La révolution permanente de la formation des enseignants

ESPEDans le vocabulaire courant, l’acronyme IUFM a encore pignon sur rue, alors même que les Instituts universitaires de formation des maîtres, fondés à l’initiative de Lionel Jospin en 1990, ont été remplacés par les ÉSPÉ (Écoles supérieures du professorat et de l’éducation) depuis 2013.
Pour autant, tout à sa logique réformiste, le ministre de l’Éducation nationale a parié sur un nouveau changement de sigle : les ÉSPÉ sont promis à disparaître au profit des INSPÉ (Instituts supérieurs du professorat et de l’éducation). Cette nouvelle dénomination allant naturellement de pair avec un changement de philosophie de la formation des enseignants du premier et du second degrés.

L’explicite et l’implicite d’une réforme

Le noyau dur de la formation des enseignants français se situe actuellement au niveau de la première et de la deuxième année du Master MEEF (master de l’enseignement, de l’éducation et de la formation) avec comme spécificité la passation du concours en M1 et une deuxième année de formation professionnelle en alternance. S’appuyant sur les conclusions du rapport dit « Ronzeau / Saint-Girons », qui lui a été remis le 18 février 2019, le choix du ministre a été de casser ce scénario de formation en adoptant une logique de pré-professionnalisation dès la deuxième année de Licence (L2) et en déplaçant le concours en fin de M2.
Le motif explicite de ce bouleversement de l’architecture de la formation enseignante tient en un principe présumé de bon sens : plus les étudiants seront confrontés tôt au terrain et à la réalité de la mission éducative, plus ils seront à même d’en saisir précocement les enjeux et de se préparer à leur futur métier. À ce premier motif, il convient cependant d’en ajouter un autre, beaucoup plus implicite, sinon non-dit dans la communication ministérielle, celui de vouloir faire de substantielles économies en abolissant purement et simplement le statut de professeur stagiaire : soit un titulaire d’un concours d’enseignement payé au niveau M2 à salaire plein tandis qu’il n’exerce qu’à mi-temps en alternance avec des journées de formation sur son établissement d’affectation.
Si l’on se réfère à la page du communiqué de presse ministériel consacrée à la question, on ne peut d’ailleurs que constater le décalage entre la proposition d’éléments chiffrés concernant la rétribution des nouveaux assistants d’éducation contractualisés sur trois ans (du L2 au M1) et l’absence totale d’informations sur la future situation financière des étudiants de Master 2. Preuve en est sans doute qu’il s’agit bien ici d’une question épineuse comme le relevait déjà le rapport « Ronzeau / Saint-Girons, page 29 :

« Mais ce schéma soulève également plusieurs interrogations :
D’une part, il repousse la titularisation et l’entrée dans le métier au niveau d’un an (T1 actuel) et, par là-même, la rémunération liée à la qualité de fonctionnaire stagiaire, ce qui peut générer un sujet social. Cette solution qui conduit à rémunérer les lauréats des concours une année plus tard qu’actuellement présente aussi des risques en terme d’attractivité avec la possibilité d’une diminution du nombre de candidats […] » (nous soulignons).
 

Un désaveu des acteurs actuels de la formation ?

Dans le même temps, le ministre accrédite l’idée que la formation actuelle est partiellement inadaptée du fait même du statut de ceux censés la dispenser. Ici encore, il s’appuie sur des éléments énoncés dans le rapport « Ronzeau / Saint-Girons » :

« La gestion des ressources humaines des ÉSPÉ est complexe, du fait de plusieurs caractéristiques : faible part d’enseignants-chercheurs, faible proportion de professeurs des universités parmi eux, part importante de personnels enseignants du premier et du second degrés affectés dans le supérieur (PRAG et PRCE), parfois depuis plusieurs décennies, présence insuffisante de professionnels effectivement sur le terrain, apport des formateurs en temps partagé dont le potentiel n’est pas toujours bien connu et l’impact sur la formation pas toujours identifié » (p. 10, nous soulignons).

