Hausse du salaire des enseignants :
une revalorisation en trompe-l’œil ?

En Europe, les enseignants français sont les plus mal rétribués alors que leur charge de travail hebdomadaire reste l’une des plus lourdes. Les hausses de salaire annoncées par le ministère de l’Éducation nationale peuvent-elles endiguer la crise d’attractivité du métier ?
Par Antony Soron, maître de conférences HDR, formateur agrégé de lettres, Inspé Paris Sorbonne-Université

Après l’épisode tendu de la réforme des retraites, Emmanuel Macron entend jouer l’apaisement en faisant des annonces, notamment dans le champ de l’Éducation. Dès le 20 avril, le président de la République a choisi un petit cercle de professeurs, élèves et parents d’élèves d’un établissement de l’Hérault pour promettre, en présence de son ministre en charge, Pap Ndiaye, une augmentation comprise « entre 100 et 230 euros par mois » pour « tous les enseignants », à la rentrée 2023.

Cette revalorisation salariale touche en premier lieu « l’indemnité de suivi », ISAE pour le premier degré et ISOE pour le second1. Elle sera effective en septembre 2023, et correspondra à une augmentation de près de 100 euros par mois. Le ministère prend soin de valoriser le caractère universel de ce « coup de pouce » : « En choisissant de revaloriser les primes assurant la reconnaissance de la charge de suivi des élèves, qui sont perçues par l’ensemble des professeurs, le ministère veille à l’égalité des rémunérations entre les femmes et les hommes, indique-t-il sur son site. Cette part de rémunération est indépendante de tout engagement dans des activités complémentaires aux obligations de service2»

À titre d’exemple, en termes de rémunération mensuelle de base, un professeur certifié ou des écoles à l’échelon 2 de la classe normale (de 1 à 2 ans d’ancienneté) passeraIT de 1926 euros (septembre 2022) à 2076 euros net en septembre 2003, soit une augmentation de 10%, du fait de la revalorisation de l’ISOE (2nd degré) et de l’ISAE (1erdegré), d’après le ministère.

Créée en 1993, « l’indemnité de suivi » (ISOE) n’avait jamais été revalorisée. Son doublement est donc perçu comme une bonne nouvelle. En revanche, la prime spécifique allouée aux professeurs principaux (ISOE part modulable) n’est réévaluée de façon substantielle (50 %) que pour les classes dites « charnières », à savoir celles de première, terminale et deuxième année de CAP. De quoi mécontenter ceux qui exercent cette fonction en collège. En trente ans, le suivi des élèves par leurs professeurs a beaucoup évolué. Le temps à échanger avec des parents de plus en plus demandeurs, par le biais de l’Espace numérique de travail (ENT) notamment3, a beaucoup augmenté, a fortiori depuis la période du confinement. En outre, l’augmentation des profils spécifiques à l’intérieur des classes et des divers dispositifs d’individualisation leur correspondant – Plan d’accompagnement personnalisé4 et GEVA-sco (Guide d’évaluation des besoins de compensation en matière de scolarisation5) – a considérablement alourdi la charge éducative de la fonction des professeurs. En collège, tout ce qui a trait au suivi et à l’accompagnement des élèves (par exemple les réunions dites « équipe éducative6 ») connaît un développement sans précédent. De quoi faire apparaître le doublement de la prime comme symbolique.

Les augmentations prévues pour septembre 2023 ne devraient même pas compenser les pertes du pouvoir d’achat subies par 70 % des enseignants depuis janvier, a calculé le collectif Nos services publics dans une étude publiée le 27 avril. « L’inflation prévue d’ici décembre 2023 est de 5,5 % », poursuit le collectif en se concentrant sur les enseignants du second degré« Même avec les mesures annoncées, leur pouvoir d’achat sera inférieur en décembre 2023 à ce qu’il était en décembre 2022 », ajoute-t-il, comparant la situation à « la montée d’un escalator qui descend ». « Depuis 2000, la totalité des mesures salariales prises à l’endroit des enseignants a consisté, non pas en une revalorisation, mais en une limitation de la chute de leur pouvoir d’achat. »

Pour le Snes, principal syndicat du second degré, « le compte n’y est pas […] En période de forte inflation, il est essentiel de revaloriser le point d’indice, clef du calcul de nos salaires, et de réindexer son évolution sur l’inflation pour éviter les pertes de pouvoir d’achat à venir. C’est plus de 20 % de revalorisation de la valeur du point qu’il faudrait obtenir pour compenser les pertes antérieures. »

Une vérification publiée par l’AFP Factuel le 26 avril confirme sous le titre « Les imprécisions de Pop Ndiaye sur les hausses de rémunérations des enseignants » : « La hausse moyenne n’atteindra à la rentrée, selon ces projections, que 5,5% par rapport à septembre 2022. C’est en fait par rapport à 2020 qu’elle dépasserait les 10% pour atteindre près de 12%. Le document, rendu public depuis par le ministère, montre aussi de fortes disparités : pour une majorité d’enseignants, la hausse à la rentrée prochaine sera inférieure à 5% sur un an, et donc à l’inflation. »

Un nouveau pacte ?

