Formation : que promettent les écoles normales supérieures du XXIe siècle ?

La fuite dans la presse d’un diaporama sur « Les écoles normales du XXIe siècle » est confirmée : une nouvelle réforme de la formation des enseignants est enclenchée sous ce nom. Emmanuel Macron a annoncé le 4 avril que les concours se dérouleraient à bac + 3 à partir de 2025.
Par Antony Soron, maître de conférences HDR, formateur HDR, Inspé Paris Sorbonne-Université

La fuite dans la presse d’un diaporama sur « Les écoles normales du XXIe siècle » est confirmée : une nouvelle réforme de la formation des enseignants est enclenchée sous ce nom. Emmanuel Macron a annoncé le 4 avril que les concours se dérouleraient à bac + 3 à partir de 2025.

Par Antony Soron, maître de conférences HDR, formateur HDR, Inspé Paris Sorbonne-Université

La formation actuelle des enseignants ne faisait pas l’unanimité. Le positionnement des concours de recrutement (CRPE, Capes, CAPLP) en fin de master deuxième année (M2), à bac + 5, était pointé comme un des éléments responsables de la crise des vocations, car jugé trop tardif, notamment en termes de rémunération.

En déplacement le 5 avril dans un établissement scolaire du IXe arrondissement de Paris, le président – qui a, comme son Premier ministre, fait de l’école son « domaine réservé » – a annoncé officiellement la création des « écoles normales du XXIe siècle ». À compter de 2025, les concours de l’enseignement se dérouleront à la fin de la licence, soit à bac + 3. Les reçus poursuivront en master 1 comme élèves fonctionnaires et seront rémunérés dans les 900 euros net par mois – et non 1 400 comme d’abord annoncé avant une marche arrière le 11 avril. En master 2, ils toucheront 1 800 euros net par mois en tant que fonctionnaires stagiaires.

L’objectif est triple : élever le niveau qualitatif de la formation, mieux préparer à l’exercice du métier et en renforcer l’attractivité. Les stagiaires devront des années d’exercice à l’État, mais leur nombre n’a pas été précisé.

C’est un master professionnalisant, a résumé le chef de l’État. Les enseignants du primaire devraient passer une licence préparatoire au professorat des écoles (LPPE) davantage centrée sur les méthodes pédagogiques, la posture et les gestes professionnels. Ceux qui se destinent au secondaire poursuivront une licence disciplinaire (histoire-géo, lettres, maths) de leur choix avant de passer le concours.

Reprise en main

« On a l’impression d’une volonté de reprise en main et d’un affaiblissement des contenus de formations », a déploré Guislaine David, porte-parole du principal syndicat enseignant SNUIPP-FSU dans Libération. Elle redoute que ce projet ne fasse des enseignants des « exécutants et non des concepteurs ». En outre, l’attractivité ne repose pas que sur la rémunération, mais sur les conditions de travail, la mobilité et la formation continue, a-t-elle souligné.

Autre problème : pour ouvrir de nouvelles filières, les universités vont devoir en fermer « qui ont moins de débouchés », a expliqué Emmanuel Macron. Mais quels critères retenir ? Les nouvelles écoles normales vont aussi remplacer les anciens Inspé créés par Jean-Michel Blanquer en 2019, lors du premier quinquennat d’Emmanuel Macron.

« Qui va former les étudiants ? Est-ce que les Inspé vont continuer à exister et sous quel statut ? Resteront-ils des composantes universitaires ? », s’inquiète Alain Frugière, à la tête de lInspé de Paris, dans Le Monde.

Les « écoles normales supérieures du professorat » (ENSP) devraient avoir chacune à leur tête un inspecteur général disciplinaire et non plus un universitaire, s’est émue la FERC-Sup CGT dans un communiqué :

« […] le gouvernement prévoit bien que les universités soient dépossédées de la formation des enseignants. Les ENSP ne seraient plus liées aux universités et les personnels seraient choisis par le rectorat ou le directeur ».

Ce nouveau directeur se verrait confier la responsabilité du recrutement des enseignants formateurs (praticiens en service partagé pour au moins 50 %) et des enseignants-chercheurs. « Les actuelles propositions françaises de réforme des contenus de formation des enseignants empruntent une voie opposée à l’idée d’une autonomie professionnelle des praticiens dans leur activité d’enseignement », s’alarment deux professeurs en science de l’éducation, Patrick Bayou et André Robert, dans une tribune parue le 2 avril dans Le Monde, se référant à un projet du groupe de travail 2 (GT2) du conseil scientifique de l’Éducation nationale (CSEN). Ils relèvent ainsi que « sur neuf des membres le composant, ce groupe comprend six, voire sept, chercheurs se réclamant de références académiques aux neurosciences ».

