L’art du clown

Comment le clown est devenu un personnage de théâtre et un membre à part entière des sociétés modernes. Fred Robbe, directeur de la compagnie Théâtre du Faune, qui joue actuellement sa pièce 2023 avec La Véritable Histoire de d’Artagnan, aide à faire le point.
Par Pascal Caglar, professeur de lettres

Comment le clown est devenu un personnage de théâtre et un membre à part entière des sociétés modernes. Fred Robbe, directeur de la compagnie Théâtre du Faune, qui joue actuellement sa pièce 2023 avec La Véritable Histoire de d’Artagnan, aide à faire le point.

Par Pascal Caglar, professeur de lettres

Si l’image du clown de cirque, avec son nez rouge, ses chaussures trop grandes et son visage grimé est encore bien présente dans les mémoires, elle n’est plus qu’un fantôme. Depuis longtemps, le clown n’est plus un être de cirque mais un être de théâtre. Son succès était devenu tel au cirque dans les années 1970, tellement stéréotypé et conventionnel, associé à l’« auguste » gaffeur et au clown blanc sérieux, qu’on en avait oublié que le personnage avait un champ de rayonnement plus large.

S’il appartenait d’abord à la commedia dell’arte, le clown n’a cessé de nourrir les personnages de la comédie, sur scène comme au cinéma. Ainsi, il est reconnaissable dans la farce, le vaudeville, la comédie de mœurs, la parodie ou le burlesque. Il s’empare de tous les supports, de la télévision à internet, du sacre des séries comiques dans les années 1980-1990 avec Benny Hill ou Mr Bean, jusqu’aux vidéos humoristiques de ces dernières années tels qu’en publient des Norman et plus récemment Thomas VDB et Mathieu Madénian.

Ainsi, après les succès aveuglants des clowns de cirque, en ouvrant les yeux sur le monde d’aujourd’hui, on s’aperçoit que « les clowns sont partout ». En fait, Fred Robbe le rappelle, le clown est à la base de la formation de l’acteur : il est inscrit dans les programmes de l’enseignement en première année du Conservatoire national supérieur d’art dramatique. Quel que soit le type de rôle que l’on souhaite jouer un jour, s’initier à l’art du clown est utile pour tous. C’est s’ouvrir au langage du corps, s’interroger sur soi, sur le clown qui gît en nous, sur la part d’enfance qui est enfouie en chacun, sur notre capacité à rire, à commencer par rire de soi (le clown est un looser), puis rire des autres. Selon Fred Robbe, chaque acteur doit trouver son clown pour être ensuite en mesure de trouver ses personnages.

L’école du rire

Il existe une véritable école du clown en France, une vraie tradition d’enseignement de la discipline pour les professionnels, mais aussi pour les amateurs. Les ateliers, stages, et formations organisés attirent toujours plus de monde. La demande grimpe, chez les enfants comme chez les adultes, comme si le monde moderne exigeait plus que jamais des temps de décompression, de jeu ou de réinvention de soi.

Ces bienfaits du rire sont d’ailleurs médicalement reconnus et très bien exploités en France. Chacun connaît le travail de la très célèbre association Le Rire médecin qui, depuis 1991, emploie plus de cent cinquante clowns qui interviennent dans les services pédiatriques de près de cent hôpitaux de France, entraînant derrière eux des milliers de donateurs et des centaines d’actions solidaires. « Les clowns, c’est la vie qui entre par la grande porte et qui est déversée dans les couloirs à grands renforts de claquements de mains et de bonne humeur. », annonce le docteur Yves Reguerre, chef de clinique à l’hôpital Saint-Louis, sur le site de l’association.

Moins connues mais travaillant pour ce même réconfort thérapeutique, les associations Rêves de clown ou Rires sans frontière unissent yoga, humour et de nombreux amateurs qui s’appuient sur les techniques du rire pour soutenir les malades. À une autre échelle, l’ONG Clowns sans frontières intervient partout dans le monde en cas de crise humanitaire pour apporter un soutien psychosocial aux populations éprouvées par des guerres ou des catastrophes.

Plus près de chez nous, des interventions de clowns dans le milieu des études supérieures et le monde du travail intéressent de plus en plus de directions soucieuses du bien-être de leurs étudiants et de leurs personnels. Par exemple, les Clownanalystes du Bataclown proposent des analyses de situations de travail à travers des jeux et des spectacles tirés d’observations sur le terrain. À en croire les entreprises demandeuses, les résultats seraient positifs sur l’ambiance, le moral des personnels, la cohésion des groupes et la motivation des équipes. Enfin, l’université Paris 3 Sorbonne Nouvelle propose à ses étudiants de première année des stages de clown dans le cadre d’ateliers culturels animés par le théâtre Les Déchargeurs, qui, chaque année, font le plein.

Manque de soutien de l’État

Le succès des clowns n’est pas récompensé à sa juste valeur. Alors que la demande, les compagnies et les initiatives existent, le soutien de l’État fait défaut. Un théâtre comme le Rond-Point, dont la devise est pourtant le rire – le rire de résistance –, a peu programmé de clowns pendant les vingt années de direction de Jean-Michel Ribes. De belles exceptions cependant : Jos Houben et Pierre Guillois.

La ville de Paris ne s’est pas dotée non plus de salle exclusivement dédiée à l’art du clown. Il faut aller à Bagnolet, au théâtre le Samovar, pour trouver une structure entièrement tournée vers une programmation de clowns… et des chiffres de fréquentation optimaux.

Même paradoxe : les festivals de rue sont nombreux et leur succès est constitué à plus de 60 % par des compagnies de clowns. Cependant, très peu de festivals de clowns exclusivement sont répertoriés, sauf à Niort, Theix-Noyalo (Morbihan) et Tergnier (Aisne). La rue, les tréteaux, l’ambiance populaire et un public bigarré sont pourtant les ingrédients historiques de leur réussite.

Les clowns finiront-ils par avoir un lieu à eux à Paris ? Avec malice, Fred Robbe fait remarquer que la nouvelle ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, a été en 2001 directrice des programmes de Clowns sans frontières. Elle vient de labelliser six salles de spectacles Centre national de la marionnette. Sa reconnaissance viendra-t-elle également saluer la valeur artistique et humaine des milliers de clowns de France ?

P. C.

La Véritable Histoire de d’Artagnan, tournée 2023 en région Nouvelle-Aquitaine.
Prochain spectacle : Monsieur Bertrand et Guacamole, création en avril 2023 aux Folies angevines.

Ressources

Compagnie Théâtre du Faune : https://www.theatredufaune.com
Le Rire médecin : https://www.leriremedcin.org
Clowns sans frontières : https://www.clowns-sans-frontieres-france.org
Théâtre-école le Samovar : https://lesamovar.net/


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Pascal Caglar
Pascal Caglar