« Un écrivain au CDI » ou comment susciter ou entretenir le goût de lire

FADBEN - Un écrivain au CDIL’Association des enseignants documentalistes de La Réunion, membre de la FADBEN, a mis en place depuis plus de vingt ans une action qui a pour but de faire lire collégiens et lycéens et de leur faire rencontrer des auteurs.

Souvent différente de ce qui se pratique dans le cadre des programmes d’enseignement en français, cette action veut faire découvrir à nos élèves la littérature de jeunesse grâce à la lecture et à l’étude d’auteurs français contemporains, écrivains ou illustrateurs.

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Organisation de l’événement

Tous les ans, aux mois d’avril et mai, durant quinze jours, nous invitons dans notre île deux auteurs métropolitains et un auteur réunionnais. Avant cette rencontre, dans chaque établissement candidat, à l’initiative du professeur documentaliste, une classe étudie un ou plusieurs ouvrages de l’auteur invité. Cette activité est la plupart du temps l’occasion d’un travail de collaboration entre le professeur documentaliste et le professeur de lettres, mais, bien souvent, les professeurs d’histoire-géographie ou d’arts y sont associés, parfois même le professeur de langues (ce qui débouche sur un travail de traduction d’un passage du livre de l’auteur).

Les professeurs documentalistes se chargent de trouver le financement pour l’achat des livres : sur les crédits du CDI, sur ceux de lettres, le plus souvent. On peut également proposer aux élèves d’acheter leur propre livre, qu’ils demanderont ensuite à l’auteur de dédicacer mais, même si cet achat est souhaitable pour eux, il reste rare.

Durant les premier et deuxième trimestres, les classes travaillent de façon différente en fonction des équipes pédagogiques impliquées dans le projet. Les heures de cours consacrées à cette action – notamment en seconde – sont souvent celles de l’accompagnement personnalisé (AP) ou de l’enseignement d’exploration « Littérature & société ». Au collège, les élèves travaillent le plus souvent sur les heures de discipline, ainsi en français, histoire-géographie, arts plastiques.

À La Réunion, même si la vie culturelle est riche, nous sommes éloignés des principaux lieux et manifestations culturels. D’où la nécessité de faire venir des auteurs dans l’île. Notre association a donc établi des partenariats avec la Délégation académique à l’éducation artistique et à l’action culturelle (DAAC-Rectorat), la Direction des affaires culturelles de l’océan Indien (DAC OI), le Conseil régional, le Conseil départemental, la Maison des écrivains et de la littérature (MEL), certaines communes de l’île et deux librairies qui nous subventionnent.

Grâce à ces subventions, l’association prend à sa charge tous les frais de transport des deux invités, l’hébergement en demi-pension et le transport sur place, ainsi que la rémunération des auteurs. Le coût de cette action est donc élevé, et il est de plus en plus difficile de trouver les subventions en raison de la conjoncture.

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Salon du livre de jeunesse de La Réunion
L’ADBEN organise également tous les deux ans le Salon du livre de jeunesse de l’océan Indien

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Le point d’orgue : la rencontre avec l’auteur

C’est un moment fort que la rencontre avec l’invité : elle dure deux heures et se déroule le plus souvent au CDI. Ces rencontres sont des moments uniques et tout à fait nouveaux car, pour la première fois, les élèves ont l’occasion de dialoguer avec un auteur ; c’est aussi l’occasion de lui montrer le travail qui a été fait au cours des mois précédents : pièces de théâtre, interviews, productions d’écrits multiples et variés, lecture d’extraits d’ouvrages, traductions en créole, travaux d’imagination (réécriture de la fin, réécriture en fonction d’un autre point de vue), recherches sur l’auteur, les thèmes abordés dans son œuvre, et autres productions qui font l’objet d’expositions au CDI en direction de tous les élèves de l’établissement.

À la lecture, entre autres, de Baumes (Actes Sud, 2014), les élèves se sont rendu compte que le parfum était très présent dans l’œuvre de Valentine Goby, accueillie en 2015. Ils ont donc préparé un herbier et apporté des extraits frais, la plupart du temps : Valentine a été soumise à un test à l’aveugle (ou « blind test »). Elle devait identifier des essences locales : gingembre, cannelle, géranium, poivre frais, citronnelle, frangipane, menthe… et elle s’en est très bien sortie. Les élèves étaient ravis d’être en position d’acteurs et d’offrir leur production, même modeste.

Julien Blanc-Grasaccueilli en 2014, est un grand voyageur. L’un de ses textes, Touriste (Le Livre de poche, n° 32993), a inspiré la classe: une tente berbère a été reconstituée à l’entrée du CDI et, à la fin de la rencontre, tout le monde a dégusté un succulent thé à la menthe.

Carole Martinez a laissé un très bon souvenir de son passage dans l’île en 2013, comme l’atteste la collègue professeur documentaliste d’un lycée qui l’a accueillie :

« Carole Martinez s’est rapidement présentée, certains élèves ont ensuite exposé leur travail en amont de la rencontre. Les premières L avaient préparé un diaporama trilingue français-créole-espagnol sur “les batailles coqs”, qui occupent une place importante dans Le Cœur cousu (l’héroïne étant jouée – et perdue ! – par son mari au cours de l’une de ces batailles) et que l’on retrouve traditionnellement à La Réunion. Les secondes ont présenté trois belles affiches sur Le Cœur cousu (Gallimard, 2007), sur Du domaine des murmures (Gallimard, 2011) et sur l’auteure.

