Un poète ukrainien, chantre de la liberté : Taras Chevtchenko

En soutien aux populations en proie aux menaces de la guerre, aux chars, aux bombardements, aux privations, à l’exil : cette étude du poème « Le Testament » de Taras Chevtchenko, grand poète ukrainien. « Au cœur des steppes infinies / De ma chère Ukraine. »

Par Pascal Caglar, professeur de lettres

En soutien aux populations en proie aux menaces de la guerre, aux chars, aux bombardements, aux privations, à l’exil : cette étude du poème « Le Testament » de Taras Chevtchenko, grand poète ukrainien. « Au cœur des steppes infinies / De ma chère Ukraine. »

Par Pascal Caglar, professeur de lettres

Face aux agressions armées ou à l’oppression, chaque époque, chaque pays, compte ses grandes voix qui chantent le rappel à la résistance et à la liberté. La France a Victor Hugo, l’Ukraine a Taras Chevtchenko (1814-1861).

Les deux hommes ont en commun d’être des monuments dans leur pays, mais aussi d’avoir concilié, à la même époque, le XIXe siècle, un idéal romantique de liberté absolue, avec une conscience politique sans faille nourrie d’humanisme socialiste.

Le XIXe est le siècle de l’insurrection des peuples, de l’aspiration à l’indépendance et de la redécouverte des racines nationales. Ce mouvement d’émancipation, en accord avec l’idée d’un progrès de l’Histoire, exalte toute l’Europe dite romantique. Et son symbole est anglais : Lord Byron, ce poète considérable, qui s’engage dans la guerre de libération des Grecs contre les Turcs et trouve la mort les armes à la main en 1824.

Parallèlement à Hugo brandissant ses Châtiments contre l’usurpateur Napoléon III et condamné à un exil de près de vingt ans, le poète ukrainien Taras Chevtchenko affirme tout au long de sa vie, commencé dans le servage, et de sa carrière poétique, commencé dans l’exaltation de l’héroïsme médiéval, son amour pour sa terre natale, l’Ukraine, et sa lutte contre l’oppresseur russe. Une opposition qui lui vaudra dix ans d’exil en mer Caspienne et d’emprisonnement entre 1847 et 1857.

Ainsi, au XIXe siècle déjà se manifestait une solidarité entre tous les hommes, tous les artistes européens épris d’émancipation des peuples, dans le respect de chaque histoire, et l’avènement pour tous d’une ère de liberté fraternelle.

Un rêve de libération pour l’Ukraine

Chevtchenko écrit ce poème, « Le Testament », alors qu’il n’est plus tout à fait jeune, trente et un ans. Son grand poème médiéval et patriotique, « Kobzar », lui a déjà assuré célébrité et estime. Son œuvre de peintre est également reconnue et recherchée. Cette maturité l’oriente alors vers plus d’engagement dans l’expression de son rêve de libération pour l’Ukraine.

S’il ne croit pas possible de voir de son vivant l’indépendance ukrainienne, il la devine, la prophétise, volonté de Dieu et des hommes, entre lesquels, lui, mort, établira le lien et la coopération. Car, si Dieu existe, et si les hommes sont hommes, alors les Russes seront chassés, et sa mort sera renaissance, refondation, « nouvelle famille », espère-t-il dans les derniers vers.

Composé de trois strophes, ce poème souligne cette espérance qui vaut bien de mourir (première strophe) pour connaître la nouvelle vie libre et fraternelle (troisième strophe). Entre les deux s’exprime l’arrachement à la terre natale, qui ne se pourra se faire qu’après avoir vu ses paysages aimés abreuvés du sang des ennemis. La troisième strophe a, en effet, d’étonnants accents de Marseillaise, d’un chant patriotique universel où les hommes se retrouvent membres d’une même famille, celle de la liberté dont le poète se veut le génie tutélaire.

Le Testament (1845)

Quand je mourrai, enterrez-moi
En dressant ma tombe
Au cœur des steppes infinies
De ma chère Ukraine.
Pour que je voie les champs immenses,
Le Dniepr et ses falaises
Et pour que je puisse entendre
Son grondement puissant.


Quand de l’Ukraine il portera
Jusqu’à la mer bleue
Le sang ennemi, alors
J’abandonnerai
Montagnes et prairies et m’envolerai
Vers Dieu pour prier.
Mais jusque-là,
Dieu m’est inconnu.


Enterrez-moi. Mais vous – Debout !
Brisez vos chaînes
Et abreuvez la Liberté
Avec le sang des ennemis.
Puis, dans la grande famille,
La famille libre et nouvelle,
N’oubliez pas de m’évoquer
À voix basse, tendrement.

L’Éducation nationale nous a habitués à réagir à l’actualité, invitant les enseignants non pas à rejouer les plateaux télé ou les sites de discussion, mais à approfondir les sujets qui s’offrent, à ouvrir des perspectives de réflexion dans un esprit d’agrandissement culturel.

Ainsi, manifester sa solidarité avec la résistance ukrainienne, c’est aussi avec des élèves retourner aux fondements de l’histoire moderne, aux croisements des romantismes européens et des luttes politiques du XIXe siècle, entendre ces mêmes voix, ces mêmes échos d’une plainte et d’une espérance qui retentissent à chaque atteinte à la liberté des peuples.

P.C.

Taras Chevtchenko, Kobzar, Éditions Bleu & Jaune, Paris, 2015.

Ressources pédagogiques

La directrice des Éditions Bleu & Jaune, Tatiana Sirotchouk, ukrainienne elle-même (d’où les couleurs bleu et jaune), justifie ainsi son parcours vers l’édition et le choix de Taras Chevtchenko comme auteur inaugural :

« J’ai appris la littérature ukrainienne avec et à travers l’œuvre de Taras Chevtchenko (1814-1861). Pour moi, l’ukrainien, c’est la langue de Chevtchenko : il était le premier à prouver que cette langue savait et pouvait émouvoir. Quand je lisais ses poèmes dans mon enfance, le monde devenait à mes yeux ‘‘ plus chargé de sens ’’… En 2014, profondément affectée par ce qui se passait en Ukraine, je me suis posée cette question : qu’est-ce que je peux faire ici en France, à mon niveau, avec mes moyens, pour l’Ukraine ? »

Pour aller plus loin

À propos de la guerre…
Articles et séquences proposés autour d’œuvres parues aux éditions l’école des loisirs :

À propos de la guerre en général

Pascal Caglar
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