L’annonce de la mise en place des groupes de niveau au collège et les rétropédalages qui ont suivi auraient dû inciter le ministère à plus de méthode et surtout de concertation. Cette réforme s’est pourtant faite sans le moindre dialogue, proteste le SGEN-CFDT.

Ni majeure disciplinaire ni recherche

Le document de travail projette les ENSP comme des établissements sui generis, autrement dit indépendants de l’université. Ce qui implique que le programme du LPPE (parcours préparatoire au professorat des écoles) ne soit ni doté d’une majeure disciplinaire, ni adossé à la recherche. Sur ce point, le SNUIPP-FSU, syndicat majoritaire pour le premier degré, se montre particulièrement critique, craignant une baisse regrettable des savoirs académiques.  

De la reprise en main ministérielle visant à une uniformisation des pratiques de formation, avec « une maquette nationale unique » découle aussi un nouveau recrutement des formateurs. La majorité des nouveaux formateurs ENSP, repérés comme des enseignants aguerris, seraient proposés par le rectorat et validés par le directeur, sous la forme de contrats de trois ans renouvelables une fois. Ce processus de recrutement s’appliquant aussi aux autres intervenants à la formation, PRAG-PRCE et enseignants-chercheurs. Ce qui inquiète les personnels actuellement en poste dans les Inspé sur leur devenir, et ce, quel que soit leur statut.

La refonte de la formation des enseignants comporte plusieurs étages. Le premier sur le professorat des écoles ; le second impliquant le professorat au collège. Étant entendu que l’agrégation reste intouchable, le Capes pourrait connaître le même sort que le CRPE, et se voir rétrogradé en fin de L3. Le lycée serait alors réservé aux agrégés.

« Les actuelles propositions françaises de réforme des contenus de formation des enseignants empruntent une voie opposée à l’idée d’une autonomie professionnelle des praticiens dans leur activité d’enseignement. », évaluent Patrick Rayou et André Robert dans leur tribune. Pas dit que ce soit un facteur d’attractivité. Qu’en pensent les actuels enseignants stagiaires ? Pourquoi ne pas avoir travaillé avec ceux qui ont déjà un pied dans le métier ?

« Réformer la formation des enseignants sans les acteurs susceptibles de la mettre en œuvre n’offre pas les garanties de son opérationnalité », analysent Laurent Gutierrez et Sarah Croché, co-présidents de l’Association des enseignants et chercheurs en sciences de l’éducation (AECSE), sur le site Café pédagogique le 9 avril. « Outre les problèmes de calendrier et de mise en œuvre, c’est ‘‘l’économie globale de la réforme’’, avec son cycle préparatoire et son cycle supérieur, qui laisse dubitatif », selon eux.

329 000 postes d’enseignants seraient à pourvoir d’ici à 2030 (Libération, 5 avril), mais seuls 261 000 jeunes sortis d’études débuteraient dans ce métier. Soit un delta de 68 000 postes potentiellement non pourvus.

Mal connue par les enseignants eux-mêmes, la formation initiale des enseignants compte assez peu de garde-fous. Cela explique sans doute qu’elle soit aussi régulièrement remise en cause sans que cela ne fasse grand bruit. Pourtant, comme le déplore un formateur Inspé, « sans aucune évaluation du système actuel », l’annonce de la création des nouvelles écoles normales supérieures du XXIe siècle tient du véritable passage en force. Absence de concertation avec les universités, absence de considération à l’égard des personnels en place dans les Inspé, est-ce vraiment cela « l’école de la confiance » ?

Le 22 avril, le Café pédagogique a publié un article annonçant que « plus d’un milliard d’euros non utilisés pour la formation des enseignants en 2023», soit 62,5% du budget dédié à la formation des personnels, d’après le rapport 2023 de la mission interministérielle enseignement scolaire pour la Cour des comptes. En 2022, c’était 611 millions d’euros, en 2017, moins de 80 millions. Les chiffres grimpent et la formation chute. « Ces actions regroupent les dépenses de masse salariale essentiellement liées à la rémunération des enseignants stagiaires, avant leur titularisation. Elles incluent également la rémunération des formateurs pour l’encadrement des stages et l’accompagnement individualisé dont fait partie le tutorat, ainsi que la rémunération à titre accessoire de fonctions support qu’on retrouve dans les vacations », indiquent les rapporteurs. Ils ajoutent d’ailleurs : « Il apparait que ces crédits ne concourent pas dans leur majorité à la formation des enseignants, mais font office de réserve consommée sur d’autres postes de dépenses, remettant en cause la sincérité de cette inscription budgétaire ».

A. S.


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Antony Soron
Antony Soron