Nous avons ensuite pique-niqué dans les hauteurs de Saint-Paul, à Saint-Gilles-les-Hauts, dans les jardins du Musée historique de Villèle, installé dans l’ancienne maison de maître d’une grande plantation ayant appartenu successivement aux familles Desbassayns et Villèle. Ce fut un festin savoureux, les élèves comme les professeurs ayant eu à cœur de faire découvrir à Carole Martinez les spécialités locales. Nous avons pu visiter librement le jardin, l’hôpital des esclaves, la cuisine, la Chapelle Pointue.

Carole Martinez aurait pu visiter la maison des maîtres et les ruines de l’ancienne sucrerie, mais les élèves l’accaparaient tellement qu’elle a préféré profiter d’eux tout l’après-midi ! Ils ont chanté en créole pour elle, et ont terminé l’après-midi par une partie de loup garou géante au cours de laquelle Carole fut rapidement dévorée !

Cette rencontre a été exceptionnelle, Carole Martinez étant tout aussi sympathique que talentueuse, pédagogue qu’artiste, actrice qu’auteure, et quelle auteure !  »

Le retour écrit proposé par les élèves n’est pas moins élogieux :

« Lorsqu’elle est arrivée au CDI, elle nous a tout de suite intrigués par sa grandeur et son style vestimentaire. C’est le genre de personne sympa, dont on aperçoit rapidement le petit côté rigolo, qu’on ne risque pas d’oublier. »

« C’est assez extraordinaire de savoir que les portes de l’écriture sont ouvertes à tous… »

« Ce texte foisonnant [Le Cœur cousu] est beau, poétique, gonflé d’amour, de chair, de sang, de souffrance, de larmes et de rêves. Il est cousu à petits poings serrés, minutieux, qui se déploient dans de multiples détails colorés et forment une fresque étonnante d’originalité et d’humanité. »

« Beauté, richesse, une immense merveille » à propos Du domaine des murmures.

« Une artiste incroyable. »

« Ce fut une journée inoubliable, nous avons énormément apprécié cette rencontre et nous avons appris énormément sur le métier d’auteur. »

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ADBEN-LA REUNION

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Une action essentielle pour les élèves

Depuis 1991 qu’existe cette action, nous avons reçu des auteurs métropolitains formidables. Je ne pourrai pas tous les citer – que ceux qui ne le sont pas me pardonnent : Carole Martinez, Valentine Goby, Claire Gratias, Claire Mazard, Gudule, Janine Teisson, Annie Saumon… mais aussi Hubert Ben Kemoun, Didier Daeninckx, Julien Blanc-Gras, Michel Quint, Thierry Jonquet, Erik L’Homme, Pierre Bordage, Pierre Bottero, Christian Grenier, Xavier-Laurent Petit, Malika Ferdjoukh et tant d’autres. Parmi les auteurs réunionnais, citons Joëlle Ecormier, Olivier Giraud et Maryvette Balcou.

Chaque auteur assure une quinzaine de rencontres durant son séjour et consacre quelques heures aux dédicaces dans nos librairies partenaires. Nous avons aussi organisé des conférences débats et, plus récemment, un café littéraire auquel participe l’un des auteurs. Ce café littéraire, comme précédemment la conférence, a lieu un soir de semaine et il est ouvert au grand public.

Cette action est très riche et transversale car à la lecture s’ajoutent des activités de recherches, ce qui permet aux élèves de (re)découvrir le CDI et de se l’approprier, avec des compétences développées pour l’écriture, la restitution orale, la création artistique (pièces de théâtre, dessins…). La rencontre avec l’auteur est un moment très fort d’échanges et de découverte ; alors, souvent, les élèves n’hésitent pas à avouer qu’eux-mêmes écrivent. Il n’est pas rare qu’ils montrent à l’auteur ce qu’ils ont écrit.

Le travail pédagogique, de la présentation du projet aux élèves à leur sentiment recueilli suite à la rencontre, en passant par la lecture, la production et la rencontre, s’appuie ainsi sur des objectifs essentiels : développer le goût pour la lecture, rencontrer un auteur à travers son œuvre, exprimer ses avis et son sentiment.

La préparation de la rencontre, à travers le développement d’une production ou d’une action, permet d’établir des liens entre la lecture et l’humain, avec des échanges qui montrent que les élèves ont su, accompagnés, s’approprier l’œuvre des auteurs.

L’intérêt d’une telle action, outre le travail de lecture et d’écriture, réside dans le fait que nous proposons aux élèves de lire des ouvrages contemporains, dont les personnages, les époques, les thématiques leur parlent ; ainsi, ils ont une approche complémentaire de la littérature par rapport à celle qu’ils étudient en cours. Et, surtout, ils se rendent compte qu’un auteur est un être vivant, concret, qui passe de longs mois à écrire, quelqu’un de passionné par ce qu’il fait et qui transmet un peu de sa passion à son public lors de la rencontre.

Martine Le Maux, présidente de l’ADBEN La Réunion

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• Site de l’Association des enseignants documentalistes de La Réunion.

• Pour une reconnaissance des professeurs documentalistes : entretien avec Florian Reynaud, président de la FADBEN.

Tous les articles de « l’École des lettres » consacrés au CDI et au rôle du professeur documentaliste.

Martine Le Maux
Martine Le Maux

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