Le Pharaon, le Sauvage et la Princesse,
de Michel Ocelot : l’antique rébellion

Contre les idoles et les croyances, la libre-pensée est vivement encouragée dans les trois nouveaux contes dessinés par le père de Kirikou. Nouvelle perspective d’émerveillement graphique avec des jeunes gens qui se dressent contre des autorités parentales abusives.

Patrick Leclercq, critique de cinéma

Contre les idoles et les croyances, la libre-pensée est vivement encouragée dans les trois nouveaux contes dessinés par le père de Kirikou. Nouvelle perspective d’émerveillement graphique avec des jeunes gens qui se dressent contre des autorités parentales abusives.

Philippe Leclercq, critique de cinéma

Le cinéma d’animation de Michel Ocelot répond toujours à la promesse d’un beau voyage. Ses films, dont Kirikou et la sorcière (1998) reste l’un des plus connus, sont des contes puisant leur inspiration à la source des cultures et des légendes les plus diverses : Japon, Maghreb, Antilles, Tibet, Amérique précolombienne… Son goût de la découverte, de l’autre et de l’ailleurs, est moteur d’un humanisme farouche qu’il place au centre de ses préoccupations artistiques, morales et philosophiques. Son premier court-métrage, Les Trois Inventeurs (1979), modèle de délicatesse poétique et d’intelligence situé au siècle des Lumières, est toujours visible (en accès libre) sur internet.

L’artiste, épris de tolérance et de liberté, nous transporte dans des contrées et des époques à la fois proches et lointaines. C’est la vertu de ses récits qui, selon les lois du genre, dépaysent et parlent de nous, font rêver et instruisent des dangers de la vie. Outre la valeur universelle de leurs messages, ses histoires sont servies par une esthétique qui ne lasse pas d’émerveiller, que l’on soit petit ou grand. Son nouveau triptyque, Le Pharaon, le Sauvage et la Princesse, ne déroge pas à la règle. En plus de ses dessins et de leurs couleurs sidérantes, reconnaissables au premier coup d’œil, l’animateur s’est surpassé en soignant la concision de l’écriture et la qualité du doublage des voix et des dialogues qui sont, c’est assez rare dans le domaine de l’animation, doués d’une belle richesse littéraire.

Tradition orale

Selon le schéma narratif de l’encadrement présidant aux trois récits, une courte scène ouvre théâtralement le film. Sur un chantier de construction, une conteuse en bleu de travail s’adresse à une petite foule d’ouvriers rassemblés et propose de leur narrer quelques récits pour agrémenter leur pause casse-croûte. Les idées et propositions narratives fusent alors, dans ce qui s’apparente à un bel élan d’écriture participative, avant que ne débute le premier récit. L’action de Pharaon ! se déroule sous l’antiquité égyptienne. Pour obtenir la main d’une princesse voisine malgré l’opposition de sa mère régente, un jeune roi kouchite (du nord du Soudan) part à la conquête des deux Égypte. S’il devient pharaon, il sera peut-être digne de convaincre la mégère. Intitulé Le Beau Sauvage, le second récit ramène en France, au cœur médiéval d’une Auvergne de folklore où, dans son château, un seigneur despotique condamne son propre enfant à mort pour avoir libéré un prisonnier de son cachot. En fuite, puis vivant dans la forêt, le garçonnet devient le « beau sauvage », une sorte de Robin des bois, qui, bientôt reconnu par celui-là même qu’il a délivré (en réalité seigneur lui-même), se voit accorder la main de sa fille. Enfin, le troisième volet, La Princesse des roses et le Prince des beignets, éblouit du soleil d’un Orient des Mille et Une Nuits, où un prince devient marchand de beignets afin de ravir le cœur d’une belle princesse au nez et à la furieuse barbe de son père.

Conflit générationnel

Trois tableaux autour de jeunes opprimés par l’autoritarisme parental : la structure des trois contes s’appuie sur un conflit d’autorité sous-tendu par une crise intergénérationnelle. Le pouvoir, exercé sans discernement par les pères et une mère dans le premier segment, conduit au déchirement des familles. Dans tous les films de Michel Ocelot depuis Les trois inventeurs, la cruauté du réel n’est jamais absente, la mort et le tragique menacent toujours le proche pourtour des images.

Dans tous les cas, la résolution des conflits passe par une reprise en main du pouvoir par la jeunesse. Celle-ci, marquée durablement par la tyrannie de ses géniteurs, se montre soucieuse de ne pas sombrer dans les mêmes travers. Contre leur propre éducation et leurs parents, les jeunes héros prétendent s’affranchir des codes et des règles imposés par leur classe ; ils apprennent à user de diplomatie dans les conflits et à se libérer des croyances (Pharaon !), à faire société et à défendre la justice et l’égalité (Le Beau Sauvage), à cultiver l’art et l’humour (La Princesse des roses et le Prince des beignets).

Éloge de l’amour et de la liberté

L’humour, qui traverse l’œuvre de Michel Ocelot, apparaît tantôt dans les dialogues, permettant de singulariser un personnage ou de caractériser une situation (Le Beau Sauvage), tantôt dans les rebondissements ludiques du scénario ou les expressions comiques du dessin (La Princesse des roses…). Si la stylisation du trait et le chromatisme des images constituent un plaisir pour les yeux, c’est toujours au service de la dramatisation du récit. Le rythme alerte, mais sans précipitation (l’animation d’Ocelot est un peu l’anti-modèle du cartoon américain), se fonde sur un juste équilibre entre ellipses temporelles et souci du détail narratif.

Les personnages dessinés de profil et la géométrie de la mise en scène (mouvements panoramiques, chorégraphie des gestes) tracent des lignes propres à esquisser un imaginaire de splendeur et de puissance (Pharaon !). À l’inverse des couleurs solaires du premier conte, les silhouettes en ombres chinoises et les poivrières coiffant les tours du château du beau Sauvage renvoient à l’austérité de l’enfance du héros et à la dureté de son père. Belle trouvaille plastique, sa chevelure branchue apparaît comme une formidable métaphore de son style de vie sylvestre et de son esprit rebelle.

L’amour, le respect et l’esprit de liberté sont les principaux piliers du cinéma de Michel Ocelot. Contre les idoles et les croyances, la libre-pensée y est vivement encouragée ; l’éducation traditionnelle et rétrograde des filles (l’héroïne de Pharaon ! est interdite de lire comme l’enfant du Beau Sauvage) y est, comme dans tous ses films, finement moquée : le féminisme du réalisateur représente à lui seul un vaste champ d’étude. Enfin, le pouvoir enchanteur des mots est ici célébré non seulement lors du retour de la conteuse, selon le principe de la réitération narrative (lui-même à l’œuvre dans chacun des récits), mais également dans les belles paroles proférées par de jeunes princes et princesses qui doivent davantage leur titre à leur noblesse d’esprit qu’à leur rang.

P. L.

Le Pharaon, le Sauvage et la Princesse, film d’animation français de Michel Ocelot (1h23) avec les voix de Oscar LesageClaire de La Rüe du CanAïssa Maïga.

Ressources :

« Dilili à Paris », de Michel Ocelot, Philippe Leclercq, L’École des lettres, 10 octobre 2018.

« Azur et Asmar », de Michel Ocelot, ou l’actualité brûlante d’un conte sur pellicule, Philippe Leclercq, L’École des lettres, avril 2015.


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Philippe Leclercq
Philippe Leclercq