Exposition
« Bollywood Superstars – Histoire d’un cinéma indien »

L’exposition présentée au musée du Quai Branly invite à partir en Inde en danse et en musique, et à plonger au cœur de sa mythologie et de ses personnages qui, depuis les dieux jusqu’au cinéma, peuplent les imaginaires.
Par Philippe Leclercq, critique

L’exposition présentée au musée du Quai Branly invite à partir en Inde en danse et en musique, et à plonger au cœur de sa mythologie et de ses personnages qui, depuis les dieux jusqu’au cinéma, peuplent les imaginaires.

Par Philippe Leclercq, critique

Avec plus de 1 500 films par an, exportés aux quatre coins du globe, le cinéma indien est le plus prolifique du monde. « Bollywood Superstars », l’exposition qui se tient actuellement au musée du Quai Branly à Paris*, retrace la riche histoire de la production indienne, depuis ses origines inspirées du panthéon hindou jusqu’aux dieux vivants que sont les acteurs et actrices d’aujourd’hui. Une occasion rare de découvrir une cinématographie qui connaît en France un intérêt grandissant, mais dont la diffusion s’avère encore balbutiante.

Un cinéma, des cinémas

Des murs aux couleurs acidulées, des musiques sucrées et des voix flutées, des divinités, des légendes, des pages d’histoire représentées, et des extraits de films partout projetés dans des espaces baignés d’obscurité… Le visiteur de « Bollywood Superstars – Histoire d’un cinéma indien » est d’emblée plongé dans un univers délicieusement immersif, injonction faite aujourd’hui à toute exposition soucieuse de concilier plaisir des sens et désir de savoir. Plongé, mais pas noyé. Si le titre de l’exposition évoque l’idée du star-system – efficient en Inde, comme nulle part ailleurs –, son sous-titre restreint le coup de projecteur au seul cinéma bollywoodien fabriqué à Mumbay (Bombay) en langue hindi. L’industrie cinématographique indienne est si vaste qu’il convient, pour en prendre la mesure, de la comparer à la production européenne. Une carte géographique rappelle ici que l’Inde compte vingt-deux langues officielles, et autant de cultures, coutumes et croyances qui rendent vaine l’idée d’un cinéma commun. Le cinéma indien est, par conséquent, pluriel. En plus de Bollywood, situé à l’ouest (dans l’état du Maharashtra), on trouve notamment Kollywood, son grand rival du sud (Tamil Nadu), avec ses films tournés à Chennai (Madras) en tamoul, et Tollywood dans l’est, conçu à Tollygunge en bengali, ainsi qu’une flopée de cinémas régionaux, financés par le NFDC, l’équivalent de notre CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée).

Le pouvoir des images

Né en 1899, Bollywood est, à l’image d’Hollywood, une extraordinaire machine à rêves « où tout est embelli : la société, les visages, les corps, les maisons », explique Hélène Kessous, co-commissaire d’exposition et adjointe scientifique au musée départemental des arts asiatiques de Nice. Espace d’évasion, qui permet de fuir un quotidien parfois âpre, ce cinéma de divertissement suscite un engouement hors du commun au sein de la population indienne. D’immenses campagnes et shows accompagnent la sortie des blockbusters, et les stars, objet de vénération, sont suivis sur les réseaux sociaux par des dizaines de millions de fans. La diffusion télévisée de certaines séries, conçues par les mêmes studios, peut pousser à des arrêts de travail massifs de plusieurs heures.

Pour comprendre cette fascination, l’exposition prend d’abord soin d’expliciter la relation originelle du pays à l’image. Laquelle s’appuie sur la notion du darshan ou échange de regards. C’est, en effet, par la vue (le darshan) que passe le pouvoir d’une image divine, d’un lieu ou d’un personnage. Regarder un temple ou une icône (et être vu par elle) est un acte bénéfique qui renforce et protège. D’où la présence dans l’espace privé et public, dans des gares, sur les vitrines de magasins ou sur les véhicules, d’images à l’effigie d’un dieu. Aussi, le darshan a-t-il doté les arts visuels d’une fonction religieuse particulière et a renforcé la magie du premier cinéma. Rien d’étonnant à ce que les premières bobines racontent les exploits de la vie des dieux, prolongeant en cela la tradition du théâtre d’ombres et des conteurs ambulants dont témoignent sur le parcours de l’exposition quelques beaux rouleaux illustrés, lanternes magiques et autres autels portatifs à panneaux historiés du Ramayana (épopée de la mythologie hindoue).

