Vaincre ou mourir : le film contre-révolutionnaire du Puy du Fou

Un documentaire de fiction, produit par le parc à thème créé par Philippe de Villiers, raconte la guerre de Vendée du point de vue des victimes. L’idée à peine masquée étant d’instruire le procès de la République au profit d’une mémoire victimaire fédéraliste, royaliste et catholique.
Par Alexandre Lafon, historien et professeur d’histoire au lycée

Le 25 janvier est sorti sur les écrans Vaincre ou mourir, un long métrage produit par Puy du Fou Films et Canal+. Réalisé par Vincent Mottez et Paul Mignot, ce film est directement inspiré du spectacle proposé au public par le parc à thème du Puy du Fou en Vendée, créé en 1978 par Philippe de Villiers, homme politique affilié à la droite souverainiste. Il raconte l’histoire de François Athanase Charette de La Contrie, général royaliste, chef du soulèvement vendéen durant la Révolution française, en le présentant comme un héros sacrifiant sa vie pour l’honneur et la liberté du peuple contre la Révolution.

Cela permet d’attirer l’attention sur les massacres vendéens et, par là même, d’instruire le procès contemporain de la République. Le septième art se fait donc ici vecteur idéologique de la contestation conservatrice. D’abord calibré comme un documentaire de fiction, ce qui est devenu un long métrage pose de multiples questions relayées depuis sa sortie par plusieurs quotidiens (Libération, L’Humanité, Le Monde), en particulier sur l’usage du cinéma comme vitrine politique et la manière dont l’histoire publique peut être dévoyée.

Un parti pris justifié par la parole historienne

Le film est présenté comme une œuvre « historique et épique », soit l’« épopée » de Charette, héros contre-révolutionnaire, chef charismatique de la révolte vendéenne à partir de 1793. Il s’appuie sur le succès du spectacle Le Dernier Panache qui, d’après le dossier de presse du film, a attiré douze millions de spectateurs au Puy du Fou depuis sa création. Il s’agit de mettre en lumière l’histoire du « brigand Charette » (ainsi dénommé par ses ennemis), inventeur de « la guérilla moderne au service d’une cause à contre-courant de son époque ». Puy du Fou Films se présente comme un « producteur atypique » qui a pour mission d’attirer un « nouveau public ». L’objectif reste identique à celui du parc : « Nous célébrons la grandeur française », qui s’épanche ici dans la résistance à l’oppression révolutionnaire.

Le film démarre avec l’intervention de trois personnalités présentées comme historiennes (absentes du dossier de presse) à la manière de l’émission télévisée Secrets d’Histoire. L’une d’elles, Reynald Secher, est un des partisans de la théorie du « génocide franco-français » mettant sur le même plan les contre-révolutionnaires vendéens de 1793 et les Juifs exterminés par les Nazis. Écrivain et historien nantais, il a fondé une maison d’éditionqui œuvre à populariser cette version. Cette intervention liminaire est censée donner un gage de sérieux historique. Le film se veut ainsi beaucoup plus qu’un simple divertissement à grand spectacle, une leçon d’histoire. Il s’agit de restituer une page noire du récit national, la guerre de Vendée, qui a fait près de 200 000 morts, mais du point de vue des victimes de l’histoire, héros écrasés par la Terreur.

Derrière le propos historien, c’est un projet politique et idéologique qui apparaît. La tentative de réhabiliter Charrette, seul contre tous, face à l’invasion, renvoie à une mémoire victimaire fédéraliste, royaliste et catholique. Charette est avant tout un personnage valorisé par ce courant politique dont Philippe de Villiers est l’un des représentants. Comme le rappelle Le Monde, en janvier 2021, « Éric Zemmour suggérait sur Twitter que la guerre de Vendée “pourrait nourrir notre cinéma français en récits épiques, si celui-ci daignait s’intéresser un peu plus à l’histoire de France, au lieu de nous proposer des films d’auteur sur les migrants véganes transgenres ! ” » À contre-courant ? Pourquoi pas puisque le projet, pour celle ou celui qui sait lire, ne cache en rien ses préjugés idéologiques. L’entreprise ne vise pourtant pas à raviver de « plaie de l’histoire » selon le dossier de presse, mais souhaite faire œuvre de réconciliation. Le thème de l’héroïsme viril et christique contre la République révolutionnaire, au profit de la réconciliation ? Le film et ses présupposés auraient plutôt tendance à fragiliser le lien social fondé sur des valeurs communes.

