Cultivons la langue française !,
de Michel Feltin-Palas :
recueil de curiosités

On a beau penser connaître notre langue, elle n’en finit pas de nous étonner. Le journaliste Michel Feltin-Palas a regroupé en un volume une trentaine d’articles publiés dans L’Express de 2019 à 2023, traitant chacun d’une spécificité de la langue.
Par Alain Beretta, professeur de lettres

On a beau penser connaître notre langue, elle n’en finit pas de nous étonner. Le journaliste Michel Feltin-Palas a regroupé en un volume une trentaine d’articles publiés dans L’Express de 2019 à 2023, traitant chacun d’une spécificité de la langue.

Par Alain Beretta, professeur de lettres

Dans le recueil aussi ludique que savant que constitue Cultivons la langue française ! (Éditions Héliopoles, novembre 2023), les amoureux de notre langue auront plaisir à (re)découvrir et à savourer le recensement de ses rouages, emprunts, évolutions historiques, etc.… Voici un avant-goût de quelques-unes de ces curiosités.

Surprises de l’origine des mots

Dans leur prononciation

Prenons un seul exemple : le cas de la lettre « h ». Quand elle débute un nom, pourquoi fait-on, ou non, la liaison avec le « n » de l’article « un » qui le précède ? Pourquoi prononce-t-on un « héros » ou des « haches », mais non un « (n)hiver » ou des « (z)hirondelles » ? C’est que ces « h » ont deux origines distinctes, romaine ou nordique. La première explique la liaison car, après la conquête de Jules César, « nos ancêtres les Gaulois » adoptent progressivement un latin vulgaire où le « h » initial ne se prononce plus. Plus tard, à l’écrit, on le réintroduit par souci étymologique : le mot « iver », issu de « hibernum », s’écrit alors « hiver », mais comme ce « h » ne s’entend pas, il autorise la liaison, et l’élision : les « (z)hivers ». En revanche, au Ve siècle, les envahisseurs nordiques apportent des « h » aspirés (« housse », « halle », « haine », « hache »), et le fait qu’ils se prononcent interdit cette fois élision et liaison.

Dans leur orthographe

On a tendance à justifier la manière d’écrire un mot en se référant à son étymologie. Or, de nombreux contre-exemples l’infirment. Ainsi, le mot « nombril », issu du latin umbilicus, aurait dû s’écrire « ombril » (comme dans l’adjectif « ombilical »), mais à force de dire « un ombril » en faisant la liaison, on a ajouté un « n » initial qui n’aurait pas dû apparaître. Dans d’autres cas, c’est en raison d’une anomalie historique que l’orthographe se trouve justifiée : c’est ainsi pour le mot : « grand-mère », et non « grande-mère ». La marque du féminin d’un adjectif est pourtant un « e » final, mais ici, « grand » a conservé sa forme ancienne d’adjectifs qui, du IXe au XIIIe siècle environ, ne prenaient pas de « e » au féminin. Ainsi, comme l’écrit plaisamment Feltin-Palas, « grand-mère a fait de la résistance », comme « grand-route » ou « Grand-Place ».

Dans leur nature grammaticale

L’origine d’un mot perd parfois son statut initial. Ce qui est aujourd’hui le pronom « on » était au départ un nom, « homme », issu du nominatif latin homos. Mais ce nom évolua sous différentes formes (huem, hom, om, on), jusqu’à ce que s’impose le « on » indéfini, « véritable couteau suisse de la langue française », ainsi que le définit Feltin-Palas.

Aléas des évolutions temporelles

Élargissement ou spécialisation du sens d’un mot

Certains mots ont peu à peu étendu leur signification. À l’origine, un panier ne servait qu’à transporter le pain ; la pommade ne désignait que la pulpe d’une pomme ; un épicier ne vendait que des épices ; si on arrivait, on débarquait forcément sur une rive. Un mot comme « bureau » a particulièrement pris de l’ampleur : au départ, c’est le morceau de bure posé sur une table, puis c’est cette table elle-même, puis la pièce où elle se trouve, enfin l’ensemble des gens qui y travaillent. Bien des jurons, eux aussi, évoluent en élargissant leur portée. Au départ, ils se rapportaient le plus souvent à la religion : le « nom de Dieu » et ses multiples déformations étaient logiquement liés au sens du verbe « jurer » : prononcer un serment en prenant Dieu à témoin ; aujourd’hui le juron est devenu plus terre à terre, plus souvent associé au mot « merde » ou autre.

À l’opposé, le sens d’autres mots s’est spécialisé. La viande a désigné tous les aliments utiles à notre vie, y compris fruits et légumes ; traire équivalait à tirer en général, et non pas seulement le lait du bétail ; un poulain (du latin pullus, jeune animal, qui a donné aussi le mot « poulet ») désignait les petits de toutes les bêtes.

