« Une Iliade », de Denis O’Hare et Lisa Peterson

An Iliad
Denis O’Hare © Stéphane Frapier

Dans ce titre qui ne prétend pas présenter l’Iliade mais une Iliade, il y a peut-être de l’humilité mais il y a surtout de la profondeur, comme si l’Iliade était un nom générique valable pour toutes les guerres, pour tous les conflits, et que l’Iliade d’Homère n’était qu’une Iliade parmi tant d’autres, une dans une histoire sans fin de conflits et de morts, unissant dans une même chaîne de fureurs et de massacres Troie à Kaboul ou Tripoli en passant par Azincourt, Verdun ou Hiroshima.
Telle est la grande force de cette adaptation de l’lliade que de jeter habilement un pont entre tous les conflits, jouant non pas sur des anachronismes mais sur des parallèles – des échos soulignés par le passage de l’anglais au français – qui révèlent les invariants humains de toutes les guerres.
L’acteur est américain, le texte est en anglais, et l’histoire universelle. La superbe traduction du surtitrage en français, combiné au jeu impeccable de Denis O’Hare fait revivre l’Iliade comme peu de lectures peuvent nous pénétrer de ses beautés. Denis O’Hare reprend la place de l’aède, du poète inspiré, pour nous chanter les grandes heures de la colère d’Achille, depuis son origine, l’affront subi par la prise de sa captive par Agamemnon, jusqu’à la vengeance de la mort de son ami Patrocle et le deuil d’Hector par Priam et les Troyens.
Aucun épisode célèbre dans les mémoires formées à la lecture d’Homère ne manque à cette évocation, ni la liste des héros, ni la description du bouclier d’Achille, ni la pesée des âmes des héros par Jupiter, ni la dernière entrevue entre Andromaque et Hector, ni la délégation de Priam auprès d’Achille : rien ne manque à cette anthologie de fureur guerrière et de douleur humaine.
An Iliad
Denis O’Hare © Stéphane Frapier

Bien servi par les effets sonores, Denis O’Hare excelle à passer d’un registre à un autre, terrible pour évoquer les massacres cruels, sensible pour évoquer les moments émouvants, tantôt transporté par son sujet, tantôt accablé par sa matière, condamné à rappeler aux hommes la fatalité tragique des guerres, condamné à courir de théâtre en théâtre, sa valise à la main, dire l’horreur et l’héroïsme, comme jadis l’aède, vagabond de cour en cour.
Il y a plus de profondeur que de gravité dans ce spectacle où Denis O’Hare, seul en scène pendant près d’une heure quarante-cinq, propose bien plus qu’une méditation sur l’histoire : il propose du théâtre, il donne une représentation des principaux personnages de l’Iliade, insufflant une vie incroyable à chacun des héros qu’il joue, qu’il ressuscite d’un geste ou d’une posture, d’un timbre ou d’un éclat de voix, qu’il humanise d’une vérité psychologique atemporelle.
Capable de suspendre le récit d’Homère pour s’adresser en français au public, l’amuser mais aussi l’avertir d’une répétition éternelle de l’histoire, Denis O’Hare impressionne jusque dans cette litanie finale de toutes les guerres de l’histoire égrénées comme les noms de morts devant un mémorial. Le texte d’Homère est unique, mais des Iliades sont partout dans le monde, aujourd’hui plus encore qu’hier. La guerre, ses racines psychologiques, l’orgueil, la rivalité sont des structures anthropologiques.
C’est peu de dire que ce spectacle est à recommander à tous, connaisseurs d’Homère ou non, à commencer par les publics scolaires. Chose rare, il y a dans les réactions d’après spectacle, dans les regards échangés, quelque chose comme la reconnaissance d’une initiation, un secret partagé, une complicité de ceux qui ont vu l’Iliade de Denis O’Hare et Lisa Peterson. Qui sait si ce regard de connivence n’est pas quelque chose comme un remerciement à un acteur qui avoue lui-même son attachement à la « foundational literature », cette littérature fondamentale, fondatrice de la culture occidentale que l’école aussi a mission de préserver.

Pascal Caglar

• « Une Iliade », au théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin-D. Roosevelt, Paris 8e, jusqu’au 26 janvier.

Long entretien avec Denis O’Hare à retrouver sur le site Zone critique.

 

« L’Iliade » dans la collection « Classiques » de l’école des loisirs

Pascal Caglar
Pascal Caglar

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