Qu’entend-on par « guerre de Vendée » ?

L’historien Jean-Clément Martin, spécialiste de la période, un temps approché par les réalisateurs du film, souligne combien la guerre de Vendée témoigne d’abord de l’échec politique de la République conventionnelle et cristallise la contre-révolution. Les soulèvements provinciaux, urbains et surtout ruraux, se nourrissent des mesures révolutionnaires impopulaires comme la constitution civile du clergé et la levée en masse de février 1793. La France est alors entrée en guerre contre une grande partie de l’Europe, et les royalistes attisent colère et revendications fédéralistes. Les défaites militaires à l’ouest du pays contre de véritables armées contre-révolutionnaires et les rivalités internes au sein de la Convention (enragés, sans-culottes et Montagnards parfois ennemis) désignent la « Vendée » comme un territoire en sécession qu’il faut abattre.

À partir de l’été 1793, des mesures radicales sont prises face aux menaces. Le 1er août, un décret porté par le député Bertrand Barère évoque la destruction de la Vendée. Il y est indiqué : « Art. VII. Les forêts seront abattues, les repaires des rebelles seront détruits ». Si les femmes, enfants et malades sont déplacés, « il sera pourvu à leurs subsistance et à leur sûreté avec tous les égards dus à l’humanité ».

À partir de l’automne 1793, la Terreur s’impose en Vendée comme partout dans le pays. Les arrestations arbitraires, les massacres (Carrier, le commissaire terroriste à Nantes en particulier) font des milliers de victimes parmi les ruraux, accusés, entre autres, de conservatisme religieux. De petites armées se constituent en Mayenne, dans les Deux-Sèvres, au sud de la Loire. La jonction se fait avec la Chouannerie bretonne autour de nobles ou clercs réfractaires : les combats sont violents et meurtriers, les haines se cristallisent et se nourrissent mutuellement. Les premiers succès royalistes ne peuvent cacher les rivalités, les faiblesses d’un mouvement décousu. Fin 1793, la mécanique de la Terreur s’installe en province, contre toutes celles et ceux qui s’opposent ou s’opposeraient dans les représentations des plus révolutionnaires à la Nation. Le général « enragé » Turreau lance des « colonnes incendiaires » dans les campagnes de l’Ouest.

Charette et Stofflet reprennent les armes au printemps 1793 dans ces territoires pourtant pacifiés fin 1793. François Athanase Charette, petit noble rural, ancien officier de marine, retiré sur ses terres, se place à la tête d’une armée catholique et royaliste. Il réussit par son panache à devenir le chef du soulèvement vendéen, jusqu’à signer une paix avec les représentants de la République en février 1795. Dès le printemps 1794, les révolutionnaires locaux modérés s’opposent peu à peu aux armées et chefs parisiens. La Terreur a fait son temps. Les troubles perdurent pourtant jusqu’en 1796, date de l’arrestation de Charette, abandonné peu à peu par les siens. Il est finalement capturé et fusillé à Nantes en mars de cette même année.

