Manga. Chronique n° 1
Phénix – L’Oiseau de feu

Surnommé « le dieu du manga », Osamu Tezuka est une figure fondamentale du manga et de la bande dessinée mondiale. Il est possible d’entrevoir la portée de son travail au travers de ce qu’il considérait lui-même comme son grand œuvre : Phénix - L’Oiseau de feu. La série vient d’être rééditée en édition prestige chez Tonkam.

Par Rémi I., professeur des écoles et critique

Surnommé « le dieu du manga », Osamu Tezuka est une figure fondamentale du manga et de la bande dessinée mondiale. Il est possible d’entrevoir la portée de son travail au travers de ce qu’il considérait lui-même comme son grand œuvre : Phénix – L’Oiseau de feu. La série vient de commencer sa réédition en édition prestige chez Delcourt-Tonkam.

Par Rémi I., professeur des écoles et critique

Après des années d’indisponibilité sur le marché français, Delcourt-Tonkam a entamé une réédition de la série culte d’Osamu Tezuka (1928-1989), Phénix – L’Oiseau de feu, qui comprendra en tout six tomes cartonnés de six cents à sept cents pages chacun. Ces ouvrages, regroupés dans la collection « Prestige » que consacre l’éditeur au mangaka, permettent à tout un chacun de (re)découvrir dans des conditions optimales les œuvres majeures de celui que l’on surnomme « le dieu du manga » : sens de lecture original, grand format, appareil critique, pages couleurs présentes lors de la prépublication… et bel objet-livre !

Illustrations de la page 15 de Phénix - L'oiseau de feu, d'Osamu Tezuka, vol. 1. © 2022 by Tezuka Productions.
Illustrations de la page 15 de Phénix – L’oiseau de feu, d’Osamu Tezuka, vol. 1. © 2022 by Tezuka Productions.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Osamu Tezuka n’a que 17 ans lorsqu’il publie ses premiers mangas. Il devient rapidement un auteur majeur et influent grâce à sa narration fleuve et ses mises en page cinématographiques. Considéré jusqu’au milieu des années 1960 comme un auteur jeunesse, le mangaka entame une mue forcée par l’avènement d’auteurs et magazines publiant des œuvres visant un lectorat plus mature.

Il s’engage dans cette veine sans lésiner sur les moyens : pour offrir une place privilégiée à la série qu’il est en train de créer, Phénix, il crée COM, sa propre revue de prépublication. Elle démarre sa publication en 1967, à peine trois ans après Garo, la revue emblématique de ce nouveau mouvement appelé « gekiga », qui signifie littéralement « images dramatiques ».

Phénix est l’une des bandes dessinées des plus ambitieuses qu’il ait écrites durant sa longue et prolifique carrière : pendant ses quatre décennies d’exercice, il aura noirci plus de cent cinquante mille planches réparties sur quatre cents œuvres.

La série avait déjà fait une première apparition en 1954 suite à la publication de son Roi Léo, qui influença grandement la création du Roi Lion. Si le projet Phénix n’avait pas encore sa forme définitive, cette fresque tentaculaire a finalement accompagné son créateur pendant trente-cinq années, ce qui en fait en quelque sorte le témoin idéal de sa transformation créative, le chaînon essentiel entre ses récits d’aventures destinés au jeune public, comme Astro Boy (1952-1968, une des BD les plus vendues au monde) et ceux, beaucoup plus sombres et adultes, que sont, par exemple, Ayako (1972-1973), MW (1976-1978) ou L’Histoire des 3 Adolfs (1983-1985).

Grande fresque à la narration ambitieuse

Ensemble d’écrits se déroulant dans un large laps de temps, Phénix progresse à partir de deux points de départ. L’un situé dans le passé (L’Aube), au moment où le Japon n’est encore habité que de peuples indigènes primitifs, l’autre dans le lointain futur (Les Temps futurs), quand l’humanité entre dans ses derniers instants. Faisant alterner histoires du passé et histoires du futur, histoire et science-fiction, chaque nouveau chapitre rapproche pendulairement du temps présent.

Tous les chapitres sont reliés par le phénix, volatile éponyme capable de renaître de ses cendres. Majestueux, imposant par son aura et le mythe qui l’entoure, il domine les pages dans lesquelles il fait son apparition. L’espace et le temps n’ayant pas de prise sur son existence, ses pouvoirs confèrent à cette BD une grande puissance métaphorique. Il est le symbole de la vie éternelle, du cycle de la vie et incarne une sorte de divinité universelle.

Illustrations de la page 23 de Phénix - L'oiseau de feu, d'Osamu Tezuka, vol. 1. © 2022 by Tezuka Productions.
Illustrations de la page 23 de Phénix – L’oiseau de feu, d’Osamu Tezuka, vol. 1. © 2022 by Tezuka Productions.

Caractérisée par un grand souffle romanesque, cette série embrasse une grande variété de récits qui se complètent dans une grande cohérence. Dense et foisonnante, elle parvient toujours à rattraper le lecteur au moyen d’un savant sens de la narration et de nombreux traits d’humour qui laissent respirer le propos.

Récit pluriel et expérimental

Avec Phénix, Osamu Tezuka utilise la richesse et la potentialité du manga comme peu d’auteurs de son époque. Sa narration combine sauts dans le temps et recherche formelle constante : il expérimente des découpages et des représentations audacieuses ; son dessin, utilise des lignes claires et un tracé plus cartoonesque, les histoires sont rythmées sans que la lisibilité en pâtisse dans des décors particulièrement fouillés.

À bien des niveaux, Phénix expose une représentation des vices et des vertus de l’humanité. Il y est question de bien et de mal, de vie et de mort, mais aussi de quête de puissance et de désir d’immortalité, la légende attisant l’idée qu’il suffirait de boire le sang du phénix pour acquérir la vie éternelle.

Réflexion riche et profonde sur la condition humaine, Phénix est une œuvre ambitieuse, philosophique et universelle. Rebondissant sur l’histoire du Japon ainsi que sur des extrapolations dystopiques, elle interroge nombre de disciplines, croyances, questions éthiques et réalités sociales. Humaniste, écologiste, antimilitariste, elle est une invitation à considérer les agissements humains au sein de la complexité du vivant.

Décédé à seulement 60 ans, Osamu Tezuka laisse derrière lui une fable majeure, pléthorique et variée. Son Phénix – L’Oiseau de feu, resté inachevé, fait appel à l’intelligence du lecteur au travers de réflexions qui gardent force et pertinence des décennies après publication.

Publiée pour la première fois en français par les éditions Tonkam en 2000, la série a commencé sa réédition l’été dernier dans une édition prestige qui comprendra six tomes au total.

R. I.

Osamu Tezuka, Phénix – L’Oiseau de feu, Delcourt/Tonkam, volume 1, 640 pages ; volume 2 : 704 pages.


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Remi I.
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