Changement de sens

Certains mots désignent actuellement tout autre chose qu’à leur origine. Par exemple, ceux qui qualifiaient autrefois des mesures ont dérivé. La maille que travaillent les tricoteuses était, sous les Capétiens, une pièce de monnaie d’un demi-denier, soit la plus petite pièce de l’époque, équivalente à un centime d’euros. On sait davantage que le pied qui nous fait marcher a désigné une longueur de 32.48 centimètres, et que le pouce de notre main équivalent à un douzième de ce pied. Que dire alors du sens de ce pied dans « faire un pied de nez » et de celui de ce pouce dans « ne pas quitter quelqu’un d’un pouce » ?

Même un petit mot si courant que « trop » a évolué. Originellement, il signifiait simplement « beaucoup », sans indiquer un excès, car il avait été apporté par les Francs, qui qualifiaient par thorp un groupement, notamment un village. Mais à la fin du Moyen Âge, « trop » commence à prendre le sens de « plus qu’il ne faut », et son sens initial est remplacé par « très», adverbe dérivé du latin trans (« au-delà », « à travers »). Or, actuellement, ces deux adverbes se confondent : dans l’expression « c’est trop bien », il n’y a pas forcément l’idée d’excès.

Changement du genre

On a récemment bataillé pour savoir si on devait dire leou la Covid. C’est cette forme féminine que recommandait l’Académie française, dans la mesure où Covid est un acronyme d’origine anglaise dont le « mot noyau » est disease, soit « maladie ». Querelle de spécialistes, tant nombre de termes ont changé de genre au fil du temps. Certains sont passés du féminin au masculin : jusqu’au XIIIe siècle, on évoquait une art, uneévêché, unehonneur, unepoison, uneamour, etc.… (on a gardé unecomté, avec la Franche-Comté). En revanche, peut-être autant de mots se sont féminisés : on parlait jadis d’unaffaire, d’un alarme, d’un armoire, d’un dent, d’un dette, et, plus récemment, d’un automobile. L’évolution du statut de la femme a évidemment amplifié cette féminisation.

Pour ajouter à la confusion, certains mots, en changeant de genres, changent aussi de sens : « œuvre », plus souvent au féminin, désigne au masculin l’ensemble des productions d’un artiste ; « ouvrage », plus souvent au masculin, se féminise dans l’expression « de la belle ouvrage ». Des réalités concrètes diffèrent même nettement selon leur genre : ne pas confondre laréglisse (plante) et leréglisse (confiserie) ; le chèvre (fromage) et lachèvre ; un ou une manche, livre, page, poste, somme, etc.…

Curiosité des justifications historiques

Bornons-nous à trois exemples pour comprendre l’origine de trois détails d’écriture.

La cédille a été diversement justifiée. D’abord, pour les moines du Moyen Âge, il fallait, par souci d’économie, épargner du papier. Par exemple, au lieu d’écrire « éza », ils font passer le « z » sous le « c » : « ça ». Ensuite, la cédille a permis d’éviter des erreurs de prononciation de la lettre « c », en distinguant « s » ou « k ». Mais pourquoi ce nom de cédille ? C’est la langue espagnole qui l’explique. Lors de l’apparition de l’imprimerie, les Espagnols ont été les premiers à utiliser les machines de Gutenberg, écrivant parfois « z » sous un « c » ; or, en espagnol, « z » se dit zeda, et « petit z » zédille, d’où cédille.

Le tréma quant à lui, vient du mot grec trêma, trêmatos, signifiant « trou », « creux ». Les premiers trémas seraient apparus dans des manuscrits médiévaux sous une forme proche de nos accents aigus. À la Renaissance, ce signe, beaucoup plus utilisé, est nommé « points trématz» : c’est que ce dernier terme désignait les points des premiers dés à jouer, figurés initialement par deux orifices, renouant ainsi avec l’étymologie.

Plus courants, les accents aigus et graves, apparus au XVIe siècle, ont aussi leur histoire. En 1530 précisément, le lexicographe et imprimeur Robert Estienne propose d’instituer un accent aigu sur les « e » finals de mots comme « trompé » ou « corrigé », mais aussi sur le présent des verbes à la deuxième personne du pluriel : « vous chanté ». Dix ans plus tard, son collègue Étienne Dolet préconisera la forme « ez » pour ces verbes. L’accent grave, lui, d’abord utilisé pour distinguer la préposition « à », a longtemps été ignoré, notamment par l’Académie française, qui l’admet seulement en 1740 devant une syllabe muette. Mais cet emploi ne s’explique pas logiquement : si, dans cette édition de 1740, on écrit « avènement » et « événement », c’est que l’imprimeur du dictionnaire de l’Académie manquait d’accent grave pour le second « e » du dernier mot.

Michel Feltin-Palas multiplie ainsi les curiosités de notre langue, qui ne cessent de nous surprendre. Si, parfois, il faut convenir qu’elles peuvent nous agacer, reconnaissons qu’elles fascinent plus souvent par leur diversité. En tout cas, le journaliste de L’Express, auteur de la lettre d’information hebdomadaire « Sur le bout des langues », nous offre, avec Cultivons la langue française ! un concentré de culture générale tout en nous amusant.

A. B. 

Michel Feltin-Palas, Cultivons la langue française !, Éditions Héliopoles, 186 pages, 17 euros.


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Alain Beretta
Alain Beretta