"La Villa", de Robert Guédiguian

"La Villa", de Robert GuédiguianLe cinéma de Robert Guédiguian est unique, singulier, aisément reconnaissable. À quelques exceptions près, il refuse les productions spectaculaires ou recherchées, leur préférant des films simples, modestes, « bêtes comme la vie », comme aurait dit Flaubert.
Les histoires racontées sont celles de tous les jours, des émois sentimentaux, des querelles de famille, des moments de partage festif, des bavardages avec les voisins, une communion avec un décor, celui des racines.

Un sentiment de fraternité humble

Ces aventures qui n’en sont pas sont vécus par des acteurs qui ont cessé de l’être pour former une famille que nous retrouvons avec plaisir, même si le temps a épaissi leurs traits et rendu lourdes leurs démarches. Ils ont nom Ariane Ascaride, Jacques Boudet, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, auxquels se joignent quelques nouveaux qui peinent à s’intégrer au groupe.
C’est ce sentiment de fraternité humble que veut rendre d’abord ce film dont le titre oublie d’évoquer l’action ou les hommes pour mettre en vedette un lieu emblématique autour duquel on se retrouve ou se déchire : La Villa. Celle-ci se situe à l’Estaque, aux portes de Marseille, au fond d’une calanque préservée, face à une mer sauvage, douce ou sombre selon les jours, au pied d’un imposant viaduc que l’on croit conçu pour inspirer les peintres.
La villa a été bâtie de ses mains par le père, aidé des voisins, dans un temps de jeunesse insolente que rien ne pouvait effrayer. Mais le patriarche est désormais cloué sur un fauteuil, silencieux, terrassé par une attaque, et ses trois enfants, qui se retrouvent à son chevet, confrontent leur vécu et tentent de retrouver quelque chose d’un passé grandi par le souvenir, poli par la nostalgie et terni par les drames.

"La Villa", de Robert Guédiguian
“La Villa”, de Robert Guédiguian © Agat Films & Cie / France 3 Cinéma

Une villa symbolique

Chacun a eu ses réussites et ses échecs, ses motifs de fierté et ses sources de honte. Les paroles échangées, rares, codées, révèlent des fêlures et des inaccomplissements que le cinéaste, économe et pudique, ne dévoile que partiellement et progressivement. Le monde change, le progrès progresse, la réalité échappe et les promoteurs guettent. Faute de tout comprendre ou de tout maîtriser on peut choisir la fuite, comme ce vieux couple de la maison d’à côté qui acclimate le shinju (suicide amoureux au Japon) à la mode méridionale.
On peut aussi quitter les lieux pour aller faire fortune dans le business à Londres ou à Paris, ainsi que s’y préparent les deux jeunes gens, pas forcément antipathiques, le médecin et la jeune cadre, faits pour s’entendre. On peut encore retarder l’échéance, ressusciter les images (ou les actes) d’une jeunesse envolée, faire de l’esprit – sans amuser personne –, continuer à pêcher, comme le touchant et anachronique Benjamin, ou à servir des repas à prix raisonnables, comme Armand qui gère le restaurant familial.
Jusqu’au moment où se rencontre un malheur plus grand que le sien, celui d’enfants arrachés à leur pays et venus tenter leur chance dans un Eldorado menacé. Autour des petits migrants, la fratrie se ressoude, la mélancolie s’estompe, l’espoir renaît. Guédiguian nous refait le coup des Neiges du Kilimandjaro, cette belle réussite cinématographique de 2011 qui s’achevait sur une promesse de renouveau offerte par des orphelins copiés sur ceux du poème de Hugo, “Les Pauvres gens”.
Et nous marchons dans l’affaire, car nous avons compris que cette villa symbolique pouvait à nouveau donner du bonheur. Le cinéma de Guédiguian est certes démonstratif, souvent tragique, mais il est volontiers poétique et jamais désespéré.

Yves Stalloni

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« Les Neiges du Kilimandjaro », de Robert Guédiguian, par Yves Stalloni.
« Le Havre », d’Aki Kaurismaki et « Les Neiges du Kilimandjaro », de Robert Guédiguian, par Anne-Marie Baron.

Yves Stalloni
Yves Stalloni

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