Un temps d’accueil et d’échange a été organisé au collège en février 2022 avec Avin et Hevin. Nos élèves ont envisagé ce moment avec beaucoup de bienveillance, de respect et un sens prononcé de l’accueil. Ils avaient prévu des petits cadeaux qu’ils avaient pris soin de confectionner eux-mêmes et qu’ils ont offerts aux jeunes filles à leur arrivée au collège. Avec simplicité et considération, ils ont su les mettre à l’aise afin qu’elles ne se sentent pas simplement les invitées d’une demi-journée, mais qu’elles trouvent véritablement leur place dans le groupe. Ils ont par là-même démontré leurs qualités humaines.

À l’image du travail d’enquête historique conduit sur Georges Halpern, il nous semblait impératif d’aborder la question des enfants réfugiés par le prisme de l’approche individuelle. En effet, nous souhaitions leur faire prendre conscience que derrière les « hordes », les « foules » et le « déferlement migratoire » dont il est régulièrement question, il y a des êtres humains poussés à l’exil et dont on peut raconter l’histoire autrement. Raconter quelques-uns de ces destins nous a donc permis d’aborder avec les élèves la question de l’identité. En somme, nous avons faite nôtre la réflexion suivante : « Si toute vie est irremplaçable [et elle l’est], ce n’est pas exactement parce qu’elle est unique [même si elle l’est évidemment], c’est parce qu’elle est égale et devrait toujours être tenue pour telle[2]. »

La production de la vidéo

L’ensemble des productions réalisées tout au long du projet (poèmes, textes associés et dessins) a été rassemblé dans une vidéo entièrement imaginée par les élèves et produite avec l’aide de Michael Aymard, lui-même ancien élève du collège et avec lequel nous avions déjà travaillé dans le cadre du projet européen Convoi 77. La vidéo a été entièrement réalisée dans le collège, et le fond de la salle de classe a, pour l’occasion, été transformé en véritable studio d’enregistrement. Tout y était : caméra, trépied, micro, fond noir, projecteurs et drap permettant de réduire la résonance.

Ainsi, dans la première partie de la vidéo consacrée à Georges Halpern et à la Maison d’Izieu, les élèves apparaissent à l’écran, récitant le poème qu’ils ont écrit face à la caméra et devant un fond noir. Des textes associés, permettant d’éclairer le contexte historique, sont diffusés en voix off pendant que les dessins réalisés par les élèves apparaissent à l’écran.

Tous se sont prêtés à l’exercice avec sérieux et détermination, en dépit des difficultés majeures inhérentes à celui-ci : oublier la caméra tout en la fixant et réciter le texte avec conviction et fluidité. En la matière, la médiation engagée par Michael Aymard auprès des élèves, ses conseils et ses encouragements répétés ont constitué une aide précieuse et une source de motivation évidente pour eux.

La deuxième partie de la vidéo, consacrée à l’histoire d’Avin et Hevin, a été imaginée de manière différente afin de donner du rythme à la production finale. Les élèves se sont librement inspirés du voyage de la petite Amal[3], cette marionnette géante représentant une petite fille syrienne, qui a parcouru plus de huit mille kilomètres à travers l’Europe afin d’alerter les opinions publiques et les gouvernements sur la situation des enfants réfugiés.

Ainsi, ils ont décidé de fabriquer un ourson aux jambes et aux bras articulés afin de représenter Avin et Hevin et, par extension, tous les enfants réfugiés. Ils ont également dessiné des fonds sur de grandes feuilles afin que l’ourson puisse se déplacer devant des paysages différents. C’est à partir de cette mise en scène qu’un stop motion (petit film d’animation à partir de photos) a été réalisé afin d’intégrer la vidéo. Le poème rédigé par les élèves et consacré à l’histoire d’Avin et Hevin a été enregistré de manière à être diffusé en voix off lorsque les dessins et l’ourson apparaissent à l’écran.

Le prix de la Maison d’Izieu

Cette vidéo, dont le contenu et la forme ont été entièrement imaginés et créés par les élèves durant plusieurs mois, a remporté le prix de la Maison d’Izieu 2022 (catégorie collège) décerné par le jury interacadémique. Lorsqu’ils l’ont appris, les élèves étaient très fiers de voir leur travail primé et heureux de constater que la démarche qu’ils avaient engagée dès le début du projet avait été comprise.

C’était, pour eux, une consécration venant récompenser leur engagement. En effet, étaient-ils capables, collectivement, de donner le meilleur d’eux-mêmes pour remporter ce prix ? Cette question, ils ne l’ont jamais réellement formulée ainsi, bien que des doutes, souvent légitimes, aient parfois traversé le groupe. En réalité, conscients de leurs qualités individuelles et de la force émanant de la mutualisation des compétences à l’échelle du groupe, ils ont démontré une totale détermination et une volonté de dépassement, à rebours des discours qui enferment perpétuellement les élèves des quartiers populaires dans une assignation sociale et géographique dont l’aboutissement serait toujours le même : l’échec.

Le 24 mai 2022, ils ont tous été invités à participer à une cérémonie de remise des prix à la Maison d’Izieu, en compagnie des groupes d’élèves primés dans les autres catégories (primaire, enseignement professionnel et coup de cœur du public). Accompagnés d’Avin et Hevin, qui ont tout de suite accepté de se joindre à eux pour recevoir le prix, les élèves ont eu à cœur d’expliquer leur démarche et de dire leur fierté au cours d’une prise de parole remarquée et longuement applaudie.

Pour Kalaiarasi, une élève engagée dans ce projet, « entretenir la mémoire et faire vivre la fraternité, ce sont des moyens de rappeler que l’étude de l’histoire doit servir à éclairer le présent ».

Nermine-Inès, une autre élève du groupe, a, quant à elle, tenu à rappeler que « les enfants ne sont pas épargnés par les violences de masse qui continuent de secouer le monde ». Enfin, Titouan, qui était chargé de conclure, a choisi de présenter rapidement Avin et Hevin au public, avant de leur laisser la parole car c’était pour lui « la plus belle des conclusions ».

Cette expérience démontre la pertinence de la pédagogie de projet conduite avec les élèves des quartiers populaires au service de leur réussite et de leur épanouissement. Par ailleurs, elle permet aussi de rappeler la place qu’occupe l’école dans l’émergence d’un socle commun s’appuyant sur le refus inconditionnel de la négation d’autrui.

Enfin, en accompagnant les élèves dans une réflexion mêlant des allers-retours entre le passé et le présent, cette démarche, sans céder à la dangereuse facilité de l’analogie, prouve qu’il est encore possible de transmettre une histoire commune à l’école, d’écrire et de raconter un « nous », loin des idées trop largement répandues sur les concurrences mémorielles et victimaires qui seraient indépassables.

C. H.

Ressources

Lien vers la vidéo : https://youtu.be/6LAHeej_UeA

Retrouver le livre publié par Territoires vivants de la république, Parce que chaque élève compte, éditions de l’Atelier, L’École des lettres, 208 p., 16 euros.

Notes

[1] Ivan Jablonka, L’Histoire est une littérature contemporaine, manifeste pour les sciences sociales, Seuil, 2014, p. 365.
[2] Marielle Macé, Sidérer, considérer. Migrants en France, 2017, Verdier, 2017.
[3] https://www.walkwithamal.org/


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Clément Huguet
Clément Huguet