Le Discours d'un roi

Le film de Tom Hooper, Le Discours d’un roi, est indiscutablement promis au succès.

Indépendamment de ses qualités propres – interprétation remarquable, reconstitution minutieuse, mise en scène subtile, décors sobres et élégants – deux raisons, l’une générale, l’autre particulière, appellent l’adhésion du public.

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L’opprimé et le puissant

La première est que l’histoire repose sur une opposition entre un statut social élevé et une tare physique. On apprend ainsi qu’on peut être de sang royal, appelé à devenir souverain d’un grand pays et de son immense empire, et souffrir d’un handicap dont sont exempts la plupart des roturiers, même les plus obscurs.

Beau, riche, puissant, mais affecté d’une faiblesse qui le ridiculise, le bégaiement. Alors que le vis-à-vis, pauvre, sans diplôme, comédien raté, immigré (l’orthophoniste Logue n’est pas citoyen britannique mais originaire d’Australie) bénéficie, lui, de la plus indispensable et naturelle des qualités de l’homme accompli, une parole fluide.

Cette revanche de l’opprimé sur le puissant, de l’humble sujet sur la tête couronnée illustre discrètement non l’adage discutable « l’argent ne fait pas le bonheur », mais une vérité plus profonde : la gloire ne suffit pas à préserver des injures de la nature. Le spectateur peut sortir rassuré : il n’est rien, surtout pas fils de roi, mais il a l’essentiel, sinon une santé infaillible, une langue bien pendue qui lui permettrait, à la différence de son Altesse George VI, que chacun révère, de s’exprimer en public et de séduire par le verbe.

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La maîtrise du langage, clé de tout enseignement

S’il est une catégorie qui peut plus spécialement éprouver une jouissance particulière à la vision de ce film bien fait et agréable à regarder, c’est bien celle des enseignants, de la maternelle à l’université. Outre les diplômes, que ne possède pas Logue mais qui sont obligatoires chez tout enseignant digne de son rang, celui qui est chargé de transmettre le savoir est tenu de disposer d’une qualité indispensable à la bonne pratique du métier : l’aisance verbale.
Si les rois bègues sont rares, peu nombreux sont les professeurs bafouilleurs ou aphones. Leur quotidien deviendrait invivable. Or ces maîtres de la parole savante, ces machines à discourir exploitent leur don de façon quasi instinctive, sans en tirer de vanité. À peine la sonnerie a-t-elle retenti et les élèves sont-ils installés, que la mécanique orale se met en marche pour ne s’arrêter qu’une heure plus tard, parfois deux. Et le plus étonnant est que cette performance répétée quotidiennement ne procure aux intéressés ni joie particulière, ni fierté.
Quand on voit la satisfaction puérile de Bertie, le roi du film, après qu’il a prononcé, avec maints trébuchements, un malheureux discours de neuf minutes (pour inviter, il est vrai, ses sujets au courage et à l’abnégation face à la guerre qui s’annonce), quand on voit l’admiration appuyée de ses proches, et même des techniciens de la radio, pour une si banale harangue, paresseusement lue avec le soutien d’un thérapeute bienveillant, on se dit que l’enseignant devrait être assailli par des bouffées d’orgueil, lui qui, à raison de 15 à 25 heures par semaine, domine de la voix un public autrement plus exigeant que des auditeurs invisibles et par avance acquis.
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Une supériorité professionnelle pas toujours reconnue : le talent oratoire

Dans la mesure où l’observation peut encore s’appliquer à d’autres corporations (les avocats, les camelots, les guides touristiques, les animateurs de télévision…), c’est au total une tranche assez large de la population qui va, en voyant le film, mesurer l’importance d’une supériorité professionnelle pas toujours reconnue : le talent oratoire.
Ainsi, à la vengeance du pauvre sur le riche, du plébéien sur l’aristocrate, s’ajoute une autre secrète revanche, celle du beau parleur sur le timide.  Encore une bonne raison d’aimer ce film et de lui assurer le succès.

Yves Stalloni

Yves Stalloni
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