L’inclusion des élèves handicapés :
la cause nationale négligée

Le nombre d’accompagnants pour les élèves handicapés grimpe mais insuffisamment par rapport aux besoins. Un enfant handicapé sur quatre n’ira pas à l’école cette année, et les enseignants sont souvent désemparés. À quand une grande cause nationale ?
Par Antony Soron, maître de conférences HDR, formateur agrégé de lettres, Inspé Paris Sorbonne-Université

Le nombre d’accompagnants pour les élèves handicapés grimpe mais insuffisamment par rapport aux besoins. Un enfant handicapé sur quatre n’ira pas à l’école cette année, et les enseignants sont souvent désemparés. À quand une grande cause nationale ?

Par Antony Soron, maître de conférences HDR, formateur agrégé de lettres,
Inspé Paris Sorbonne-Université

Gabriel Attal n’a pas posé l’inclusion des élèves handicapés comme priorité de rentrée. Tout juste a-t-il acté le recrutement de 6 500 accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) lors de sa conférence de presse de rentrée, le 28 août dernier.

« Plus de 436 000 élèves en situation de handicap sont accueillis dans les établissements scolaires de la maternelle au lycée », ce qui représente en proportion « 3,6 % du nombre total des élèves », selon le ministère1. Un rapport sénatorial, publié le 3 mai, souligne une progression du nombre d’élèves en situation de handicap (ESH) scolarisés en milieu ordinaire : entre 2004 et 2022, les effectifs seraient passés de 134 000 à 430 000, soit une hausse de 220 %2. « En matière scolaire, la loi affirme le droit pour chaque enfant à une scolarisation en milieu ordinaire, au plus près de son domicile, ainsi qu’à un parcours scolaire continu et adapté », précise ce rapport. Après une première avancée avec la loi « Handicap » du 11 février 2005, la loi du 8 juillet 2013 sur la refondation de l’école a consacré le principe d’inclusion scolaire.

Mais 20 000 enfants et adolescents restent sans solution éducative, dénonce L’Unapei. Lors d’une enquête menée dans six régions (Hauts-de-France, Normandie, Pays de la Loire, Grand Est, Bretagne, Auvergne-Rhône-Alpes), cette association, qui défend les intérêts de personnes atteintes de troubles psychiques, a pu estimer que, sur 2 103 enfants accompagnés, 23 % n’avaient aucune heure de scolarisation proposée cette rentrée, 28 % moins de 6 heures et seuls 27 % plus de 12 heures. Un enfant handicapé sur quatre n’ira donc pas à l’école cette année.

Difficile accompagnement

Les raisons sont multiples. L’Unapei pointe la priorité accordée aux missions d’instruction à l’école, un environnement partenarial médico-éducatif ou sanitaire complexe, ainsi que la diversité des situations et des besoins d’enfants particulièrement fragiles. Sur le plan du fonctionnement, c’est la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) qui, au sein de la maison départementale des personnes handicapées, décide de l’orientation de l’élève en situation de handicap : scolarité en milieu ordinaire, en établissement ou en service médico-social (ESMS). Dans les établissements, la scolarisation peut être individuelle en classe ordinaire ou collective en classe spécialisée, les fameuses « Ulis » dont Gabriel Attal a annoncé qu’il visait l’objectif d’une par établissement.

Enfin, les élèves sont pris en charge par des professionnels accompagnants spécialisés, les AESH, dont le nombre aurait augmenté de 50 % atteignant 125 000 personnes cette rentrée après le recrutement de 6 500 postes supplémentaires. Le statut de ces personnels au sein de l’Éducation nationale fait couler beaucoup d’encre : à plus de 90 % féminins, précaires et peu renouvelés dans leurs contrats – quand les enfants qu’ils accompagnent réclament de la régularité – et, de surcroît, mal rémunérés.

