Des prépas à bout de souffle ?

Ce sont les mêmes qui réclament la fin des classes prépas en les accusant d’élitisme et qui souhaitent les remplacer par des prépas privées onéreuses qui sélectionnent sur les revenus et non sur les capacités. Pascal Caglar s’insurge contre cette hypocrisie.
Par Pascal Caglar, professeur lettres en lycée (Paris)

Depuis quelque temps déjà, les classes préparatoires sont l’objet de campagnes virulentes d’opposants. Pour des raisons économiques (leur coût pour l’État), démocratiques (leur dimension inégalitaire et élitiste), académiques (leurs programmes inadaptés aux attentes des grandes écoles), psychologiques (la pression inhumaine sur les préparationnaires), ceux-ci réclament une réforme des modes d’entrée dans les formations supérieures d’excellence.

Toutes ces raisons sont fondées, débattues, rebattues, mais voici une histoire qui en dira peut-être plus sur la cause profonde qui menace le système de sélection par les concours :

N. P., adolescent ayant quitté sa scolarité au lycée avec un bac mention B, s’était inscrit en prépa HEC dans un lycée de bonne réputation, à mi-chemin des meilleurs et des pires établissements classés dans les magazines. Il s’aperçut rapidement que le rythme des enseignements, la masse de travail demandé et le niveau des attentes des professeurs dépassaient de beaucoup les efforts qu’il se jugeait capable de fournir. Se laissant aller ainsi durant les deux semestres, il se tourna en fin d’année vers les formations courtes proposées par les grandes écoles, sans concours d’entrée, délivrant un bachelor en trois ans ou un BBA (Bachelor in Business Administration) en quatre ans, et, cerise sur le gâteau, n’interdisant pas de réintégrer le programme grande école en master, celui-là même que les élèves de prépa HEC tentent dans le stress et la compétition.

N.P., sans changer d’attitude, sans prouver quoi que ce soit, s’est ainsi donné la possibilité d’obtenir un diplôme délivré par une grande école, certes pas le plus prestigieux mais valorisé et valorisant, après trois ou quatre années d’études non sélectives, de contrôles sans élimination, dans le décor agréable de ces parcours post-bac sans concours, le cadre sans pression de son cursus bling-bling, innovant et pragmatique, mêlant enseignement bilingue et travaux collectifs, stages et théorie, ambiance festive et atmosphère de travail.

N.P. a vu ainsi nombre de ses camarades de prépa échouer aux portes de la grande école qu’il avait pourtant franchies, lui le moins travailleur d’entre eux, par une voie parallèle et sans concours, un bachelor ou un BBA. Il a contourné « l’enfer des prépas » et, plus que cela, il a montré la voie à tous ceux qui haïssent l’épreuve, l’émulation et la confrontation avec la réalité. Les chiffres sont sans appel : au tassement du nombre d’élèves en prépa depuis deux ans correspond l’augmentation sensible du nombre d’inscrits en bachelor, formule, nous l’avons vu, dans l’air du temps, plus souple et plus accessible.

Ils sont désormais nombreux comme N. P. à préférer payer plutôt que de travailler comme un acharné, faire un prêt plutôt que faire des efforts, acheter un diplôme plutôt que le mériter, et, derrière lui, c’est la société entière qui se méfie des « grosses têtes », honnit l’effort, disqualifie la réussite par le travail, rêve d’une scolarité aussi « sympa » qu’un club de vacances, d’études-spectacles sans niveau à atteindre, où ChatGPT fera le boulot à la place de chacun.

Le drame dans cette affaire, c’est qu’il y a comme une convergence d’intérêt entre l’État qui peut voir d’un bon œil l’érosion prochaine du nombre de classes prépas, et les écoles de commerce ou autres qui calculent déjà les bénéfices à tirer de ces formations très lucratives (10 000 à 12 000 € l’année) et estiment négligeable le risque d’affaiblir leurs élites qui sortiront toujours des classes prépas survivantes.

Il y a donc un leurre dans ces études qui se profilent, payantes de bac + 0 à bac + 5, un leurre sur la qualité des diplômés hétérogènes et sans réelle mise à l’épreuve, et le suicide d’une société qui marchandise tout, transforme tout en consommation, les études comme la mode ou la culture.

Ce n’est pas sans frémir que l’on voit des gens issus du système traditionnel, sélectif et démocratique des prépas, imaginer des formations post-bac sur le modèle des écoles privées américaines, comme Monique Canto-Sperber, ancienne directrice de l’ENS (!), qui vient d’annoncer l’ouverture à la rentrée prochaine d’un bachelor pluridisciplinaire et humaniste nommé Atout+, formation hybride, mixte superficiel d’études littéraires et d’études commerciales, au recrutement sur entretien et lettre de motivation (évidemment), et au prix de 12 000 € l’année (qualité oblige). Mme Canto-Sperber voit-elle à terme son bachelor rivaliser avec les khâgnes ? Des normaliens issus de son « campus prestigieux » ?

Il y a bien de la duplicité à dénoncer les prépas comme un système qui favorise les riches, les nantis, les initiés, et vouloir le remplacer par un système de formations supérieures pour tous à 60 000 € la scolarité. Dans le fond, le monde économique ne veut qu’une chose : que toujours plus d’étudiants paient, et la société ne veut rien d’autre que : toujours plus d’étudiants diplômés. Le mensonge de cette situation ne peut échapper à personne.

La principale raison aux critiques qui frappent les classes prépas est donc d’origine morale : c’est l’évolution d’une société qui aime la compétition en tant que spectacle, mais la hait dans sa vie personnelle, qui a laissé s’effondrer le bac, les concours de recrutement dans la fonction publique, et la spécificité des grandes écoles françaises, une société qui se grise de loisirs et de fêtes, et veut la destruction de tout ce qui symbolise l’effort et le jeu naturel des capacités, société qui veut la facilité en tout et par tout, à commencer par les études et les diplômes.

P. C.

À retrouver la présentation hallucinante du bachelor de Monique Canto-Sperber :
https://www.atoutsplus.org/programmes/

Mais aussi l’article-canular du groupe Réussite : la fin des classes prépas en France :
https://groupe-reussite.fr/ressources/blog/fin-classes-prepa-france/


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Pascal Caglar
Pascal Caglar