Ne tirez pas sur les contractuels

La récente session de job dating visant à recruter d’urgence des professeurs contractuels a contribué à une forme de déclassement tacite d’enseignants nécessaires au fonctionnement du système éducatif français.

Par Antony Soron, maître de conférences HDR,
formateur agrégé de lettres, Inspé Sorbonne université.

La récente session de job dating visant à recruter d’urgence des professeurs contractuels a contribué à une forme de déclassement tacite d’enseignants nécessaires au fonctionnement du système éducatif français.

Par Antony Soron, maître de conférences HDR,
formateur agrégé de lettres, Inspé Sorbonne université.

La catégorie des non-titulaires de l’Éducation nationale a toujours existé : des maîtres auxiliaires, quand on échoue au Capes, aux vacataires, dont le service annuel est limité, en passant par les contractuels donc, qui peuvent être recrutés pour une année scolaire entière et qui sont sur le devant de la scène depuis la rentrée. Malgré le statut de TZR (titulaires de zone de remplacement), il est difficile de couvrir tous les postes vacants, notamment dans le cas d’absences imprévues susceptibles de se cumuler. D’après les chiffres du ministère, les contractuels représentaient 6,5 % à 8% de l’ensemble des professeurs en poste en septembre 2022. C’est une moyenne : dans certains départements et en éducation prioritaire, ils pourraient dépasser les 20 %.

Le système a grand besoin d’un personnel disponible du jour au lendemain. C’est le prix à payer pour pouvoir assumer le principe accrédité par le plus grand nombre : « pas de classe sans professeur ». En mars 2018, un rapport de la Cour des comptes faisait déjà ce constat : « Les non-titulaires constituent des effectifs importants et en croissance continue depuis plusieurs années : 203 000 personnes pour l’année scolaire 2016-2017 contre 182 500 deux ans plus tôt. Les agents contractuels représentent près de 20 % des effectifs employés par le système scolaire mais le budget du ministère de l’Éducation nationale n’en rend compte que très imparfaitement1. »

Un besoin à géométrie variable

Il est des disciplines qui peinent à recruter, comme la technologie ou les mathématiques, où le recours à des contractuels se fait d’une façon de moins en moins marginale depuis des années. Il en est d’autres, comme le français ou l’histoire, que l’on aurait pensé moins touchées par l’érosion du vivier. Mais le recours aux contractuels, dotés au minimum d’un bac + 3, est de plus en plus fréquent. On peut interroger le recrutement « à la va-vite » d’enseignants non formés, qui plus est non accrédités par un concours d’enseignement. Les contractuels eux-mêmes sont d’ailleurs souvent les premiers à regretter leur manque d’accompagnement.

Le besoin de contractuels n’est pas homogène sur le territoire. Plus l’académie est considérée comme difficile et plus leur nombre grimpe. Ils sont souvent sollicités là où des professeurs agrégés, par exemple, seraient peu enclins à aller. Pour fidéliser les contractuels, le rectorat de l’académie de Créteil a notamment opté pour intégrer les congés d’été aux contrats. Et pour ne pas se faire concurrence, les académies de Paris, Créteil et Versailles ont harmonisé les rémunérations : dans le second degré, le salaire de base serait compris entre 2 022 et 2 327 euros brut par mois, selon leur niveau d’études, dans le premier degré entre 1 921 euros brut par mois pour les titulaires d’une licence et 2 122 euros brut pour les détenteurs d’un master 2. Or, les enseignants à bac + 5 recrutés par concours touchent environ 1 828 euros brut durant leur année de stage (où certains ont désormais des classes à plein temps) et ne dépassent 2 300 euros qu’au bout de huit ans.

Les certifiés et agrégés sont peu formés en didactique

Quand on interroge des contractuels sur les raisons qui les ont conduits à se contenter de ce statut, on mesure à quel point les situations sont variables. Certains ont vraiment besoin de travailler et y voient une occasion d’accéder à une profession qui leur plaît sans passer de concours, par peur ou manque de disponibilité.

Contrairement à certaines idées reçues, les contractuels, en lettres par exemple, ne se présentent pas aux élèves sans compétences. S’ils sont perfectibles sur le plan didactique, ils se situent de ce point de vue pas très loin des récents certifiés ou agrégés qui ont tout à apprendre en la matière, comme ils le reconnaissent eux-mêmes. Certains contractuels présentent des compétences éducatives affirmées, d’autres s’appuient sur un véritable amour de la littérature. Ils sont rarement incapables d’assurer des apprentissages suffisants, surtout quand ils ont plusieurs années d’expérience.

Il existe certes des professionnels qui n’ont pas le niveau pour enseigner. Mais les élèves ont besoin de professeurs. Or, le désir d’enseigner est entravé chez beaucoup d’étudiants. S’en remettre à des individus venus d’autres métiers (du privé ou du parascolaire), qui trouvent là une occasion d’opérer un virage parfois radical dans leur vie professionnelle, peut présenter un intérêt. Il n’y a pas qu’une seule façon de devenir professeur. Enseigner dans les quartiers populaires, comme le montre l’ouvrage Parce que chaque élève compte2, relève d’un acte de conviction corrélé à des qualités d’adaptation.

Renforcer la formation continue

Le ministre de l’Éducation nationale a souligné que la formation des contractuels ne saurait se limiter à quatre journées. Elle suppose des actions continues de formation dispensées notamment dans les Inspé. Comme les jeunes professeurs, les contractuels ont besoin non seulement de conseils mais de supports, de références, sinon de modèles. Ils ont aussi besoin d’un minimum de considération et, le cas échéant, d’une forme de légitimation que seul, au final, un concours spécifique de titularisation (prévu par le ministre Pap N’diaye au printemps 2023) et adapté peut leur fournir.

Il semble essentiel que la communauté enseignante cesse d’opposer des statuts à d’autres statuts. La réalité du métier est tellement complexe qu’elle autorise différentes voies d’accès. Il importe de ne pas laisser les contractuels en situation de précarité, seuls, avec leurs doutes, dans un contexte de méfiance à l’égard d’une profession trop déconsidérée.

A.S.

1 – Le recours croissant aux personnels contractuels. Un enjeu désormais significatif pour l’éducation nationale, rapport de la Cour des comptes, mars 2018.

2 – Parce que chaque élève compte. Enseigner dans les quartiers populaires, sous la direction de Mohand-Kamel Chabane et Benoit Falaize, Éditions de l’Atelier et L’École des lettres, 2022, 16 euros.

Antony Soron
Antony Soron