Formation initiale :
répondre aux doutes des néoprofs

Dans quelle mesure la formation initiale dispensée dans les Inspé peut-elle être à la hauteur des exigences toujours plus fortes de stagiaires légitimement déconcertés par la complexité du métier ? Essai de réponse à quelques questions que se posent les enseignants débutants.

Par Antony Soron, maître de conférences HDR,
formateur agrégé de lettres, Inspé Sorbonne Université

Dans quelle mesure la formation initiale dispensée dans les Inspé peut-elle être à la hauteur des exigences toujours plus fortes de stagiaires légitimement déconcertés par la complexité du métier ? Essai de réponse à quelques questions que se posent les enseignants débutants.

Par Antony Soron, maître de conférences HDR,
formateur agrégé de lettres, Inspé Sorbonne Université

Le master Meef (métiers du professorat et de l’éducation) implique deux années deux formations distinctes. Au cours de la première année (M1), les étudiants sont initiés à la didactique de leur discipline et bénéficient d’une formation transversale censée leur apprendre les bases du métier, notamment sur le plan éducatif et sur la psychologie de l’élève. Pour les étudiants en lettres, les formateurs engagent une réflexion sur les enjeux de l’enseignement du français, les présupposés et les moyens de sa mise en œuvre en collège et en lycée. Afin que la formation ne soit pas trop déconnectée du terrain, les étudiants effectuent deux ou trois stages courts d’observation au fil de l’année.

Le M1 implique aussi de renforcer leurs compétences en matière de fondamentaux de la discipline et d’analyse littéraire : stylistique, linguistique, histoire littéraire, etc. Un axe concerne le métier, un deuxième la préparation du Capes, un troisième la recherche (dans la mesure où il s’agit d’un master), avec, comme visée, l’acquisition d’une méthodologie adéquate en vue de la réalisation d’un mémoire en M2.

L’année de M2 concrétise ce qui a été initié en M1. Les étudiants sont préparés au concours (épreuves écrites et orales du Capes) et approfondissent la didactique de leur discipline en mettant l’accent sur la dimension pédagogique. Par apport à l’année de M1, ils bénéficient de plus de temps en immersion dans les classes. Tout au long de l’année, ils sont accompagnés par un référent tuteur « terrain » en exercice, avec la possibilité de prendre en charge la classe de façon ponctuelle. Enfin, les étudiants doivent concevoir un mémoire à vocation professionnalisante conciliant l’apport de la recherche et un sujet en rapport avec l’enseignement du français en collège ou en lycée.

Si le master Meef bénéficie d’un cadrage national, sa mise en œuvre, dans le détail, reste dépendante de l’organisation interne des Instituts supérieurs de professorat et de l’éducation (Inspé) rattachés aux universités. Il est donc souhaitable d’aller sur le site de l’Inspé de son académie d’origine afin de se renseigner sur les spécificités de la formation dispensée.

« Je suis débordé »

Invités à faire le point sur leurs premières heures de classe, les lauréats des concours de l’enseignement soulèvent quatre types de questionnement qui correspondent aux principaux axes de la formation des enseignants : didactique, pédagogique, éducatif, intégratif :

– Comment penser mon enseignement ?
– Comment le mettre en œuvre efficacement ?
– Comment gérer les écarts de comportement ?
– Comment intégrer tous les élèves dans les apprentissages ?

Le plus déstabilisant pour les nouveaux enseignants, c’est le fait que « tout part(e) dans tous les sens », témoignent-ils, ou encore qu’« il n’y en a pas un au même niveau ». Le professeur stagiaire est tout de suite happé par la complexité de gestion d’une microsociété adolescente, très hétérogène, non seulement en termes de compétences scolaires, mais aussi du point de vue de l’adoption d’une posture d’élève « convenable ».

Ainsi, le premier sentiment auquel la formation des enseignants doit répondre, c’est celui d’une forme de débordement. La phrase la plus classique, après trois semaines de cours, est d’ailleurs « je suis débordé ». Débordé par la préparation de la classe, débordé par les élèves, débordé par les écarts de niveau entre eux, débordé enfin par la gestion du nombre d’élèves à « profil spécifique » à l’intérieur d’une seule et même classe, présumée d’un même niveau. Une somme d’impréparations.

La barre trop haut

Un des griefs récurrents à l’encontre de la formation serait son côté anxiogène. L’exigence didactique des formateurs plaçant la barre trop haut. « Les formateurs nous parlent de ‘‘ zone proximale de développement ’’ – différence entre ce qu’un enfant peut réaliser avec de l’aide et ce qu’il peut réaliser seul (ndlr) – mais ils ne se rendent pas compte qu’ils nous ramènent d’emblée à nos insuffisances… » Cette incompréhension n’est d’ailleurs pas reprochée seulement aux formations en Inspé, mais s’étend aux tuteurs qui accompagnent les professeurs stagiaires dans leur établissement. « On nous parle de concevoir une séquence, de différencier notre enseignement, mais en sommes-nous déjà là mi-septembre ? »

Ces observations sont à la fois justes et à nuancer. La formation implique d’entrer rapidement dans le vif, de poser des jalons et des perspectives, et le nombre dédié à tous les champs du métier reste très réduit. Elle demeure en décalage avec les besoins impérieux de l’enseignant débutant. Les critiques des stagiaires sont justifiées. Un enseignant débutant part d’une situation qu’il connaît ou garde en mémoire. Ses représentations de l’acte d’enseigner peuvent parfois relever d’idées reçues. D’autre part, la formation se verrait reprocher de pousser toujours plus loin la dimension pédagogique sans tenir compte de la réalité pratique.

Droit et pas droit ?

