Patrick Zachmann, tours et détours

De ses parents à des survivants des camps, de Paris à Jérusalem, en passant par l’Algérie et le Rwanda, le photographe remonte son histoire, celle de l’extermination des juifs et celle de génocides, à travers une exposition qui se tient à Paris, au Musée d’art et d’histoire du judaïsme.

Par Norbert Czarny, critique littéraire

De ses parents à des survivants des camps, de Paris à Jérusalem, en passant par l’Algérie et le Rwanda, le photographe remonte son histoire, celle de l’extermination des juifs et celle de génocides, à travers une exposition qui se tient à Paris, au Musée d’art et d’histoire du judaïsme.

Par Norbert Czarny, critique littéraire

Depuis ses 20 ans, Patrick Zachmann, 66 ans, est photographe professionnel. Il a « couvert » la Chine, l’Afrique du Sud, la Bosnie, le Rwanda, pris des photos au Mali et dans bien d’autres pays. Il travaille pour l’agence Magnum dont il fut le benjamin à l’époque où Cartier-Bresson y prenait ses dernières images.

À côté de cette activité, Patrick Zachmann mène ses propres recherches, des projets personnels qui sont sans doute à l’origine de sa vocation. Il a voulu comprendre qui il était, quelles étaient ses origines, son histoire, en photographiant la communauté juive dont il est issu, sans en rien connaître. Ce travail, qui l’a conduit du couple parental jusqu’au crématoire d’Auschwitz, en passant par l’Europe centrale et orientale ou le Rwanda, est actuellement exposé au Musée d’art et d’histoire du judaïsme. Un catalogue permet de revenir sur certaines images. L’émotion qui se dégage des photos présentées dans les salles est si vive que le recul donné par l’album est bienvenu.

Au début, Patrick Zachmann marche dans Paris. Il photographie les juifs orthodoxes du Marais ou de Belleville, capte les rituels qu’ils célèbrent dans les synagogues, des salles de fête, des appartements. Il ne se sent pas vraiment de ce monde, ne partage pas la foi de ces hommes et femmes.

Un voyage à Jérusalem, en 1981, lui constitue une approche plus sûre. Il photographie des survivants des camps qui se retrouvent quarante ans après. Simone Veil est là, assise, une femme pose affectueusement sa main sur son épaule. Une autre femme tient son étoile jaune du bout des doigts, avec une sorte de dégoût, sans regarder l’objectif. Un homme pris en plan serré portant encore la tenue rayée arbore deux photos de l’époque. Il est encore là parmi d’autres hommes en tenue rayée, sans doute à la Libération.

Patrick Zachman choisit des fonds blancs, ou neutres, comme il le fera en 2000 pour ses photos des Tutsis pris en panoramique vertical. Des survivants là encore. D’autres photos montrent des crânes, des os, la radio et la machette, des éléments qui disent le génocide commis envers ce peuple du Rwanda.

Ces photos font partie du parcours de l’artiste. Et on en dira autant de la photo du crématoire de Birkenau : « Cette photo que je prends en tremblant m’est essentielle. Elle remplace la sépulture qui permet de faire le deuil, d’inscrire des êtres chers dans un récit, dans une mémoire. » Zachmann prend des photos parce qu’il n’a pas de mémoire, ou parce que les siens n’ont longtemps pas voulu transmettre à leurs enfants ce qu’ils avaient vécu.

Enquête d’identité

Fils d’un juif polonais grandi à Belleville et d’une juive d’Algérie, Zachmann, comme son frère et sa sœur, ont été élevés dans l’ignorance du judaïsme. Il fallait s’assimiler, taire toute différence. Pour le résumer de façon amusante, pas plus de carpe farcie que de couscous. Pas de fêtes, de célébrations, et surtout pas de récit.

L’enquête d’identité qui donnera lieu au premier livre publié, sous-titré « Un juif à la recherche de sa mémoire », touche à sa fin quand sa tante, du côté paternel, lui montre les photos de ses grands-parents disparus à Auschwitz. Il a trente ans, il ne les avait jamais vues.

Dans un film réalisé en 1998, La Mémoire de mon père, diffusé en marge de l’exposition, Jean Zachmann, père de Patrick, raconte enfin. Il cache ses émotions sous un sourire, aime dire des blagues pour établir le contact. Il a longtemps travaillé comme représentant en maroquinerie, et ces blagues étaient sa façon de nouer contact dans des villes et bourgades de Bretagne.

Face à son fils, il décrit son parcours, sa fuite de Paris avant la rafle du Vel d’Hiv, les Chantiers de jeunesse au STO, avec un art consommé du secret et du mensonge. Le cinéaste et photographe capte l’essentiel : « Ce n’est qu’à la fin du tournage de La mémoire de mon père, et peu de temps avant sa mort, que je réussis enfin à avoir une bonne photo de mon père. Il me regarde, me sourit. Le silence a été rompu, la distance aussi. Je me sens proche de lui. »

Sur une photo, sa mère pose avec ses deux sœurs : « Je me demande si le but inconscient de tout ce chemin parcouru durant cette enquête n’a pas été d’arriver à soutenir le regard de ma mère, fût-ce à travers mon appareil photo. » L’écriture de l’artiste accompagne les images comme dans son bureau où sont classées ses archives. Les mots restent une nécessité quand le silence a été si long.

La dernière salle de l’exposition est consacrée au parcours de sa mère. Elle avait honte de ses origines, ne voulait rien en montrer. Dans le film Mare Mater, le cinéaste confronte son histoire familiale à celle des migrants d’aujourd’hui. Il se rend en Algérie, prend des images à Aïn Témouchent, où toute trace d’une grande communauté juive a disparu, montre les lieux de son enfance à sa mère. Il apprend qu’un de ses grands-oncles était photographe, avait son studio à Oujda, et part découvrir son matériel à Nice, chez une grand-tante. Hasard ? Retour au point de départ ? Il faut de nombreux détours pour arriver jusqu’à soi.

La photographie exige la patience ; c’est comme le métier de détective ou de policier. Patrick Zachmann sait attendre en toutes circonstances. En tant que reporter chez Magnum, il est de ceux qui arrivent avant l’événement, et restent après.

Zachmann ne cherche pas la belle image, celle qui servira d’icône reproductible à l’infini, et bientôt vendue dans toutes les boutiques pour touristes. Cela se voit notamment dans les photos de bal qu’il prend à Paris, au début des années quatre-vingt. Des couples se forment sur la piste, dans une lumière parfois trop vive et sans souci de ce qui se montre ou pas. Le cadrage est serré. On pense à Diane Arbus pour le caractère immédiat, plein de sincérité de l’image. La laideur ou ce qu’on pourrait appeler ainsi, devient beauté, émotion, empathie. Tout au long du parcours, de salle en salle, l’effet est le même parce que l’intention l’est : un humain enquête sur d’autres humains, les présente dans ce qu’ils ont de plus simple et de plus évident. La photo cache autant qu’elle montre. Elle donne quelques clés mais le mystère reste entier et c’est pour cela que l’on la contemple.

N. C.

Patrick Zachmann, Voyages de mémoire, 224 pages, coédition MahJ – Atelier EXB, 39 €. Exposition au Musée d’art et d’histoire du judaïsme jusqu’au 6 mars 2022.

https://www.mahj.org/fr/programme/patrick-zachmann-voyages-de-memoire-76837

Norbert Czarny
Norbert Czarny