Loup y es-tu ?, de Clara Bouffartigue :
traquer la bête

De jeunes patients du centre Claude-Bernard et leurs familles ont accepté la présence de la caméra. La documentariste célèbre l’infinie patience de chacun et de soignants admirables.
Philippe Leclercq

De jeunes patients du centre Claude-Bernard et leurs familles ont accepté la présence de la caméra. La documentariste célèbre l’infinie patience de chacun et de soignants admirables.

Philippe Leclercq

Loup y es-tu ? interroge le titre du nouveau film de Clara Bouffartigue (Tempête sous un crâne, 2012). Pour répondre à la question empruntant à la célèbre comptine, la documentariste française est allée poser sa caméra dans les locaux parisiens du centre Claude-Bernard, le premier centre médico-psycho-pédagogique (CMPP), créé en France, en 1946. Et des « loups », elle en a trouvé, en nombre, qui tourmentent l’esprit des enfants, des adolescents et même des étudiants pour lesquels la vie est un fardeau. Ces loups ont ici pour noms angoisses, dépressions, phobies, solitude, agressivité, incommunicabilité, troubles du comportement, échecs scolaires, etc. Pendant des mois, la réalisatrice les a traqués et filmés au cours de soins mis en place par les professionnels de ce centre dont Françoise Dolto et Didier Anzieu furent jadis les pionniers. Durant ces séances enfants, parents et soignants – qui ont accepté la présence de la caméra – s’appliquent avec courage et détermination à retisser les liens défaits.

Revenir aux apprentissages

C’est à l’occasion du tournage de Tempête sous un crâne que la documentariste Clara Bouffartigue a découvert le centre Claude-Bernard, ouvert aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale pour venir en aide aux enfants souffrant de traumatismes et alors inaptes à renouer avec les apprentissages. Sur le modèle de cet établissement, des CMPP existent aujourd’hui sur les quatre coins du territoire français. Ils développent une approche pluridisciplinaire fondée entre autres sur la pédopsychiatrie, la psychologie, l’orthophonie, la psychomotricité, la psychopédagogie, le jeu de rôles. Chacun des professionnels travaille en lien étroit avec l’école, les familles et, le cas échéant, les services sociaux, de manière à élargir le champ d’approche des problèmes liés à l’environnement (scolaire, social, familial…) du patient. Prévu pour accueillir des enfants de 3 à 18 ans, le centre Claude-Bernard héberge également depuis 1966 un bureau d’aide publique universitaire (BAPU) à destination des étudiants jusqu’à l’âge de 27 ans. Clara Bouffartigue leur réserve de passionnantes séquences mettant en valeur la circulation de la parole, vecteur d’écoute et de compréhension, entre les jeunes malades.

Parents au cœur du dispositif

La singularité du travail des soignants de cet établissement s’appuie sur la présence fréquente des parents. « Pour ces professionnels, observe la documentariste, il est impensable d’accompagner un enfant sans inclure ses parents dans le processus de soin, parce que leur exclusion serait une violence subie par l’enfant, même lorsque les parents sont fragiles ou malades. » Les rencontres collectives, où la présence des parents est requise, s’apparentent à des thérapies de groupe d’où ressortent des dysfonctionnements qui ne sont pas toujours du côté de celui ou de celle que l’on croit. Une mère s’avère ici trop caressante à l’égard de sa fille qui étouffe ; des parents trahissent là des désaccords en matière d’éducation, motifs de défaillance d’autorité face à leur fils.

Étalé sur près d’un an et demi de tournage, le film de Clara Bouffartigue laisse voir des progrès quand un étudiant à tendance suicidaire trouve peu à peu la ressource de se réconcilier avec l’existence, ou, au contraire, des piétinements quand une préadolescente préfère passer son temps de séance derrière un rideau de cheveux et de silence douloureux. En contrepoint de ces scènes toujours captivantes, la répétition des séquences d’animation, censées illustrer graphiquement les tourments des jeunes patients, peut peser sur le propos.

Soignants et héros du film

Ce que montre Loup y es-tu ? est l’immense travail de patience, de stratégie et d’astuces développé par les soignants, tous les mots qu’ils trouvent, le langage qu’ils inventent et le corps-à-corps auquel ils se livrent (littéralement dans la première séquence du film) pour s’approcher de la « bête » et la vaincre. Cela passe par une attention de chaque instant, par des échanges et des questionnements qui amènent le jeune à prendre lentement conscience de ses difficultés, à mettre lui-même des mots sur des problèmes dont il ignore bien souvent tout, en entamant son parcours thérapeutique. Le cadre rassurant le pousse à s’ouvrir aux soignants autant qu’à lui-même (et à ses parents quand ils sont là).

Pour autant, aucun des maux dont souffrent les enfants n’est nommé. Cette absence de désignation force le spectateur à redoubler d’intérêt et de discernement pour en déceler l’origine ou en comprendre le mécanisme psychologique. La qualité principale de Loup y es-tu ? est de ne pas tant rechercher l’émotion dans le regard ou le silence des intervenants que le fil qui les relie, le travail au cœur duquel se noue la relation de confiance propice à la reconstruction, au long chemin qui y conduit. Dénué de commentaires (en voix off), et à l’appui de la seule force de ses images, le documentaire de Clara Bouffartigue célèbre l’intelligence infinie des soignants, véritables héros de son dispositif.

P. L.

Loup y es-tu ?, de Clara Bouffartigue, documentaire, en salles le 13 septembre.


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Philippe Leclercq
Philippe Leclercq