Le 20 avril, le président a également lancé son « pacte enseignant », dispositif qui doit permettre aux professeurs d’assumer de nouvelles missions en échange d’une rémunération supplémentaire. « J’assume ce choix d’un investissement un peu différencié pour ceux qui font des efforts supplémentaires et systématiques », a-t-il déclaré. Le retour du « travailler plus pour gagner plus » à l’école n’est pas du goût des syndicats qui y voient de manière unanime de fausses augmentations et une manière d’instaurer des inégalités de corps.

Concrètement, les enseignants pourront, sur la base du volontariat, signer, à chaque nouvelle rentrée, une lettre d’engagement attestant qu’ils sont prêts à remplir de une à trois missions au cours de l’année scolaire, pour une rémunération allant de 1 250 à 3 750 euros sur l’année. Le premier ensemble de missions porte sur des activités pédagogiques en présence des élèves avec, comme objectif essentiel, le remplacement de courte durée (pour les professeurs du second degré) et du soutien en français et en mathématiques en classe de sixième (pour les professeurs des écoles). Le second ensemble de missions implique, quant à lui, la coordination de projets pédagogiques et/ou éducatifs à visée intégrative. 

Nombre de professeurs trouveront dans les missions proposées un bon moyen de revaloriser leur salaire. Mais un enseignant du second degré effectue en moyenne plus de 40 heures de travail hebdomadaire8 sur la base d’un service de 18 heures devant élèves pour un professeur certifié : difficile d’envisager des missions complémentaires dans ce cadre, a fortiori quand les professeurs de collège et de lycée ne peuvent déjà pas refuser un minimum de deux heures supplémentaires. En outre, une fois le pacte accepté, les missions prioritaires ne seront plus laissées au choix de l’enseignant.

Qu’en sera-t-il dans les établissements où il n’y aura pas ou pas assez de volontaires ? Et quelle est la logique pédagogique ? L’enseignement tel qu’il est prescrit dans les Inspé suppose non seulement de préparer ses séances, mais également d’entrer dans une logique de didactisation des savoirs et des méthodes. Autrement dit, une séance profitable aux élèves suppose d’avoir été pensée en amont. Il n’est pas sûr qu’en effectuant plus de vingt heures de cours hebdomadaire et en accumulant des « missions » secondaires, un professeur ait vraiment le loisir de concevoir des apprentissages efficients pour un plus grand nombre d’élèves en tenant compte de la nécessité de s’adapter au mieux à l’hétérogénéité croissante des classes. Il conviendrait ainsi de passer à une logique plus qualitative, impliquant, entre autres, un renforcement des temps de formation continue.

A. S.

Ressources :

Lire également : L’oral de mise en situation professionnelle sonne-t-il le glas du Capes ?

(1) https://www.publicsenat.fr/actualites/education/salaires-des-enseignants-les-mesures-annoncees-ne-sont-pas-de-nature-a-creer-ce
(2) https://www.education.gouv.fr/revalorisation-des-remunerations-des-carrieres-et-des-missions-des-professeurs-ce-qui-change-la-377936
(3) https://eduscol.education.fr/1050/espaces-numeriques-de-travail
(4) https://ecole-et-handicap.fr/handicap-et-scolarisation/le-pap-plan-daccompagnement-personnalise-scolarisation/
(5) https://www.monparcourshandicap.gouv.fr/scolarite/quest-ce-que-le-geva-sco
(6) https://www.ac-reims.fr/qu-est-ce-qu-une-equipe-educative-121599
(7) https://alsace.sgen-cfdt.fr/actu/quelle-augmentation-de-mon-salaire-en-2021/
(8) https://www.lemonde.fr/politique/article/2012/11/16/temps-de-travail-des-enseignants-derriere-les-fantasmes_1791478_823448.html


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Antony Soron
Antony Soron