Hélène Dorion, première auteure vivante
au programme du bac avec Mes forêts

Le 10 mars, la Québécoise était invitée à la Maison de la poésie. C’était sa première rencontre publique à Paris depuis que son recueil, Mes forêts, a intégré, pour trois ans, les programmes du baccalauréat de français.
Par Antony Soron, maître de conférences HDR, formateur agrégé de lettres, Inspé Paris Sorbonne-Université

Au Québec, l’équivalent du baccalauréat n’a pas le prestige historique de l’examen promu par Napoléon Ier en 1808, à l’époque où le « pays de l’hiver1 » n’était encore que le Bas-Canada. C’est dire si Hélène Dorion, poétesse québécoise plusieurs fois primée dans son pays et dans le monde francophone, s’est sentie honorée quand elle a appris que son recueil Mes forêts entrait pour trois ans dans les programmes du bac de français. Hélène Dorion devient donc la première écrivaine vivante à intégrer les œuvres étudiées pour cet examen. Cette créatrice polygraphe, amoureuse de la poésie d’Yves Bonnefoy, fervente lectrice, aussi, de Philippe Jacottet et Pierre Reverdy, s’est dite émue de voir son œuvre côtoyer celles d’Arthur Rimbaud et de Francis Ponge.

Un signal fort

Il faut se réjouir à plus d’un titre que le recueil d’Hélène Dorion ait été retenu. Cela participe d’une part d’un infléchissement des programmes vers des œuvres très contemporaines, comme Juste la fin du monde, de Jean-Luc Lagarce. Cela donne aussi un signal fort quant à la reconnaissance des littératures francophones.

La poétesse ne boude d’ailleurs pas son plaisir, assumant pleinement son goût pour la langue française, elle qui s’est déplacée progressivement de la philosophie à la poésie en dévorant des œuvres, comme celle de Camus, où le concept n’exclut pas la métaphore. Dans la rencontre animée par Nicolas Dutent à la Maison de la poésie, devant un parterre copieusement rempli, et en présence de son éditeur, découvreur de talents poétiques, Bruno Doucey, Hélène Dorion garde le mot juste, le mot vibrant. La poétesse n’aime rien tant qu’un langage qui pénètre l’autre, un langage de l’émotion nourri par les « failles » d’une femme perpétuellement en questionnement sur son propre rapport au vivant et sur celui de ses contemporains, et ce, bien au-delà des frontières du Québec.

« L’aube s’infiltre
touche l’écorce blessée »

Apprendre des arbres

Hélène Dorion a longtemps vécu dans les Laurentides avant de rejoindre la région de l’Estrie. La présence de la forêt autour d’elle est consubstantielle à sa présence au monde depuis l’enfance. Alors que le confinement l’a obligée, comme le monde entier, à « s’encabaner » dans sa maison, la forêt est naturellement devenue tout autre chose que le décor familier de son existence. Ce serait comme si elle avait éprouvé la viscérale nécessité que les arbres entrent en elle, qu’ils lui apprennent tout ce qu’elle ignore, elle, membre de l’espèce homo sapiens.

Le titre du recueil Mes forêts, publié en 2021, ne doit pas induire de contresens. Il n’est pas question ici, de façon primordiale, d’une appropriation des forêts qui l’entourent. Inversement, il s’agit de revenir à leur matière première, au tronc, à l’écorce, aux feuilles, ainsi qu’à tous les bruits sauvages qui la caractérisent. Hélène Dorion considère l’acte poétique comme l’attestation d’une présence en même temps que la tentative, sans cesse renouvelée, car impossible dans l’absolu, d’une réconciliation entre l’être vivant et l’être qui exploitent le vivant.

« Mes forêts
racontent une histoire
qui sauve et détruit
sauve
et détruit. »

Vibrations du silence

Quand elle le lève et pose son recueil sur le pupitre, quand elle prend son premier souffle pour ne plus jamais le perdre pendant sa lecture, Hélène Dorion laisse une place aux vibrations du silence. En compagnie de son éditeur, elle a d’ailleurs beaucoup réfléchi à la question de la ponctuation dans sa poésie. À ses débuts, a-t-elle indiqué en substance avec une note d’humour, elle était très pointilleuse sur son usage, valorisant notamment le point-virgule, souvenir peut-être de sa première carrière dans la philosophie.

Comme un pianiste qui n’aurait plus besoin de métronome pour rythmer la mélodie, elle a trouvé son propre rythme, ses propres pulsations. Elle a alors aboli la ponctuation, raréfié les majuscules et privilégié la rime libre. En effet, il lui apparaît essentiel que le lecteur s’approprie le vers ; en somme, que « mes forêts » devienne « ses forêts ». À cette fin, il importe de ne pas trop en dire, donc de suggérer, de couper court à l’emphase rhétorique. Pour Hélène Dorion, philosophe devenue poétesse en fondu enchaîné, au commencement n’aura donc pas été le concept mais la métaphore.

Un craquement de branche

Maintenant que le recueil a été estampillé « œuvre littéraire au programme du bac de français », dans le cadre du parcours « La poésie, la nature, la nature, l’intime », reste à savoir comment les professeurs de lettres, qui, pour la plupart, ignorent la littérature québécoise, et leurs élèves, qui, pour beaucoup évoluent dans un univers bétonné, vont lire Mes forêts. Leur paraîtra-t-il trop dépaysant ? Les conduira-t-il en des espaces trop étranges car trop peu observés ? Rien n’est moins sûr : le court-métrage réalisé par Pierre-Luc Racine intitulé « Le bruissement du temps », qui a ouvert la rencontre avec Hélène Dorion à la Maison de la poésie, a littéralement captivé les spectateurs/auditeurs. Et il y a fort à parier que l’effet aurait été identique avec un public plus jeune.

La poésie d’Hélène Dorion est faite de mots simples. Loin de s’éloigner du monde pour se réfugier en forêt, elle le retrouve, interprété autrement, à partir, par exemple, du craquement d’une branche. Par ailleurs, le monde civilisé n’est-il pas peuplé de « forêts » d’antennes ?, a osé la poétesse à la fin de cette belle soirée. Le web omniprésent n’implique-t-il pas une foule d’interrelations et de connexions sur le modèle des arbres qui tissent leur « toile » ? À cette différence, par rapport à sapiens, que leur fonctionnement en rhizome s’ancre sur des liens racinaires, faits de terre et d’humus, tout sauf virtuels.

Ode au Québec, pays d’Émile Nelligan, de Gaston Miron et de Jacques Brault, ces maîtres méconnus en France cités par Hélène Dorion, Mes forêts porte de quoi en réconcilier plus d’un avec le vivant.

A.S.

*Info bac : L’École des lettres prépare une séquence consacrée à Mes forêts d’Hélène Dorion, à retrouver prochainement sur ecoledeslettres.fr.

Notes

1 – Selon l’expression de l’auteur, compositeur et interprète québécois Gilles Vigneault.

Ressources

  • Hélène Dorion, Mes forêts, éditions Bruno Doucey, 160 p., 5,90. (Postface de l’éditeur).
  • Le site de l’auteure propose une lecture d’un extrait de Mes forêts par elle-même, l’écoute de pièces musicales qui ont accompagné l’écriture du recueil ainsi que la synthèse des « critiques » publiées dans la presse : https://helenedorion.com
  • Le court-métrage de Pierre-Luc Racine, « Le bruissement du temps ».

L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Antony Soron
Antony Soron