« Ha’Meshotet » – « Le Vagabond » –, d’Avishai Sivan
L’un des films les plus intéressants qu’on puisse voir cette semaine sur les écrans est le premier long-métrage de fiction d’un jeune artiste israélien, dont les œuvres expérimentales ont été jusque-là plus présentes dans les musées ou les galeries qu’au cinéma. En particulier son journal intime filmé sous le titre The soap opera of a frozen filmmaker, primé en 2007 au festival de Jérusalem.
Le Vagabond est d’ailleurs, de l’aveu même du cinéaste, très autobiographique, non par son intrigue, mais par la personnalité et la situation du protagoniste Isaac, adolescent au nom surdéterminé, écartelé entre une communauté religieuse exigeante, une famille étouffante et ses propres aspirations à une vie sexuelle et spirituelle.
.
Une errance symbolique
De la yeshiva (école religieuse) où il étudie à la cuisine de sa mère où il est nourri, couvé, pressé de questions et sommé de respecter les décisions familiales, il cherche sa voie, entravée par un problème crucial de stérilité. Ne trouvant sa place nulle part, pour réfléchir et se détendre, il arpente interminablement la ville en quête de réponses aux questions qu’il se pose.
Errance symbolique à divers égards, plus morale que physique, à la fois personnelle et emblématique d’un peuple tout entier. Marche presque mécanique pour atteindre un état mental d’équilibre moins précaire. Le réalisateur a fini par supprimer la voix off qui devait accompagner ce vagabondage de l’esprit plus que du corps, de façon à imposer une voix intérieure, d’autant plus présente et subversive. Isaac n’est pourtant pas en lutte contre sa religion ; il voudrait s’y insérer, mais sa foi est mise à rude épreuve par une défaillance particulièrement grave dans une civilisation dont le commandement primordial est de croître et de multiplier. De là à se croire maudit…
La filiation est au cœur de l’intrigue, véritable enquête policière du jeune homme sur les causes possibles de sa stérilité. Ses parents y sont-ils pour quelque chose ? Isaac, fils unique, subit-il les conséquences de leurs erreurs ou de leur légèreté ? Entre révolte et soumission, entre colère et respect, il ne peut se calmer qu’en suivant pas à pas les pistes qui s’offrent à lui. Mais le film vaut surtout par ses ellipses, ses mystères à moitié résolus. Car son véritable objet n’est ni la découverte d’un secret, ni une charge contre cette famille ou la communauté orthodoxe, mais la mise en pratique d’un dogme cinématographique.
.
L’histoire d’un cheminement intérieur
Avishai Sivan filme avec le recueillement et la rigueur de la foi. L’écriture cinématographique est sa religion et sa morale. Peu de mouvements de caméra. Au découpage comme au montage, des séquences fractionnées à l’extrême privilégient le plan, qui fait passer l’état d’intense introspection avant la linéarité du récit. Plans larges comme ceux de la frêle silhouette se détachant sur d’immenses murs en pierres millénaires ou en béton, plans fixes pour faire croître la tension, accentuer le sentiment du piège dans lequel Isaac se débat.
Les comédiens, non professionnels pour la plupart, en particulier le jeune Omri Fuhrer, trouvé sur Facebook, le réalisateur israélo-palestinien Ali Nassar dans le rôle du père, ou Ronit Peled dans celui de la mère, donnent, par leur jeu naturel, une vérité plus intime et symbolique que réaliste, mise en valeur par la stylisation de l’image.
Loin de tout pathos et de tout maniérisme, Le Vagabond, histoire d’un cheminement intérieur qui passe par la douloureuse remise en question de toutes les certitudes, s’impose comme un film profondément humain et d’une puissante originalité formelle.
Anne-Marie Baron
.
• Tout le cinéma sur www.ecoledeslettres.fr
belle critique qui donne des clefs pour comprendre ce film et aussi des raisons d’aller le voir; ce que je vais faire.
phb
Cette critique donne envie de voir le film. Apparemment, c’est un film assez mystérieux, et par le cas traité (origine et signification de la stérilité du personnage principal), et par le style adopté par le metteur en scène. Ces plans fixes et stylisés rappellent probablement le symbolisme des plans d’Eisenstein dans “Ivan le Terrible”. C’est en tout cas un film qui se détache de la production courante. J’irai certainement le voir.