Xavier Darcos, « Dictionnaire amoureux de la Rome antique »

Le préambule rappelle un passage de la leçon inaugurale de Paul Veyne au Collège de France en 1976 : « Il y a une poésie de l’éloignement. Rien n’est plus loin de nous que cette antique civilisation. […] Entre les Romains et nous, un abîme a été creusé par le christianisme, par la philosophie allemande, par les révolutions technologique, scientifique et économique, par tout ce qui constitue notre civilisation. »
Cet abîme, pas si vertigineux que le laissait entendre l’éminent historien, peut en partie espérer être comblé par ce précieux Dictionnaire amoureux de la Rome antique.

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À la redécouverte de la culture latine

Il aura fallu pas mal d’audace à Xavier Darcos pour se lancer dans une telle entreprise, monumentale et anachronique, pas mal d’éloquence pour convaincre les responsables de la belle collection « Dictionnaire amoureux », où s’alignent déjà plus de cinquante titres, d’accepter le projet, et surtout pas mal d’érudition et plus encore de talent pour réussir à transformer ce qui aurait pu être un pensum (dans le langage des collégiens : un travail supplémentaire, une punition, mais à Rome, le  pensum était le poids de la laine que devait filer un esclave dans une journée) en réel objet de plaisir.
En plus de sept cent cinquante pages (ce qui prouve l’abondance de la matière), l’auteur nous conduit dans les divers lieux, visibles ou cachés, connus ou inattendus, de la culture latine, depuis sa naissance jusqu’à nos jours ou, pour donner plus de réalité à l’éventail, d’Alix à Néron, de Didon la malheureuse aux Vestales, d’Albe au Tibre.
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Une promenade ludique et savante

Au total, deux cent vingt entrées, où se décèlent les intentions personnelles du maître d’œuvre qu’on pourrait, en simplifiant, ramener à trois : nous fournir une information précise et complète sur Rome et la romanité ; nous montrer en quoi cette civilisation a nourri la nôtre qui en est totalement imprégnée ; nous distraire en nous entraînant dans une promenade ludique bien que savante. Le premier objectif est donc pédagogique, ce qui est bien naturel de la part de Xavier Darcos qui, avant d’être sénateur et plusieurs fois ministre, a été longtemps professeur de lettres, conservant de cette époque le goût de transmettre le savoir.
Il le fait par exemple en rectifiant des erreurs ou en corrigeant des préjugés à propos de certaines institutions (la politique, les jeux du cirque, les affranchis, le poncif de la décadence…) ou de certains personnages (Brutus, Hadrien, Messaline, Mucius Scaevola…). Il le fait surtout en bâtissant, sur chaque sujet, une solide monographie, suffisante pour combler nos lacunes ou rafraîchir notre mémoire concernant ce grand moment de civilisation.
Nous sommes dans un dictionnaire, écrit par un spécialiste, auteur d’ouvrages remarqués sur Tacite ou Ovide, et celui-ci ne transige pas avec la rigueur scientifique, comme l’attestent les nombreuses références.
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D’innombrables échos entre la culture latine et la nôtre

Cette exigence, essentielle, s’articule avec une autre intention, explicitement avouée, celle de rapprocher cette culture, apparemment lointaine, de la nôtre, en repérant les innombrables échos, linguistiques et surtout culturels.  Du côté de la littérature, les œuvres de Shakespeare, Corneille, Voltaire, Montherlant ou Marguerite Yourcenar, et bien d’autres, sont nourries de celles des maîtres latins. Hugo ou Rimbaud rédigeaient des poèmes irréprochables dans la langue d’Horace, sans parler de leurs innombrables allusions à la latinité.

Du côté de l’art, on ne compte plus les œuvres picturales (et même musicales) inspirées par des personnages des mythes ou des événements liés à Rome. On se reportera, par exemple et parmi beaucoup d’autres, aux entrées Cléopâtre ou Lucrèce. La belle Lucrèce, victime de la concupiscence masculine, et dont parle Tite-Live et Ovide, a inspiré Dürer, Botticelli, Titien, Rembrandt, Tintoret, Benjamin Britten et, pour revenir aux lettres, Shakespeare (un poème de 1 600 strophes) et Giraudoux. Liste évidemment non exhaustive. Il faudrait citer aussi l’architecture, avec les nombreux vestiges qui parsèment nos villes et nos campagnes, surtout en Provence.

L’autre héritage, d’une extrême richesse, est cinématographique. Le genre péplum, traité parfois à la mode kitsch (les Maciste ou Scipion l’Africain de Richard Pottier), d’autres fois avec plus de gravité (le BenHur de Wyler, le Cléopâtre de Mankiewicz, le Spartacus de Kubrick, jusqu’au récent Gladiator de Ridley Scott), continue à remplir les salles. Et l’on pourrait ajouter la bande dessinée avec Alix l’intrépide et le célébrissime Astérix.

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« Rome : le temps retrouvé »

Toutes ces informations, où les époques sont allègrement mélangées, nous sont apportées avec légèreté, humour, sans pédanterie, pour ne pas gâter le plaisir de la découverte ou de la redécouverte. L’énoncé de quelques titres suffit à le montrer : Catalina, l’Ubu romain ; Cicéron, le meilleur, hélas ! ; Soixante-neuf, annus horribilis ; Hygiène, salus per aquas (formule dont les initiales ont donné SPA).

Relisons la fin de l’attendu Cloaca maxima où le sourire se mêle au savoir : « Un des avatars de la déesse Vénus, déesse de l’amour, avait pour nom la Venus Cloacina. Elle protégeait le système des égouts. Son sanctuaire était construit près du principal chéneau d’évacuation, sur le Forum. Curieux, non ? L’amour propre, en quelque sorte. » On peut être membre de l’Institut et aimer à pratiquer l’humour.

Les hasards de l’alphabet font que le livre s’achève sur l’entrée Voyageurs à Rome, qui en l’occurrence est une sortie. Hommage y est rendu à quelques « touristes » privilégiés : Du Bellay, désabusé, mais qui déclare quand même : « Rome de Rome est le seul monument », Chateaubriand, Goethe, Stendhal, promeneur privilégié, Gracq, Fernandez : que du beau monde. Et Darcos, stimulé par ces belles plumes, conclut avec élégance : « On croit visiter des lieux, en ethnologue ou en géomètre, et voici qu’on plonge dans sa propre mémoire, qu’on accomplit à l’improviste le rite proustien du voyage au cœur de soi et du passé. Rome : le temps retrouvé. »

Faute de pouvoir vous y rendre, un substitut moins onéreux vous est offert : parcourir ce délicieux  Dictionnaire amoureux.

Yves Stalloni

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• Xavier Darcos, « Dictionnaire amoureux de la Rome antique », Plon, 2011, 758 p.

 

Yves Stalloni
Yves Stalloni

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