« Sils Maria », d’Olivier Assayas : "Twilight" vs "Mauvais sang"

Juliette Binoche et Kristen Steward, dans "Sils Maria", d'Olivier Assayas © Carole Bethuel
Juliette Binoche et Kristen Steward, dans “Sils Maria”, d’Olivier Assayas © Carole Bethuel

Olivier Assayas, porté par le charme de ses deux actrices principales, Juliette Binoche en star au bord du burn out et Kristen Stewart en assistante à la conscience critique suraigüe, joue la carte de l’opposition des genres, des styles et des modes.
D’un côté du « ring », en l’occurrence la maison alpestre du dramaturge où Maria Enders doit répéter son dernier rôle, l’égérie absolue du cinéma d’auteur depuis Mauvais sang de Leos Carax (1986) devenue, une décennie après, comédienne universellement populaire avec son rôle d’infirmière au grand cœur dans Le Patient anglais d’Anthony Minghella.
De l’autre, la star planétaire, l’héroïne de la fameuse série vampirique adolescente, le deuxième membre du couple le plus « flashé » du moment (Stewart /Pattinson), la figure la plus in du cinéma commercial de culture extensive. Mais ici, dans ce film à l’auto-référentialité affichée, entre les deux « étoiles » mi- fictionnelles / mi-réelles, pas de coup pour coup, pas de d’affrontement à l’uppercut, pas de corps à corps esthétisé, plutôt un jeu d’attirance/répulsion aussi discret qu’ambigu.

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Le huis-clos des grands espaces

Olivier Assayas développe un scénario aux multiples entrées dont l’une est à la fois la plus « banquable » et la plus subtile : l’inversion des rôles une fois franchi l’écran de la fiction cinématographique. Quand Juliette apparaît en robe Chanel dans le champ lumineux de la caméra, Kristen (Valentine) reste en effet dans le flou, « au service de », éternelle « ado » voûtée, grosses lunettes sur le nez, les yeux baissés sur son portable, tandis que sa « patronne » ne cesse d’attirer et/ou d’appeler la caméra.

L’anamorphose apparaît comme le principe premier de ce long métrage qui se structure autour du Phénomène nuageux de Maloja, daté de 1924. Ce film documentaire sert d’ailleurs de prologue à la pièce de « Wilhem Melchior » qui fit connaître Maria Enders vingt ans auparavant et qu’elle se convainc de rejouer après moult revirements en acceptant de changer de rôle, force de l’âge oblige.

Olivier Assayas confronte les espaces scéniques et les espaces visuels en faisant éclater les contrastes entre les intérieurs et les extérieurs. Entre ces lieux où les deux « adversaires », tout particulièrement l’accompagnatrice, fument cigarette sur cigarette et ceux, les sommets alpins de l’Engadine, où la petitesse des existences, fussent-elles artistiques et starisées, est contrainte de subir une implacable « contre-plongée » relativiste. Le grand cinéma tient peut-être à cela, à l’art de tracer des lignes de fuite, de donner de la perspective à la vacuité du quotidien, d’offrir en contrepoint au divertissement pascalien par écran interposé (Internet, blockbusters) des espaces infinis effrayants de vérité.

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L’espace littéraire et l’ère du vide

L’éclectisme du réalisateur n’est plus à démontrer. Olivier Assayas demeure en effet à la fois le réalisateur des Destinées sentimentales, adapté du roman de Jacques Chardonne en 2000, et celui de Demonlover (2002) où s’expose déjà la toile envahissante du « net plus ultra ». Toutefois, ce parcours semé d’épreuves cinématographiques n’a rien de forcé ni d’artificiel, comme s’il restait fondamental pour Olivier Assayas de servir de passeur entre deux rives, soit celui de la littérature et du présent sur-médiatisé – d’où l’intrusion d’une tierce-personne, parfaite « Bimbo » jouée par Chloë Grace Moretz, chargée de donner la réplique à Maria.

Sils Maria, film perturbant s’il en est, donne la part belle aux deux objets fétiches, le livre et le portable (avec sa variante, la tablette propice à la googlelisation), matérialisant les deux facettes interchangeables de la métaphysique bipolaire du réalisateur. Avec ces questions brûlantes, tout au long du récit filmique : qui va l’emporter, du livre ou de l’écran « total », de la profondeur des rides ou de l’illusion du jeunisme ; de Maria (Héléna) ou de Jo-Ann Ellis (Sigrid) ?

Un film qui a le vice et la vertu d’interroger, de provoquer ; une œuvre brûlante, vive, complexe, intellectuelle et esthétique, susceptible de torturer le spectateur comme le « serpent de Majora » qui sert de métaphore au récit.

 Antony Soron

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Antony Soron
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