Ce qui revient à dire que le mouvement continu de professionnalisation doit désormais reposer essentiellement sur des professeurs en poste, présentés comme seuls susceptibles de donner des conseils pratiques et d’adopter une approche pédagogique raisonnée et pragmatique face à des débutants :

« Il implique qu’au moins un tiers du temps de formation soit assuré par des praticiens, professeurs exerçant en parallèle devant des classes du degré d’intervention du stagiaire » (communiqué de presse du ministère, 21 février 2019).

Désireux d’homogénéiser les contenus de formation dispensés dans les différents instituts de l’hexagone, la réforme entreprise défend en outre un objectif d’unification des discours de formation pour ne pas dire, comme d’aucuns le craignent, un objectif de cadrage normatif.

Une remise en question du concours de recrutement

La mise en place de la nouvelle architecture de la formation aura nécessairement des incidences fortes sur le contenu des concours de recrutement rénovés, à l’œuvre dès la session 2022, comme le CAPES, et sur la composition des jurys. En effet, à partir du moment où la part « professionnalisante » du Master se voit renforcée, il devient nécessaire de mesurer plus nettement dans les épreuves du concours les compétences acquises par les étudiants sans pour autant dupliquer une évaluation déjà réalisée dans le cadre même du Master.
De fait, l’une des interrogations posée par la réforme tient tout bonnement à la pérennisation d’un concours qui pourrait se voire reproché à terme d’être redondant par rapport aux exigences du Master.
Or, qui dit suppression du concours présuppose « en même temps » une possible refonte du statut de fonctionnaire. Sujet critique par rapport auquel il conviendra d’être à tout le moins vigilant tout au long de la mise en œuvre de la réforme.

CQFD

L’architecture de la formation actuelle des enseignants ne peut s’exempter d’une autocritique rigoureuse. Comment ne pas en effet constater la difficulté d’adaptation aux réalités éducatives d’étudiants fraîchement diplômés d’un concours de catégorie A ? Et, corrélativement, comment ne pas entendre leurs griefs face à une formation qui ne comble pas leurs attentes en matière d’aide et de soutien à leurs premier pas dans le métier ?
Pour n’en rester qu’au cas spécifique des professeurs de français, il est évident que la formation reste insuffisante à leurs yeux en termes de praticité. Pas assez pragmatique, pas assez ancrée, trop théorique, trop éloignée du terrain, la formation dispensée (et trop souvent subie) fait l’objet d’un procès continu, qui, bien entendu, n’a pas attendu, loin s’en faut d’ailleurs,  la création des ÉSPÉ pour s’engager.
Pour autant, la réforme qui s’annonce et se dévoile jour après jour – habileté de communication du Ministère oblige – ne doit pas biaiser les enjeux profonds de la formation. En effet, la pré-professionnalisation préconisée, si elle peut permettre effectivement à un étudiant d’appréhender progressivement son futur métier, ne saurait suffire à le qualifier. Appliquer des conseils pratiques, ou si l’on préfère, « partagés par de gens du terrain », ne fonde en rien une pédagogie rigoureuse. Bien enseigner implique naturellement d’éprouver des situations et de tester des « trucs » mais aussi et surtout, d’assumer une prise de recul par une réflexion distanciée sur la conception de ses séances.
En clair, la mission des ÉSPÉ, et c’est sans doute ce paradoxe apparent qui n’avait pas bonne presse, n’était pas seulement d’apporter des réponses mais d’inviter au questionnement. Et ce, tout simplement, parce que le « bon prof », comme on le dit familièrement, n’est pas celui qui s’enferme dans des réponses toutes faites et fermées mais qui assume un questionnement renouvelé sur sa pratique et ses enjeux.

Gageons que le Ministère aura entendu ce « BA-BA » de la formation des enseignants et que l’avenir de la formation n’ira pas vers le simple récitatif d’un vade-mecum.

Antony Soron, ÉSPÉ Sorbonne Université

• Rapport de Monique Ronzeau et Bernard Saint-Girons remis le 18 février 2019 : Quelles évolutions pour les concours de recrutement des enseignants ?
• Note de service du 25 avril 2019 : Affectation en qualité de fonctionnaire stagiaire des lauréats des concours et des examens professionnalisés du second degré – rentrée 2019.

Antony Soron
Antony Soron

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