Lecteurs et lectures chez l’abbé Prévost. L’exemple de l’« Histoire d’une Grecque moderne »

Chez Prévost, il n’y a pas de récits innocents. Au XVIe-XVIIe siècle, des personnages-narrateurs pouvaient se raconter des histoires les uns aux autres, ce n’était jamais que pour passer le temps. L’identité des conteurs comme celle des auditeurs importaient peu, on se trouvait ensemble plus ou moins par hasard, mais le principal demeurait l’histoire, la nouvelle, curieuse, véritable, comique, tragique ou édifiante. Avec Prévost, l’histoire reste centrale, bien sûr – que l’on songe aux titres mêmes de ses romans : « Histoire du chevalier des Grieux », « Histoire d’une Grecque moderne » –, mais ce qui émerge de ces histoires, c’est un intérêt nouveau pour ce qu’on pourrait nommer la « pragmatique du récit », c’est-à-dire ses motivations, ses finalités, ses effets escomptés sur l’auditeur ou le lecteur. Les narrateurs de Prévost s’appliquent à conter, certes, mais le romancier s’efforce lui de découvrir ce qui les pousse à raconter, ce qui est visé en racontant. Les récits ne sont donc plus innocents mais rhétoriques, guidés par le souci de persuader, d’amener le lecteur ou l’auditeur à porter tel ou tel jugement de valeur sur les faits ou personnages qui lui sont présentés. Si le roman prétend toujours instruire, son instruction n’est plus morale (transmettre un savoir, une leçon sur les hommes), mais métafictionnelle (instruire sur les fondements pragmatiques d’un récit).
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