« Les AESH sont des agents non titulaires de la fonction publique dont le statut a été créé par le décret du 27 juin 2014, rappelle un article du Monde. La circulaire du 3 mai 2017 précise leurs missions : accompagnement des actes de la vie quotidienne, à l’accès aux activités d’apprentissage et aux activités de la vie sociale et relationnelle des élèves en situation de handicap. Les AESH sont ainsi essentiels à la scolarisation de nombreux enfants – d’autant qu’entre 2004 et 2020 le nombre d’élèves en situation de handicap scolarisés en milieu ordinaire a presque triplé, passant de 133 838 à 384 040. » Un rapport d’avril 2022 de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) a reconnu la précarité des AESH :en contrat à durée déterminée renouvelable six ans maximum ou en contrat d’insertion, dispositif réservé à des personnes présentant des difficultés d’accès à l’emploi.

Le statut des AESH s’améliore, se félicitent néanmoins le ministère et le Sénat qui rappellent que les AESH représentent aujourd’hui « le deuxième métier de l’Éducation nationale en termes d’effectif ». Celui-ci déplore également que l’inclusion repose en grande partie sur une « aide humaine » « externalisée », par l’intermédiaire de laquelle l’école esquiverait sa « nécessaire adaptation ».

Difficultés pour l’enseignant

Pour un enseignant, la présence d’un élève en situation de handicap dans sa classe demeure anxiogène. Nombre d’entre eux ne se considèrent que partiellement compétents pour assumer une telle responsabilité. Dans son rapport du 22 août 2022, la défenseuse des droits, Claire Hédon, a mis l’accent sur « l’absence de formation spécialisée des enseignants, le manque d’infrastructures accessibles, ainsi que des programmes scolaires et des salles de classe inadaptés3 ».

Il y a un fossé entre le fondamental principe d’inclusivité de l’école et sa mise en œuvre. D’où l’importance d’une formation plus poussée de l’ensemble des acteurs de l’Éducation nationale, impliquant des temps de formation communs avec les professionnels du secteur médico-social. Cette exigence semble avoir été entendue par le ministère, qui, à la suite de la conférence nationale sur le handicap, du 26 avril 2023, a tout de même arrêté douze mesures dont : « Déployer un grand plan de formation des équipes pédagogiques ».

À écouter les enseignants, perdure une tension profonde entre souci éthique et capacité de mise en œuvre d’une authentique inclusion. Beaucoup constatent, en effet, qu’il « existe des degrés divers de handicap » et qu’à l’intérieur d’une même classe les « situations » parfois cumulées, peuvent être très différentes : dyslexie, autisme, handicap moteur, handicap visuel… D’où la difficulté d’enseigner à des ESH « sans avoir une idée concrète du handicap » et le regret qu’en dépit de leurs annonces, les ministères successifs concrétisent insuffisamment leurs vœux inclusifs au sein des établissements scolaires.

« L’inclusion scolaire est un enjeu fondamental d’égalité, a déclaré Pap Ndiaye, précédent ministre de l’Éducation nationale. Elle a pour ambition de développer, année après année, l’autonomie des élèves et de leur permettre l’accès aux savoirs et à la connaissance. Elle bénéficie non seulement aux élèves en situation de handicap mais à tous, notamment à tous les élèves ayant des besoins pédagogiques particuliers. Ma responsabilité est, en lien avec les autres membres du gouvernement, que chaque élève en situation de handicap bénéficie des conditions permettant sa réussite. C’est une question de justice sociale pour chacun et chacune d’entre eux. C’est aussi ce qui nous permet, à plus long terme, de bâtir une société réellement inclusive. »

A. S.

Ressources

Notes

(1) https://www.education.gouv.fr/la-scolarisation-des-eleves-en-situation-de-handicap-1022
(2) https://www.senat.fr/notice-rapport/2022/r22-568-notice.html
(3) https://www.radiofrance.fr/franceinter/pres-d-un-enfant-handicape-sur-quatre-ne-peut-toujours-pas-aller-a-l-ecole-selon-une-association-3032919


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Antony Soron
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