Les causes de la violence terroriste ont été étudiées et bien mises en lumière : la Terreur, phénomène politique et social complexe, s’est nourrie des conditions difficiles que traverse la Révolution entre 1793 et 1794. Elle aboutit à cristalliser les représentations autour de peurs et des menaces qui stigmatisent toute opposition (le Vendéen ou le Chouan breton représentant les principaux ennemis). Elle laisse également le champ libre à de petits groupes d’hommes influents (à Paris ou dans les provinces), qui règlent leurs comptes dans le cadre de rivalités politiques incessantes. Il existe au final un consensus entre historiens sur le chiffre de 200 000 victimes engendrées par la guerre de Vendée, populations locales et soldats des armées révolutionnaires confondus.

Le travail de l’historien consiste à ne pas opposer, à ne pas juger et à éviter les conflits de mémoire aiguisés par le clivage politique et social au XIXe et XXe siècles entre une France catholique et monarchique, et une France laïque et républicaine, qui placent toutes deux la guerre de Vendée comme un point de crispation mémorielle entre souverainistes conservateurs et républicains. Pour Jean-Clément Martin, « La guerre de Vendée doit être reconnue pour ce qu’elle est : l’exemple de la faiblesse d’un État en constitution dans une situation de guerre totale[1]. » Le reconnaître permet d’apaiser les revendications mémorielles.

L’histoire galvaudée

La distance historienne nécessaire semble peu respectée dans l’histoire de ce film. Pour le Figaro Histoire, Vaincre ou Mourir « s’efforce de conjuguer la rigueur historique au souffle de l’épopée ». Le site d’évangélisation catholique Aleteia présente le long métrage comme un « boulet de canon tiré dans la verrière de l’histoire officielle ». Se rejouer une guerre des mémoires (et des histoires) entre une représentation victimisante de l’épisode vendéen (Révolution et République honnies) et une mémoire qui serait officielle, gommant massacres et révoltes paysannes au profit d’un pseudo-consensus révolutionnaire bien-pensant. La société de production, tenue par Nicolas de Villiers, fils de Philippe, justifie le projet comme un « combat pour la liberté ». Les propos relevés dans le dossier de presse s’inscrivent dans une histoire très orientée. Celui-ci évoque notamment la « répression atroce du peuple vendéen ». Sur Charette et sa mémoire, pourtant peu cultivée : « Deux siècles après, son souvenir demeure vif en Vendée, où il est largement considéré comme un héros. » À propos du général Turreau et des « colonnes incendiaires », il est question de la mise en œuvre d’un « plan d’extermination », alors même que la Terreur révolutionnaire participe d’une réaction à de réels dangers : les révoltes paysannes ou urbaines contre l’autorité révolutionnaire, la guerre contre les puissances européennes. Troubles et peurs engendrent des représentations négatives et un vocabulaire (« haine », « croisade », « destruction ») qui culmine avec une représentation de la Vendée comme alpha et oméga d’un ennemi de l’intérieur, territoire menacé par les complots des émigrés.

Portée par les lieux communs et certaines personnalités, surgit l’idée d’un génocide vendéen. Le concept élaboré par le juriste Raphael Lemkin en 1943 désigne un génocide comme étant « un crime commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ». La Vendée ne représente aucunement un groupe bien précis, et les massacres ou crimes atroces (exécutions sommaires, noyades de masse) pour privilégier les termes plus justes utilisés par les spécialistes des violences comme Jacques Semelin, ne sont ni systématiques, ni planifiés. Il s’agit plutôt d’un épisode de guerre civile ponctuée de crimes de guerre. Le regard des victimes n’est pas suffisant pour basculer vers une demande de reconnaissance de génocide, pourtant à l’origine encore d’une proposition de loi (rejetée) de 2018 dont voici le premier article :

« PROPOSITION DE LOI – Article 1er

La République française reconnaît que les violences commises en Vendée entre 1793 et 1796, par les troupes aux ordres de la Convention et de son Comité de salut public, sont des faits qui seraient aujourd’hui qualifiés de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et, s’agissant notamment de l’expédition dite des « colonnes infernales », de génocide. »

Certes, la guerre de Vendée apparaît comme un épisode bien sombre de l’histoire de France, peu soulignée dans le roman national mis en place au XIXe siècle. Aujourd’hui, largement étudiée, enseignée à l’École dans le cadre des programmes scolaires au collège comme au lycée, elle n’est en aucun cas un angle mort historiographique. Elle mérite toute l’attention en ce qu’elle dit des clivages politiques et sociaux qui ont traversé la société française en révolution, et qui la traversent encore.

