Tempête, de Christian Duguay : remise en selle

Le réalisateur de Jappeloup adapte le roman et la bande dessinée Tempête au haras, de Chris Donner, illustré par Jérémie Moreau. Il évite les scories du mélodrame sportif et familial en misant sur la justesse du jeu et des échanges, les décors, la passion pour le milieu équin et l’ambiance de la course. Par Ingrid Merckx, rédactrice en chef

Le réalisateur de Jappeloup adapte le roman et la bande dessinée Tempête au haras, de Chris Donner, illustré par Jérémie Moreau. Il évite les scories du mélodrame sportif et familial en misant sur la justesse du jeu et des échanges, les décors, la passion pour le milieu équin et l’ambiance de la course.

Par Ingrid Merckx, rédactrice en chef

Sébastien a aménagé la cabane devant le paddock, non loin de la piste. Il y a une rampe d’accès pour que Zoé y accède sans aide, et, face à une grande vitre, une couchette avec une poignée pour qu’elle puisse s’y hisser depuis son fauteuil roulant. L’adolescente finit par s’y installer complètement, décrétant qu’elle ne veut plus voir quiconque, ni de ses parents et de son frère, ni du haras, ni même son amie Madeleine.

Elle tourne également le dos à Belle Intrigante : sa poulinière préférée l’a renversée un soir d’orage, Zoé est tombée au sol et la pouliche Tempête, qui suivait sa mère, lui est passée dessus en lui brisant les vertèbres. Zoé ne peut plus se servir de ses jambes. Elle ne peut plus monter à cheval. Sa passion s’envole et avec elle son rêve de devenir jockey. Elle a 12 ans et se sent vide au point de plonger la tête dans des bassines…

Comment ne pas sombrer après un accident ? Tempête est filmé majoritairement du point de vue des parents : Philippe (Pio Marmaï), entraîneur, et Marie (Mélanie Laurent), vétérinaire. Le couple déploie toute son énergie et son affection pour tenir sa famille et son haras la tête hors de l’eau. Il est question de préserver ses rêves et ceux qu’on aime dans ce mélodrame sportif et familial qui comporte de quoi faire monter l’adrénaline – et les larmes – jusque chez les non-cavaliers.

Bon train

Christian Duguay, le réalisateur de Jappeloup (2013), va bon train : Tempête est filmé grand angle et plans larges dans des décors naturels, haras, écuries, pistes d’entraînement, hippodromes, qui lui confèrent cadre et cachet. La caméra est posée là où regardent ceux qui aiment les cheveux, les contempler et les monter. Elle suit les mouvements de la monte et de la vitesse quand le cavalier en suspension, le nez dans la crinière, a la vision troublée par le vent du grand galop.

Christian Duguay soigne le scénario en adaptant fidèlement le roman de Chris Donner publié à l’école des loisirs et déjà adapté en bande dessinée chez Rue de Sèvres avec Jérémie Moreau. Différence majeure : Jean-Philippe, le bébé qui naît dans le box de Belle Intrigante la même nuit que le poulain Komplotteur, s’appelle ici Zoé, et c’est une fille. Elle est plus dépressive et plus douce que le modèle initial, teigneux sous les traits de Jérémie Moreau, surtout sombre et révolté.

Pour le reste, sauf quelques prénoms et personnages, le film reflète scrupuleusement l’agencement de la bande dessinée, jusque dans les angles de vue de certaines cases, la nuit de l’accident par exemple, ou les planches où Jean-Philippe/Zoé se rêve la nuit s’échappant à cheval, cramponné à son encolure et à la liberté. Même le vernis satirico-comique sur certains, comme le couple de propriétaires du haras, est conservé.

Si l’enfant remonte la pente comme Tempête enchaine les victoires, au trot attelé ou au monté, le processus est affaire de lenteur et d’abnégation. Tempête verra ainsi trois fillettes endosser le rôle de Zoé à trois âges différents : June Benard, 5 ans, pour la formulation du rêve de devenir jockey ; Charlie Paulet, 12 ans, l’âge de l’accident et de la dépression ; Carmen Kassovitz, 17 ans, pour la résilience victorieuse. Entre les trois, une belle continuité de caractère bien trempé sous des cheveux bruns et une peau mate. Surtout une belle justesse dans l’expression comme dans les relations familiales, et des dialogues qui sonnent naturels sans les surlignages dévolus au genre.

Christian Duguay accorde aussi une attention pleine de tact au handicap : Sébastien « est différent, c’est tout, et il n’a pas son pareil avec les cheveux », répètent Zoé et son père à qui n’a pas eu la finesse de voir et de comprendre. « C’est qui la handicapée ? », lancera Sébastien, revanchard, au jockey qui regardera, dubitatif, Zoé battre finalement des records à cheval avec des prothèses sur mesure. Et sur Tempête, bien sûr.

I. M.


Tempête, film français de Christian Duguay, avec Mélanie LaurentPio MarmaïKacey Mottet-Klein, June Benard, Charlie Paulet, Carmen Kassovitz. En salle le 21 décembre.

Tempête au haras, Chris Donner,
l’école des loisirs,
140 pages, 8,70 euros.
Tempête au haras,
Chris Donner et Jérémie Moreau,
Rue de Sèvres,
72 pages, 14 euros.

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