Des aventures mythologiques

Au début du XXe siècle, se rendre dans les salles de cinéma itinérant, c’est aller voir des aventures mythologiques, qui représentent alors 70 % de la production bollywoodienne. À ces récits épiques, également empruntés au Mahabharata (l’autre grande épopée hindoue), s’ajoutent des récits hagiographiques des dieux que l’on retrouve dans les textes populaires, les purana. Aujourd’hui moins représentés à l’écran, les dieux demeurent néanmoins parfaitement identifiables dans certains archétypes de personnages tels que l’homme parfait « pour » le roi Rama, ou la femme idéale « pour » Sita, déesse de la fertilité et épouse de Rama…

À mesure qu’il grandit dans la première moitié du XXe siècle, le cinéma hindi aide à la consolidation de la nation indienne face au pouvoir colonial britannique. Les dieux, mais aussi de nouvelles figures historiques apparaissent, capables de fédérer les esprits dans un patrimoine culturel, historique et religieux commun. De grands noms de réalisateurs émergent, tels que Raj Kapoor (1924-1988) et Guru Dutt (1925-1964), qui bientôt seront associés à l’âge d’or du Bollywood des années 1960-1970 (qui connaît alors une renaissance après l’effondrement des grands studios des années 1940). De nouveaux producteurs arrivent, les budgets des films et les cachets des acteurs s’envolent. N’étant plus attachés à un studio, ceux-ci tournent sans relâche, et, selon la formule, « un film le matin, un film l’après-midi et un autre le soir. »

Un art total

Particulièrement coûteuses, les fresques historiques, commémorant la splendeur des cours mogholes et rajputes, sont des succès phénoménaux au box-office. L’Empire moghol, symbolisé par le Taj Mahal, y est montré comme modèle de prospérité, de tolérance religieuse et d’épanouissement des arts. Les Rajput, souverains hindous du nord, unis face aux envahisseurs, deviennent des chevaliers dont la force et la hardiesse égalent celles des dieux guerriers de la mythologie.

« Comme les autres arts du spectacle, le cinéma fait sortir les dieux des temples pour les montrer et les rendre accessibles au plus grand nombre. Ce sont les héros et les héroïnes des films qui servent de fil conducteur à l’exposition », indiquent Julien Rousseau et Hélène Kessous. Ainsi, la scénographie cherche à faire entrer le visiteur dans l’univers des films, avec de grandes projections et à travers un dialogue entre œuvres matérielles et cinéma. Peintures, photos, figurines, costumes et vidéos, l’exposition suscite également un programme riche de concerts, spectacles, visites, ateliers, DJ set et cours de danse.

Le cinéma bollywoodien est un art total. Les films qu’on y conçoit semblent n’avoir aucune limite, et s’étalent sur des durées de trois, quatre ou cinq heures. Leur mise en scène spectaculaire emprunte à tous les arts du spectacle en même temps : la comédie, la musique, le chant, la danse… Un espace réservé à Satyajit Ray, le plus occidental des cinéastes indiens et icône du cinéma d’auteur, en offre un contrepoint vertigineux et s’amuse de cette démesure incarnée par des superstars – Kajol Mukherjee, Amitabh Bachchan, Shah Rukh Khan alias « King Khan »… – qui accompagnent le visiteur d’un bout à l’autre de cette joyeuse et riche exposition. À noter : tous les dimanches, le jardin du musée invite à partir en Inde en danse et en musique. 

P. L.

*L’exposition « Bollywood Superstars – Histoire d’un cinéma indien » se tient au musée du Quai Branly – Jacques Chirac (Paris, 7e) jusqu’au 14 janvier 2024. Mardi, mercredi, vendredi, samedi et dimanche de 10h30 à 19h. Nocturne le jeudi jusqu’à 22h. Fermeture hebdomadaire le lundi, sauf durant les vacances scolaires, toutes zones confondues.


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Philippe Leclercq
Philippe Leclercq