Hors les murs avec des réfugiés ukrainiens

Faire cours dehors permet de créer un climat de confiance et de sérénité dans un groupe y compris d’adultes : dans un contexte moins formel, les échanges sont facilités et les notions, le vocabulaire et les expressions sont mieux mémorisés quand ils sont directement reliés à des situations concrètes.
Sophie Monot, formatrice français langue étrangère

Faire cours dehors permet de créer un climat de confiance et de sérénité dans un groupe y compris d’adultes : dans un contexte moins formel, les échanges sont facilités et les notions, le vocabulaire et les expressions sont mieux mémorisés quand ils sont directement reliés à des situations concrètes.

Sophie Monot, formatrice français langue étrangère

Formatrice français langue étrangère depuis une quinzaine d’années, j’ai quitté la région parisienne pour m’installer près de Royan où j’ai assez vite trouvé du travail chez Hommes et Savoirs, une entreprise de formation. En octobre 2022, la direction départementale de l’Emploi, du Travail et des Solidarités (DDETS), et notamment le service de coordination accueil des déplacés ukrainiens, nous a mandatés pour intervenir auprès d’un groupe de réfugiés ukrainiens logés pour la grande majorité d’entre eux dans un ancien Ehpad. L’objectif de la formation, prévue pour une durée de 468 heures sur une période de six mois, à raison de trois journées de 6 heures par semaine, était de leur permettre d’acquérir de l’autonomie dans l’apprentissage et la maîtrise de la langue française, tant à l’oral qu’à l’écrit.

Notre métier de formateur implique que nous soyons capables de nous adapter aux stagiaires. Prendre en compte leurs attentes et leurs besoins au moment où nous les côtoyons est primordial. Lors des premières semaines de cours avec ces réfugiés ukrainiens, j’ai constaté une grande lassitude de la part des apprenants. Certains, en France depuis plusieurs mois, étaient relogés pour la troisième ou quatrième fois, d’autres venaient d’arriver et, encore désorientés, se trouvaient totalement en manque de repères.

J’ai ressenti la fatigue des épreuves subies, la difficulté d’entreprendre des démarches pour s’insérer dans une société nouvelle : l’inscription des enfants à l’école, trouver un travail, essayer de pérenniser sa situation de logement… Sans compter que la majorité d’entre eux ne se projetait pas dans une vie en France, espérant et attendant un retour en Ukraine le plus proche possible. Il fallait donc d’abord construire une atmosphère bienveillante, tenter de transmettre des émotions à valeur positive. La salle de formation se devait d’être un lieu agréable où se retrouver pour échanger et partager.

En tant que formatrice, je m’efforce d’adopter des attitudes stables et enjouées, d’avoir une écoute attentive, patiente et active auprès de chacun des stagiaires pour tenter de créer un climat de confiance. Cet espace ainsi façonné encourage l’implication, la motivation et l’attention. Se soucier en premier lieu du bien-être individuel favorise la qualité des relations sociales au sein du groupe et permet ensuite de s’engager dans un processus d’apprentissage.

Bien entendu, les formateurs ne sont ni des assistantes sociales, ni des psychologues, et il est important de ne pas se tromper de mission. Cependant, il est impossible de mettre de côté toutes les difficultés que rencontre un public de réfugiés et, dans ce cas précis, fuyant la guerre.

Et si on sortait ?

Avec ce groupe, nous avons pris des chemins classiques d’apprentissage : une salle, des tables et des cahiers, mais nous avons aussi choisi d’emprunter des sentiers extérieurs, au sens propre du terme. Nos sorties nous ont permis de participer à créer ce climat de confiance et d’harmonie au sein du groupe et d’explorer l’environnement proche, avec un petit goût de liberté et de quiétude.

Sortir en dehors de la classe permet un rapprochement entre chacun, le contexte est différent, le côté non formel détend l’atmosphère, donne un sentiment d’inconnu et de découverte. Les interactions entre le groupe et le formateur sont plus légères, plus naturelles.

Certains ont plus de facilité à communiquer ou, du moins, à montrer davantage leur personnalité, et sortir peut permettre à un stagiaire assis en cours qui ne prend pas beaucoup la parole de devenir meneur ou fédérateur à l’extérieur. Dans un environnement vaste, chacun dispose de plus de liberté pour trouver sa place. Au niveau de l’apprentissage, des notions, du vocabulaire ou des expressions sont quelquefois plus facilement retenus dehors car directement liés à un contexte vécu dans l’instant, visuellement, émotionnellement et physiquement.

Se repérer dans la ville

Un jour, je leur ai préparé une sorte de chasse au trésor dans le village. Le but était double : se repérer dans sa ville et communiquer avec les commerçants ou des agents d’établissements publics. L’exercice permettait ainsi de compléter les apprentissages et de mobiliser les savoirs acquis en cours.
Chaque indice signifiait un nouveau lieu et un scénario à jouer en désignant trois ou quatre stagiaires pour accomplir la mission indiquée. La chasse commençait à la médiathèque, le premier indice demandait d’aller emprunter un roman de la saga Harry Potter.