Le terme de « déconstruction » semble convenir à ce que le professeur débutant éprouve lors de ses premières semaines probatoires. En effet, il a souvent le sentiment de subir des situations qui ne correspondent pas à ce qu’il avait imaginé. La classe le confronte à une forme d’impensé : « Ce qui me gêne, c’est l’impression que tout ce que l’on croit savoir est caduque. »

Le néoprof est tout de suite confronté à la question embarrassante de savoir ce qu’il a le droit de faire. Dans une séance récente de tutorat avec des professeurs stagiaires de français à mi-temps, lauréats d’un concours et titulaires d’un master autre que le Meef, il a fallu orienter le début de la formation autour d’un jeu de questions-réponses : « J’ai le droit/Je n’ai pas le droit ». Droit de donner des dictées non préparées ? Droit de donner du travail à la maison ? Droit d’exclure un élève qui empêche ostensiblement les autres de travailler ? Droit de proposer un travail très différent à un élève qui ne maîtrise pas bien la langue française ? La liste est loin d’être exhaustive… Ces interrogations s’agitent dans la tête d’un stagiaire qui redoute en permanence de commettre une faute irréparable.

D’où l’idée de déconstruction. Entre ses propres représentations du métier et les exigences institutionnelles, la convergence ne peut se faire en un jour. En outre, c’est souvent le bon sens et non la règle qui permet de trancher. Par exemple, l’usage massif du terme « bienveillance » laisse penser à beaucoup que l’on ne doit plus rien reprocher à un élève, qu’il faut le comprendre en toute situation. On voit bien ici les limites d’un pareil degré de tolérance sur un plan strictement éducatif.

Imiter, c’est possible ?

Une des craintes du professeur débutant repose sur une présomption que la formation n’a pas toujours su remettre à son juste niveau. Un professeur stagiaire de français trouve évident de concevoir une séquence personnelle adaptée à chacune de ses classes en responsabilité. Il pense qu’il est interdit d’imiter ce qui a déjà été produit. Un bon nombre de jeunes professeurs s’interdit même d’utiliser le manuel de français à disposition des élèves : « Cela ne se fait pas ». S’il est louable de vouloir personnaliser une séquence, pourquoi faudrait-il partir de rien ?

La comparaison vaut ce qu’elle vaut, mais a-t-on déjà vu un écrivain ne pas commencer par imiter son écrivain préféré avant de trouver son style propre ? Dans les faits, cette obsession de l’originalité immédiate produit des résultats très inégaux. Il n’est pas rare, par exemple, qu’au début octobre, un jeune professeur constate, affolé, qu’il n’arrive pas à clôturer sa séquence 1, commencé cinq semaines auparavant. Or, il est entendu qu’il faut savoir terminer une séquence. De la même façon, comment bâtir une évaluation sans modèle alors même qu’il existe pléthore de modèles d’évaluation ?

Concilier préparation et formation

Parmi ceux qui ont renoncé à enseigner après quelques semaines ou quelques mois de classe, plusieurs explications sont données, oscillant entre deux perceptions du problème posé. « Je ne m’étais pas préparé à vivre de telles situations de classe. » / « Je n’ai pas été formé pour y répondre. » L’augmentation constante des démissions depuis plusieurs années invite à réfléchir à quelques-unes de leurs causes. Il est très clair que le métier subit un déclassement à la fois en terme économique (question des salaires) et au niveau de sa représentation sociale (que n’a-t-on pas ironisé sur le recrutement de vacataires par des jobs dating ?). En même temps, il faut constater qu’enseigner relève d’un exercice périlleux. Il est inévitable que se développe une forme d’insécurité professionnelle, voire préprofessionnelle. Pour autant, en ce qui concerne spécifiquement la formation des enseignants, il faut rappeler ce qu’elle peut (même si elle peut toujours mieux faire) et ce qu’elle ne peut pas faire.

L’exigence reste de former des professeurs, autrement dit des professionnels de l’éducation qui ne confondent pas activités et apprentissages. À cette fin, les Inspé se doivent de rester des lieux d’interrogations et de confrontations récusant l’idée d’une vérité modélisante pouvant s’adapter à tous les professeurs et à toutes les situations scolaires.

Pour autant, il faut que la formation assume davantage la nécessité du jeu de rôle, qu’elle s’autorise à créer des situations fictives à partir desquelles les formé(e)s sont à même d’éprouver des manières de dire, de faire et d’expliquer. De fait, face à la question : « Concrètement, avec mes élèves, ce que vous cherchez à mettre en perspective, ça donne quoi ? », il faut engager les stagiaires à davantage mimer des situations pédagogiques afin que la formation s’incarne à leurs yeux.

Le travail des Inspé – pourvu qu’on leur en laisse les moyens et le temps – doit œuvrer à accompagner les enseignants en devenir en faisant primer la remise en question sur la remise en cause. À l’heure où trop d’enseignants doutent qu’enseigner soit « un métier qui s’apprend » et qu’au moins autant continue d’affirmer que l’on acquiert l’essentiel de ses compétences en étant « confronté au terrain », il faut remettre les Inspé au centre du jeu et revoir les maquettes de parcours, avec l’intention de renforcer la formation des maîtres et non d’en réduire le coût.

A. S.

Ressources

https://www.cahiers-pedagogiques.com/enseignant-un-metier-en-mutation/

https://france3-regions.francetvinfo.fr/paris-ile-de-france/paris/enquete-pourquoi-j-ai-demissionne-de-l-education-nationale-trois-professeurs-temoignent-2558340.html

https://theconversation.com/debat-profs-en-premiere-ligne-la-formation-des-enseignants-en-question-119328

Antony Soron
Antony Soron