Femme, vie, liberté :
un roman graphique en soutien à la révolte iranienne

Le 16 septembre 2022, Mahsa Amini était tuée par la police des mœurs en Iran pour n’avoir pas porté son voile de façon réglementaire. Sous la direction de Marjane Satrapi, l’autrice de Persepolis, dix-sept auteurs et illustrateurs reviennent sur la révolte qui gronde depuis dans un ouvrage graphique aussi poignant qu’éclairant.
Par Antony Soron, maître de conférences HDR, formateur agrégé de lettres, Inspé Paris Sorbonne-Université

Le 16 septembre 2022, Mahsa Amini était tuée par la police des mœurs en Iran pour n’avoir pas porté son voile de façon réglementaire. Sous la direction de Marjane Satrapi, l’autrice de Persepolis, dix-sept auteurs et illustrateurs reviennent sur la révolte qui gronde depuis dans un ouvrage graphique aussi poignant qu’éclairant. 

Par Antony Soron, maître de conférences HDR, formateur agrégé de lettres, Inspé Paris Sorbonne-Université.

Convertie à la réalisation cinématographique, Marjane Satrapi ne se considère plus « bédéiste » depuis 2004. Dans Femme, vie, liberté, ouvrage dont elle a assuré la direction, elle reprend cependant le crayon pour soutenir la révolte en cours en Iran en s’adjoignant les services de quelques-uns de ses pairs, comme Joann Sfar, Coco, Mana Neyestani, Catel ou Pascal Rabaté, soit, « quatre dessinateurs iraniens et treize autres venant d’Europe et d’Amérique ».

Le titre de ce livre de 271 pages correspond au slogan scandé dans les rues de Téhéran à la suite de la mort de Mahsa Amini, le 16 septembre 2022, lui-même inspiré par le slogan féministe kurde, « Jin, Jîyan, Azadî1». Avec l’appui de spécialistes de l’Iran, dont le politologue de la Fondation Jean-Jaurès, Farid Vahid2, Marjane Satrapi a entrepris de décrypter le mouvement de rébellion en le remettant en perspective sur le plan historique. Elle fait ainsi valoir dès le préambule « qu’il ne s’agit pas d’une éruption inattendue, mais d’une secousse majeure dans une longue histoire des femmes affirmant leurs droits […] »

Un ouvrage unifié autour d’esthétiques plurielles

Femme, vie, liberté est découpé en trois grandes parties. La première revient sur les évènements qui se sont déroulés en cette année de crise de la société iranienne. La seconde prend un peu de recul historique afin d’expliciter pourquoi et comment les Iraniens en sont arrivés là. La troisième complète la structure tripartite, présent/passé/futur, en montrant la pérennité d’un mouvement qui n’en est qu’à ses débuts. 

Dans Persepolis3, la petite « Marji » vivait son enfance à l’époque de la Révolution islamique qui a débuté en 1979 avec son lot d’infamies à l’encontre des femmes qui étaient « invitées » « à quitter l’espace public » (p. 13). Quarante-trois années, la jeunesse iranienne reprend le flambeau, écrasée par la violence innommable commise à l’encontre d’une jeune femme de vingt-trois ans. Ce que la bulle du dessinateur Bahareh Akrami restitue sans euphémisme : « Yâ Roussari Yâ Toussari (*) Voile ta tignasse ou je te tabasse » (p. 21).

Un hommage collectif à des héroïnes singulières

Si Femme, vie, liberté ne perd jamais de vue la martyre originelle du mouvement de rébellion, il dénonce aussi les autres crimes perpétrés par le régime iranien. Hadis, Nika, Aida, pour ne citer qu’elles, sont autant de victimes de la répression. Le chapitre « Des figures pour l’histoire » (p.168-187) leur rend hommage individuellement. Khonadour Lajai, dont une photo « prise par les forces de répression » est devenue virale sur internet, est « décédé des suites de ses blessures » le 2 octobre 2022. On voit en effet le manifestant « les mains attachées à un poteau avec une tasse d’eau placée devant lui (hors de sa portée)4 ». 

L’histoire de Sahar Khodayari, qui s’est immolée le 09 septembre 2019 après avoir été arrêtée par les miliciens, marque aussi profondément les esprits. Celle que l’on surnomme aujourd’hui, « La fille bleue », avait eu le tort d’entrer dans un stade de football alors que, comme le hurle le Mollah,
page 211 :
« La présence des femmes dans les stades est nuisible et ne fait l’objet d’aucune justification religieuse. »

Cette histoire tragique, « Chasse gardée », dessinée par Coco (p. 206-221), vient rappeler que l’histoire de la République islamique d’Iran demeure jonchée et entachée de décisions férocement arbitraires prises systématiquement pour annihiler toute velléité d’émancipation des femmes. 

On ne lit pas Femme, vie, liberté avec détachement. Les combattantes iraniennes martyres ou bien vivantes, retirant leur voile à Téhéran ou membres actives de la diaspora, à l’instar de la comédienne Golshifteh Farahani5, apparaissent, en effet, comme des femmes puissantes, inspirantes, conquérantes « pour la liberté6 ». Des femmes prêtes à poster, quoi qu’il leur en coûte, dans le monde entier, leurs indispensables lettres persanes. 

A. S.

Femme, vie, liberté, sous la direction de Marjane Satrapi, Éditions de l’Iconoclaste, 271 p. 32 euros. 

Notes

1 – Faut-il être stupide pour avoir de l’espoir pour l’Iran ? La question qui fâche avec Marjane Satrapi, France inter, Septembre 2023.
2 –  « Le régime iranien sait qu’au bout il y a la démocratie » : Grand Entretien spécial Iran, un an après,France Inter.
3 –  Bande-annonce du film Persepolis d’après le roman graphique de Marjane Satrapi. 
4 – « Khodanour Lajai : icône de la révolution » Global Voices, 14 décembre 2022.
5 –  Golshifteh Farahani au concert du groupe Coldplay , 28 ocobre 2022.
6 –  Clip de soutien réalisé par Marjane Satrapi.

Ressources

« Hymne » de la révolution iranienne : Barâyeh interprété par Shervin Hajpour

L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Antony Soron
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