Nous, les enfants de l’archipel, d’Astrid Lindgren :
susciter le plaisir de la lecture autonome

Les aventures de Fifi Brindacier ont fait sa réputation internationale, et le prix commémoratif Astrid-Lindgren compte depuis 2022 parmi les plus prestigieux en littérature de jeunesse. Nous, les enfants de l’archipel se présente comme une utopie sur une île, susceptible d’inciter les classes de sixième et de cinquième à la lecture autonome.
Par Antony Soron, maître de conférences HDR, formateur Inspé Sorbonne-Université

Les aventures de Fifi Brindacier ont fait sa réputation internationale, et le prix commémoratif Astrid-Lindgren compte depuis 2022 parmi les plus prestigieux en littérature de jeunesse. Nous, les enfants de l’archipel se présente comme une utopie sur une île, susceptible d’inciter les classes de sixième et de cinquième à la lecture autonome.

Par Antony Soron, maître de conférences HDR, formateur Inspé Sorbonne-Université

Au commencement, il y eut le personnage de Fifi Brindacier (en suédois, Pippi Langstrumpf – « Pippi longues chaussettes »), créé par Astrid Lindgren (1907-2002) dans les années 1940. Les aventures de cette petite fille qui vit seule avec ses animaux, tout en prétendant que son père, capitaine de vaisseau embarqué pour les mers du Sud, va revenir après un long voyage, a fait rêver et se tordre de rire plus d’un enfant dans le monde entier. Ainsi, l’autrice suédoise a connu la gloire grâce à sa Fifi dont elle va décliner les histoires toutes aussi iconoclastes les unes que les autres. En Suède, Astrid Lindgren fait partie du patrimoine national, un peu comme J.-K. Rowling, la créatrice d’Harry Potter, en Grande-Bretagne. La renommée de son personnage libre et déterminé, au point d’être devenue une icône féministe, n’a fait que s’accroître avec l’adaptation de ses aventures dans une série télévisée en 1969.

Un roman insulaire et communautaire

Nous, les enfants de l’archipel se présente comme un récit plus réaliste que les aventures de Fifi Brindacier. Astrid Lindgren y raconte l’aventure d’une famille orpheline de mère qui s’apprête à partir en vacances. La romancière n’en reste pas moins toujours aussi trublionne puisqu’elle s’adresse dès les premières lignes à son lecteur à qui elle propose, indirectement, un voyage mystérieux : « Par un matin d’été, descends donc sur le quai de Strandvägen à Stockholm, et s’il y a un petit bateau blanc qui dessert les îles de l’archipel, le Saltkrakan I – oui, le Cormoran, c’est le bon bateau –, il ne te reste plus qu’à monter à bord. » (p. 9)

Au départ, le roman n’est pas conçu comme tel. Il s’agit d’abord d’un scénario écrit par l’autrice dans le cadre d’une série télévisée1 diffusée en Suède en 1964 (et en France simplement en 1970). Cependant, devant le succès des épisodes narrant les péripéties estivales de Melker et de ses enfants durant un séjour sur une île, l’autrice rassemble les micro-récits et recompose une œuvre romanesque. De toute évidence, elle prend un malin plaisir à approfondir cette histoire qui imagine une société égalitaire au sein de laquelle les enfants jouent un rôle déterminant : « Il y avait de l’amitié entre Melker et Tjorven, une forme particulière d’amitié entre un enfant et un adulte, une amitié entre égaux qui sont parfaitement francs l’un envers l’autre, et qui ont le même droit de dire ce qu’ils pensent. Melker avait une part d’enfance en lui, et Tjorven avait autre chose – non pas de la maturité, mais une étonnante force intérieure qui faisait qu’ils pouvaient se considérer comme égaux ou presque. » (p. 139).

Promouvoir la lecture cursive du roman

La classe idéale pour proposer la lecture cursive de Nous, les enfants de l’archipel, semble celle de cinquième. Et ce pour deux raisons :

  • elle offre la possibilité de faire lire et de faire apprécier aux jeunes lecteurs un roman long de près de quatre cents pages ;
  • les thématiques du roman concordent parfaitement avec différents axes au programme : voyager vers l’inconnu, participer à la société et même imaginer des mondes nouveaux (ici un monde réel qui a les vertus d’une utopie).

