Emmanuel Macron et le théâtre pour la galerie

Plutôt que de faire comme si rien n’existait en la matière et que la lumière ne venait que de lui, le président aurait pu valoriser le travail en place : la pratique du théâtre dans l’enseignement public est une tradition qui date d’avant la Révolution et qui anime déjà bon nombre d’établissements.
Par Pascal Caglar, professeur de lettres (Paris)

Plutôt que de faire comme si rien n’existait en la matière et que la lumière ne venait que de lui, le président aurait pu valoriser le travail en place : la pratique du théâtre dans l’enseignement public est une tradition qui date d’avant la Révolution et qui anime déjà bon nombre d’établissements.

Par Pascal Caglar, professeur de lettres (Paris)

Au cours de sa conférence de presse du 17 janvier, Emmanuel Macron a annoncé sa volonté que, « dès la rentrée prochaine, le théâtre devienne un passage obligé au collège ». Le théâtre donne confiance en soi, apprend l’oralité, le contact avec les grands textes, a ajouté le président de la République.

Les syndicats se sont immédiatement inquiétés, à juste titre, des implications concrètes de cette annonce, des modalités de mise en place (programme, évaluation, formation des enseignants ?), des conséquences sur les emplois du temps, des répercussions sur les enseignements artistiques corrélés, musique et arts plastiques.

Cette annonce n’est-elle qu’une idée, louable certes, en phase avec le « réarmement civique et culturel » appelé de ses vœux par le Président ou une idée condamnée à n’être qu’une illusion ? Quel bénéfice individuel retirer d’une heure d’oralité théâtrale obligatoire par semaine au milieu de classes à 35 élèves ?

Une vieille tradition de l’enseignement public

Plutôt que de faire comme si rien n’existait en la matière et que la lumière ne venait que de lui seul, le président aurait pu commencer par rendre hommage aux très nombreux professeurs qui, depuis des lustres, animent bénévolement des clubs ou des ateliers théâtre dans leur collège ou lycée, portés par leur seul amour des textes ou des élèves.

La pratique théâtrale sur le temps périscolaire est une tradition de l’enseignement public qui date d’avant la Révolution et dont l’histoire se perd dans les collèges. Personne n’a attendu une injonction obligatoire pour donner aux jeunes la possibilité de jouer, de s’exprimer, de s’épanouir autour de récréations théâtrales.

Il existe déjà d’ailleurs une documentation particulièrement abondante et pertinente sur les exercices et textes à jouer au collège, et des ouvrages de référence comme celui de Chantal Dulibine et Bernard Grosjean, Coups de théâtre en classe entière au collège ou lycée (Lansman Éditeur), sont connus depuis bien longtemps.

De ma brève carrière d’inspecteur, je n’ai jamais visité un collège qui n’ait ses jeunes profs enthousiastes et dynamiques, aguerris ou amateurs, qui ne conduisent des petits élèves jusqu’à un spectacle de fin d’année, pour la plus grande joie de tous.

Si le gouvernement regardait d’un peu plus près ce qui se passe, il saurait que, dans ces cours, ce n’est pas la fréquentation des grands auteurs qui compte, mais l’invention collective, les adaptations, les réécritures, les sketchs, une forme de culture populaire plus libératrice que normative.

S’appuyer sur ce qui existe déjà

Autrement dit s’appuyer sur ce qui existe déjà, l’encourager, lui donner des moyens, récompenser ses bénévoles, aurait déjà été un signe de compréhension du monde enseignant et un témoignage de reconnaissance et d’accompagnement.

En outre, si le théâtre pouvait être un modèle, une inspiration pour l’épanouissement individuel, il conviendrait pour cela de rendre les sorties au théâtre obligatoires et gratuites à tous les niveaux, du collège au lycée, ainsi que les rencontres avec des intervenants professionnels, des comédiens en résidence ou des troupes invitées.

La fréquentation des salles de spectacle et la rencontre avec des artistes sont encore trop inégalitaires malgré les efforts des théâtres eux-mêmes, et beaucoup d’enfants et de jeunes ne peuvent anticiper l’ouverture que représente une pièce avec toute l’inventivité déployée sur une scène. L’imagination nécessaire à la formation de soi se cultive à travers le contact répété avec l’univers des créateurs qui enchantent les plateaux, et, pour cela, il faut faire sortir les élèves dans des lieux de culture.

Le gouvernement, qui entend mettre l’accent sur l’éducation civique et personnelle, semble découvrir tout à coup les vertus de l’éducation émotionnelle et relationnelle, alors que les travaux, expérimentations et évaluations en la matière existent depuis plus de vingt ans. S’il n’est jamais trop tard pour bien faire, il ne faut pas s’y prendre n’importe comment.

Il y a fort à craindre que l’Éducation nationale s’y avance avec la lourdeur habituelle de ses programmes, sa technicité stérile et son carcan pédagogique, provoquant une corvée supplémentaire qui sera rapidement ressentie par tous, élèves et enseignants. Comment éviter que la pratique du théâtre, cette belle idée renouvelée le 17 janvier 2024, soit, comme beaucoup d’autres initiatives civiques, pénible, contreproductive et réduite à de la poudre aux yeux ?

P. C.

Ressources


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Pascal Caglar
Pascal Caglar