« Villa Pauline et autres poèmes », de Katherine Mansfield

katherine-mansfieldDécédée à l’âge de trente-quatre ans, en 1923, Katherine Mansfield aura pourtant eu le temps de marquer l’univers des lettres par ses nouvelles, modèles de délicatesse littéraire, qui évoquent avec acuité et poésie les bonheurs simples de l’existence ou quelques instants de flottement dans une vie qui s’apprête à basculer et, toujours, la beauté du monde, étrange et éphémère.

On retrouve dans sa poésie la même tonalité, la même atmosphère d’apparente insouciance, de spontanéité et de présence à l’instant, aux petites choses de la vie. C’est ce papillon qui décore le fond d’une assiette et que l’enfant rêve de voir s’envoler, c’est la tendresse pour ce petit frère qui cherche à faire pousser du sucre dans un pot ou simplement la beauté des lacs néo-zélandais au début du printemps.

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Souvenirs d’enfance

Villa Pauline est un choix de poème réunis et traduits par Philippe Blanchon pour les éditions La Nerthe qui, depuis 2006, accomplissent un remarquable travail de publication de textes inédits des grandes figures de la littérature anglo-saxonne.

Le titre est aussi celui de l’un des poèmes, qui évoque les retrouvailles de l’auteure avec son futur mari, John Middleton Murry. C’est une sorte de texte pivot, les poèmes, dont l’écriture s’échelonne de 1909 à 1919, présentant des formes et des tonalités très diverses.

Les plus anciens peignent des souvenirs d’enfance, et les années 1915-1916 sont des années charnières dans la vie de Katherine Mansfield puisqu’elle perd sont frère Leslie en 1915. Avec la mort de ce dernier, la page de l’enfance se tourne irrémédiablement. Un émouvant poème de 1916 « À L. H. B. » parle de ce frère tellement aimé : « By the remembered stream my brother stands / Waiting for me with berries in his hands » (« Au bord du ruisseau revenu en mémoire mon frère est là / M’attendant avec des baies dans les mains »). Figure christique, le frère est un appel à la vie, à la plénitude de l’enfance, mais aussi le rappel de la mort omniprésente.

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« La littérature est pour elle un art et une discipline spirituelle. »

Le préfacier nous rapporte, en introduction, ce jugement de Virginia Woolf à propos de Katherine Mansfield : « Personne n’éprouva plus qu’elle l’importance de l’écriture », et Philippe Blanchon de justement conclure : « La littérature est pour elle un art et une discipline spirituelle. »

Toute la vie et toute l’œuvre de Katherine Mansfield ont témoigné de la profondeur de cet engagement spirituel : ses poèmes sont donc aussi des incursions dans les profondeurs de l’intériorité : « La grotte opale du rêve », « Un jour il y eut un enfant », « Lueur de feu » relèvent de l’esthétique symboliste, rappelant parfois la manière de Yeats, ils évoquent sur le mode mythique des situations et figures archétypiques.

C’est la fée qui, par son envol, laisse la caverne où elle habitait irrémédiablement vide ; c’est la petite fille qui, dans les bois, rencontre un étrange vieillard munis de deux œufs ; ou « Dame Silence » qui coupe court à la communication entre l’adulte et son enfant.

 

Le décompte infaillible du temps

Dans les années 1917-1919, l’écriture redevient plus familière : la mer, l’enfance en sont toujours les thèmes centraux… et puis la mort aussi. Le décompte infaillible du temps : « Sur le sixième anniversaire de la jeune fille » pèse l’implacable tombée de la nuit : « palely tossing like a creature condemned to die » (« Pâleur agitée comme une bête condamnée à mourir »). Et le silence.

Les poèmes s’arrêtent en 1919, le Journal  en octobre 1922. Katherine Mansfield, atteinte de phtisie, rejoint les groupes de Georges Gurdjieff, thaumaturge pour le moins contesté. Elle tente de suivre son enseignement spirituel mais meurt dans la solitude, le froid et l’abandon, des suites de privations dangereuses et inutiles. Elle laisse une œuvre modeste mais ciselée,  lumineuse comme les petits matins de sa Nouvelle-Zélande natale, qu’elle décrit si bien dans ses nouvelles et dont les poèmes rendent comme un écho épuré.

Stéphane Labbe

 
• Katherine Mansfield, « Villa Pauline et autres poèmes », La Nerthe, 2012.

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