La crise de la ruralité, la rupture du contrat social dont les révoltes des Gilets jaunes ont témoigné entre 2018 et 2020, ravivent des mémoires antagonistes. Bien loin de les atténuer, les attendus du film Vaincre ou Mourir appuient sur la plaie en désignant la République comme responsable. Oubliant, par là même, de convoquer l’histoire critique pour restituer les faits et non des partis pris. D’autant que la Vendée ne se résume pas à la contre-révolution royaliste et catholique de la fin du XVIIIe siècle. L’épisode révolutionnaire est contrebalancé par d’autres engagements locaux républicains : engagements patriotiques de gardes mobiles vendéens durant la guerre franco-prussienne de 1870, parcours du Vendéen Georges Clemenceau qui conduisit la France en guerre à la victoire entre 1917 et 1918, résistance durant la Seconde Guerre mondiale, etc.

Plus largement, le film témoigne des limites de l’histoire spectaclequi vise à donner au grand public les clés de compréhension du passé. Dans le sillage de la réussite du Puy du Fou qui attire plus de 2 millions de spectateurs par an sur ses tableaux historiques, Vaincre ou mourir a été conçu comme le prolongement cinématographique d’une entreprise de vulgarisation d’une histoire partisane, idéologiquement orientée vers la valorisation des siècles monarchiques et de la France paysanne, de « La terre [qui] ne ment pas » du maréchal Pétain. Entreprise qui use de l’entertainment (le film est soutenu par Canal+ propriété deVincent Bolloré) à des fins d’instrumentalisation, sous couvert d’une rigueur historique très incertaine. Dans l’ouvrage Le Puy du Faux. Enquête sur un parc qui déforme l’histoire[2], quatre historiens et universitaires ont su démonter pierre par pierre la fabrique antirépublicaine du parc en allant assister aux spectacles et en interrogeant organisateurs et figurants. L’instrumentalisation de l’histoire est ici patente, relayée désormais sur grand écran dans plusieurs centaines de salles. Divertissement, manichéisme, spectacle : certains politiques usent de tous les instruments à leur disposition pour attiser les conflits. Sous couvert de vérités historiques qui n’en sont pas, ou si tordues qu’elles épousent une cause entendue, ils galvaudent le passé, et affaiblissent d’autant le vivre ensemble.

L’histoire publique (comme l’histoire – connaissance, science, pratique critique, mise à la disposition d’un public non spécialiste) est aujourd’hui une discipline enseignée en master dans les universités françaises… notamment à Nantes. Gageons qu’elle puisse former désormais le plus grand nombre d’étudiants pour que soit garantie un minimum de rigueur historienne dans le traitement culturel grand public des événements passés.

A. L.


[1] Jean-Clément Martin, « Comment comprendre « Vaincre ou Mourir ». L’incroyable épopée de Charrette », blog Médiapart, 23 janvier 2023 https://blogs.mediapart.fr/jean-clement-martin/blog/230123/comment-comprendre-vaincre-ou-mourir-l-incroyable-epopee-de-charette. Deux ouvrages synthétiques et très clairs : La France en Révolution 1789-1799, Paris, Belin- supérieur, 1990, et La Guerre de Vendée (1793-1800), Paris, Seuil, 2014 (édition augmentée). 

[2] Florian Besson, Pauline Ducret, Guillaume Lancereau, Mathilde Larrère, Le Puy du Faux. Enquête sur un parc qui déforme l’histoire, Paris, Les Arènes, 2022.


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Alexandre Lafon
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