En ce sens, il pourrait être intéressant de demander aux élèves de réaliser un carnet de lecture, où ils seraient à même de noter (citations, commentaires, dessins) tout ce qui leur a semblé étonnant dans cette histoire :

  • les conditions de vie sur l’île ;
  • le rapport entre les personnages (insulaires/étrangers qui font ici communauté) ;
  • les différences entre ce petit monde et le monde dans lequel l’on vit aujourd’hui.

Une lecture autonome (accompagnée)

Il importe de bien redéfinir les conditions d’une lecture cursive efficace et, de ce fait, rappeler que, même en cinquième, les élèves ne sont pas tous devenus des lecteurs experts. Ainsi, il sera important de prévoir, pendant le mois dédié à la lecture du roman, des temps de mise au point (15 minutes, une fois par semaine) en classe. Il s’agira de moments de verbalisation, où l’on répondra aux questions que les élèves se posent au fil de leur lecture.

Pour ces explications :

  • faire un premier point géographique, en commençant par rappeler que cette histoire est venue à l’esprit d’Astrid Lindgren à la suite d’un vol en hélicoptère au-dessus de l’archipel de Stockholm, pendant lequel elle a observé, fascinée, les innombrables petites îles qui le composent ;
  • insister sur les conditions de vie sur l’île : importance de la pluie qui pose des problèmes quand la maison de vacances fuit de partout, de la brume qui crée des ambiances fantastiques quand les enfants font une expédition en barque, etc. ;
  • voir comment les élèves se positionnent par rapport au mode de vie sur l’île (qu’ils pourront comparer au leur). Rapport plus étroit avec la nature et les animaux, solidarité entre les uns et les autres, goût pour l’aventure ;
  • dans un quatrième temps, faire le lien entre le texte et les illustrations « naïves » de l’illustratrice renommée Kitty Crowther2.

À ces aspects thématiques, on devra très certainement ajouter un apport narratologique. En effet, le récit se singularise par des changements de voix narrative. La fille aînée de Melker (Malin) écrit ainsi son journal intime dont le contenu est plusieurs fois dévoilé, alors que, de façon dominante, c’est un narrateur extérieur qui porte le récit. En outre, il donne souvent accès aux sentiments des personnages selon une modalité proche du discours indirect libre : « Les pensées de Malin s’étaient envolées dans une autre direction. Elle songeait au joyeux menuisier et à son épouse. Avaient-ils été heureux dans leur maison ? » (p. 35)

D’aucuns trouveront peut-être cette histoire surannée (au sens où elle est non urbaine et éloignée de la vie moderne). En tant que lecteur adulte, nous nous inscrivons en faux contre cette interprétation. Car, au travers de ce récit joyeux et profondément imaginatif comme elle en a le secret, Astrid Lindgren propose à ses lecteurs une forme d’utopie vivante et chaleureuse où « l’esprit cabane » reste préservé, et le temps de l’enfance est réinventé : « Et la cabane secrète se trouvait sur une autre île, une île déserte et secrète, les moins de douze ans y étaient interdits, c’était la règle avait déclaré Teddy. Chaque matin, pendant deux semaines, la bande des quatre avait pris la barque, ils avaient ramé avec énergie, à en faire jaillir l’écume, tandis que Tjorven, Pelle et Stina restaient sur le ponton, furieux de se sentir trop petits » (p. 176).

A. S.

Astrid Lindgren, Nous, les enfants de l’archipel, l’école des loisirs, Paris, 2022, 17 euros.

Ressources :

(1) Extrait de la série en version originale : https://www.youtube.com/watch?v=_jiTiTyGWp8
(2) Sur l’illustratrice : https://www.ecoledesloisirs.fr/auteur/kitty-crowther


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Antony Soron
Antony Soron