Quand les voix dansent les cœurs galopent, de Cédric Bonfils :
Étudier le théâtre contemporain au collège et au lycée

Auteur d’une dizaine de pièces, animateur de formation à la lecture à voix haute et d’atelier d’écriture, Cédric Bonfils transcrit, dans vingt-cinq poèmes dramatiques, la parole de jeunes aux trajectoires mouvementées, certains sur les chemins de l’exil.
Par Sylvia Bienaimé, professeure de lettres missionnée DAAC Lille

La dernière pièce du dramaturge Cédric Bonfils revêt la forme d’un recueil de vingt-cinq textes écrits pour la scène, qui font entendre les voix de jeunes adolescents aux trajectoires et aux destins mouvementés. Certains sont de jeunes primo-arrivants, ils vivent en foyer ou dans la rue, ils ont parfois perdu un proche, subi la guerre, traversé les chemins de l’exil.

L’étude de cette pièce, composée de courts textes dramatiques, avec des collégiens et des lycéens propose aux élèves un parcours riche d’une humanité et d’une fragilité auxquelles les jeunes sont sensibles.

« On marche, on marche
On espère qu’on avance.
Il y a tellement de trajets
Dans cette marche qu’on fait tous
Pas envie de se perdre.
Pas envie non plus de revenir en arrière » (p.14).

Monologue, dialogue, quatuor, verset, distique, récit : la variété des formes traduit la singularité de chaque être et de chaque voix. L’écriture ciselée et rythmique de l’auteur place l’œuvre à mi-chemin entre le théâtre et la poésie. Dans La Cause littéraire du 7 octobre 2019, Marie du Crest qualifie la pièce de « théâtre-poésie », soit une« matière langagière et parole articulée se donnant l’une à l’autre ».

L’épitaphe empruntée au poète Eugène Guillevic invite également à regarder du côté de la poésie pour mieux sentir ce texte. Les élèves percevront immanquablement son caractère musical, le travail sur le rythme, les sonorités, la capacité de l’auteur à faire entendre des voix. Ces adolescents tchatent, chantent, dansent. La parole est flot, flux, flow.

« Ce flot ce flux
en même temps qu’on se tait
qui parle dans notre tête
qui parle sans voix » (p. 15).

La virtuosité de la langue permet de proposer des exercices de lecture à voix haute formateurs et stimulants. Trouver le bon rythme, placer les silences, respecter la ponctuation permet de mieux entendre et mieux comprendre les voix des personnages. L’écriture sonore de Cédric Bonfils montre le chemin. Les voix sortent seules de la page.

Quand les voix dansent, les cœurs galopent peut enfin trouver sa place dans le programme de lettres de la classe de première dans un dialogue avec l’œuvre de Lagarce, Juste la fin de monde. Proposer une comparaison des deux pièces peut offrir aux élèves d’exprimer une analyse fine des deux œuvres qu’ils pourront valoriser lors de l’épreuve de l’entretien de l’oral de L’EAF.

Tableau comparatif pour une étude dans le cadre de la lecture cursive en 1ère en lien avec le parcours « Crise personnelle, crise familiale » et l’étude de Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce.

Juste la fin du monde, de Lagarce Quand les voix dansent les cœurs galopent,
de Cédric Bonfils
La crise est représentée, elle a lieu sur scène. Cela évoque davantage le drame.La crise est évoquée par les personnages. Elle n’est pas représentée. Cela évoque davantage le théâtre épique.
À plusieurs reprises, les dialogues ont l’air de monologues successifs, tant les personnages ont du mal à s’écouter.Souvent les monologues ont l’air de dialogues, comme si quelqu’un était là, qui écoute et va répondre.
Les personnages se retrouvent, se voient, mais ne parviennent pas à se parler de façon authentique. Ils ont envie de se parler, mais ce qu’ils ont sur le cœur, ce qu’ils souhaiteraient dire le plus ne peut pas s’exprimer, semble ne pas pouvoir être entendu.Les personnages qui parlent s’adressent souvent à des absents (des proches qui se trouvent loin) ou à des personnes qui ne peuvent pas répondre, parfois même ils et elles s’adressent à des défunts. Mais la parole est authentique, on dirait même qu’ils se sentent entendus. Parfois la parole est adressée à quelqu’un qui est présent (même s’il n’est pas sur scène). Et elle reste authentique.
Le non-dit et l’impossibilité de l’exprimer enfin, au moment des retrouvailles, de le révéler, crée le drame.   La parole fait éprouver aux personnages la fragilité des liens, leur faux-semblant.Le drame n’est pas à l’endroit de la parole. Au contraire, la parole vient comme compenser le drame.   La parole rappelle aux personnages les liens qu’ils, qu’elles ont. Elle rend leur force plus perceptible.
Les personnages sont ensemble mais souvent semblent parler seuls.Les personnages sont souvent seuls mais semblent s’exprimer comme s’ils étaient écoutés, entendus.
L’intrigue se déroule de façon continue, linéaire. Mais la parole semble ne pas avancer, ne rien pouvoir dérouler, éclaircir, ou pas assez, pas autant qu’il aurait fallu.Il n’y a pas d’intrigue. Ce sont soit de courts récits soit des évocations, des fragments de récits. Mais la parole souvent semble évoquer quelque chose qui avance, même peu.
La parole butte sur ce qui fait défaut, la confiance, l’écoute mais s’appuie sur la joie des retrouvailles, sur la sensation que l’instant partagé pourrait amener une autre façon de se parler.La confiance évoque ce qui manque, ce qui questionne, ce qui inquiète, mais s’appuie sur une grande confiance en l’autre, souvent, sur la sensation que l’autre peut écouter, où qu’il soit.

S. B.

Cédric Bonfils, Quand les voix dansent, les cœurs galopent, Éditions Espaces 34, 2019.


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Sylvia Bienaime
Sylvia Bienaime