Les stagiaires choisis sont donc entrés dans la médiathèque et ont dû demander à un des documentalistes où trouver un livre de cette série (interaction orale en français). Entre deux exemplaires, j’avais placé un deuxième indice pour les conduire à la mairie où ils devaient demander des renseignements concernant l’inscription des enfants à la cantine. La personne de l’accueil leur a alors fourni une fiche de renseignements. Une fois celle-ci complétée, elle leur a donné l’indice suivant, et ainsi de suite.

J’avais prévenu en amont tous les commerçants et agents qui allaient les croiser, ils savaient ce qu’ils avaient à faire : jouer le jeu et remettre l’indice suivant. Les stagiaires se sont ainsi rendus dans les endroits clefs de la ville : médiathèque, mairie, boulangerie, pharmacie, fleuriste, magasin de chaussures. À chaque étape, ils devaient interagir à l’oral avec un commerçant ou un agent…

Cette chasse au trésor a été un succès en partie grâce à la bienveillance de chacun. La fleuriste a par exemple rempli un vrai bon de commande de bouquet, la vendeuse du magasin de chaussures est allée jusqu’à faire essayer la paire à une des stagiaires. Le dernier indice les a conduits à la laverie où j’avais laissé une panière avec du linge et le trésor : des chocolats et des faux billets sous forme de Post-it® de 50 euros.

Cette sortie s’est avérée très positive dans le sens où beaucoup se sont forcés à communiquer en français. Le jeu a permis de lever des barrières que le stress ou l’angoisse dresse souvent devant les personnes en situation d’apprentissage. Certains stagiaires n’avaient jamais osé entrer dans ces petits commerces, préférant les grandes surfaces où il est plus facile de se fondre dans la masse et d’éviter le contact « direct » avec les autres.

Reconduire l’expérience ludique à l’extérieur

Nous avons également découvert d’autres villes à travers une application mobile de géocaching, « Terra Aventura ». Cette application propose des balades originales de quelques kilomètres qui permettent de découvrir en jouant des lieux insolites et des anecdotes. Bien sûr, la compréhension de toutes les indications dépend du niveau des stagiaires, mais la géolocalisation constitue déjà un premier intérêt, et les énigmes peuvent être lues seules. À la fin, si nous avions bien répondu aux différentes questions, le lieu de la cachette nous était indiqué avec des coordonnées GPS, à nous ensuite de fureter pour trouver une petite boîte qui contenait des badges d’aventuriers.

Sortir du cadre « scolaire » permet de lier le groupe et de vivre des expériences concrètes. Entre eux, les stagiaires parlent évidemment leur langue natale, mais ce qui semble primordial dans ce cas précis, c’est d’éveiller la curiosité, souder le groupe, donner l’envie de s’exprimer en français et de prendre confiance dans la prise de parole.

Tous au resto !

Un jour, nous avons déjeuné avec un groupe de stagiaires cuisiniers en CAP. Tous Français, ils nous ont reçus dans leurs locaux et nous ont servis comme au restaurant. L’expérience fut très chaleureuse, les deux groupes ont échangé pendant le repas, se sont présentés, ont dit d’où ils venaient, comment ils s’appelaient, quel métier ils faisaient en Ukraine pour les uns et quel métier ils exerçaient avant leur reconversion pour les autres…

J’apprécie, lors de mes périodes de formation avec les groupes, de travailler sur un projet commun qu’ils pourront garder par la suite en souvenir du temps passé ensemble. Cela peut être la création d’une exposition, d’un document audio ou d’un film vidéo.

Sur le modèle d’Amélie Poulain

Avec ce groupe, nous avons visionné le film « Amélie Poulain ». Il me semblait intéressant d’aborder ce film comme une œuvre cinématographique poétique. Nous avons d’abord regardé les premières minutes à la suite d’une leçon où nous abordions la manière d’exprimer les goûts de chacun (j’aime / j’adore/ je n’aime pas / je déteste…) J’ai eu envie de reproduire, par la suite, une séquence filmée avec les stagiaires en m’appuyant sur ces descriptions de personnages dans lesquels le narrateur énumère ce qu’ils aiment ou non. Nous avons ainsi écrit ensemble le texte et imaginé les plans que pourrait contenir le film. J’ai filmé toutes les séquences avec mon téléphone, et quelques stagiaires se sont filmés eux-mêmes chez eux ou en extérieur pour donner une image à nos propos.

À chaque fin de session de formation, le projet commun est restitué lors du bilan final avec les différents partenaires et les stagiaires. C’est une manière de les valoriser et d’immortaliser les heures passées ensemble. Celui-ci s’est déroulé avec la directrice du centre de formation et les différents acteurs sociaux des associations (référentes sociales, maîtresse de maison…).

Autour d’un café, d’un thé et de quelques chouquettes, chacun s’est d’abord présenté puis les stagiaires ont donné leurs ressentis concernant cet apprentissage du français et ces mois de vie passés ensemble. Ils ont aussi confié leurs doutes et leurs craintes pour l’avenir.

Le stress était à son maximum lors de la prise de parole : « Vais-je me faire comprendre ? »« Vais-je comprendre les questions que l’on me pose ? »Mais l’émotion venait aussi du fait que cet après-midi marquait la fin de cette aventure collective.

S. M.


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Sophie Monot
Sophie Monot