« The Homesman », de Tommy Lee Jones

"The Homesman", de Tomy Lee JonesNeuf ans après son premier film en tant que réalisateur, Les Trois enterrements de Melchiades Estrada (2005), le grand acteur Tommy Lee Jones revient derrière la caméra avec un nouveau western qui confirme son amour de Texan pour les grands espaces de l’Ouest.
Ce film est, comme le précédent, un road movie. Adapté du Chariot des damnés de Glendon Swarthout, le scénario suit, vers 1850, trois femmes jugées folles par leurs maris et chassées d’une ville du Nebraska.
Elles sont confiées à Mary Bee Cuddy, une jeune pionnière forte et énergique, magistralement interprétée par Hillary Swank, qui s’est proposée pour les ramener seule du côté de chez elles.

 

Une véritable enquête sur les femmes de pionners

Sur sa route vers l’Iowa, où ces femmes pourront trouver refuge dans un milieu religieux, Mary Bee Cuddy rencontre George Briggs, un voleur qui a la corde au cou et qu’elle sauve d’une mort imminente. Malgré son aspect peu engageant et sa rudesse, elle décide de l’engager pour qu’il puisse l’aider à faire face aux dangers, nombreux dans les vastes étendues de la Frontière. Il sera le « homesman », néologisme créé par le romancier pour désigner le « rapatrieur », celui qui ramènera ces femmes à leurs milieux d’origine.

Dans ce film, Tommy Lee Jones ne se fait pas de cadeau et sa première apparition est à la fois pitoyable et grotesque; mais il compose un personnage complexe et passionnant de dur à cuire au grand cœur, capable de déceler sous l’apparence des êtres leur nature profonde et leur aptitude au sublime.
Surtout, il retourne les codes du western en s’attaquant à un sujet rarement traité par ce genre et sur lequel il s’est beaucoup documenté, le sort peu enviable des femmes de pionniers. Ces femmes de l’ère victorienne, nées dans l’Est civilisé, ont été emmenées dans l’Ouest sauvage en vertu du Homestead Act, qui offrait des terres aux familles désireuses de s’occuper d’exploitations agricoles.
 

Un tableau très fin de la condition féminine dans l’Ouest américain

Vivant de façon précaire au milieu de nulle part, véritables esclaves, les trois épouses du film, traitées comme des bêtes de somme et régulièrement violées par leurs maris, ont de surcroît perdu ou même tué leurs enfants. Décrétées démentes, elles sont traitées en famille par des bains d’eau glacée ou des marches forcées dans la neige. À des milliers de kilomètres de Charcot et de la Salpêtrière, ce sont à l’évidence trois cas d’hystérie qui débouchent sur de véritables schizophrénies.
La seule femme réputée sensée est leur convoyeuse, Mary Bee, intelligente et aisée, qui, elle, a le problème inverse. Elle cherche en vain un mari, mais les hommes la trouvent trop indépendante et autoritaire. Elle a donc développé un autre type d’hystérie, mais dissimule son désespoir derrière une façade impeccable.
Après l’exposition de ces cas pathologiques en rapides flash-back, Tommy Lee Jones garde la structure du roman, dont le déroulement linéaire convient à son goût pour le road movie : voyage épuisant, haltes obligées marquées par des péripéties héroïques comme la rencontre des Indiens Pawnees ou l’incendie d’un hôtel hostile, retour au foyer. Il faut souligner l’authenticité et le souci minutieux du détail dans ce tableau très fin de la condition féminine dans l’Ouest sauvage, qui témoigne à la fois d’une connaissance parfaite, intime, des mœurs de la région et d’une empathie certaine pour ces femmes martyres.
 

Un voyage initiatique

Décidément l’homme est aussi attachant que l’acteur charismatique de Men in black, devenu un réalisateur qui compte par son honnêteté intellectuelle et sa générosité naturelle.
Son amour des étendues désolées est servi par la photo de Rodrigo Prieto, qui exalte en plans larges les paysages à perte de vue des Grandes Plaines. Il nous rend sensibles l’âpreté du vent et du froid, la beauté inquiétante des paysages neigeux, les angoisses d’une nuit sans étoiles, le clair-obscur d’un feu nocturne dans une clairière. Par son sens du cadre et du rythme, ce récit évoque les westerns mythiques de John Ford, mais se veut surtout un voyage initiatique jusqu’au bout de la folie ou une odyssée de la misère et de la grâce.
Lecteur de Mark Twain et de Cormack Mac Carthy, Tommy Lee Jones aimerait bien adapter Méridien de sang de ce dernier. On l’imagine facilement dans le rôle du juge Holden, ce géant au savoir encyclopédique. Espérons qu’il puisse réaliser ce projet ambitieux.

Anne-Marie Baron

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Anne-Marie Baron
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