Antigone : celle qui choisit de dire non. Parcours de personnage en seconde professionnelle

"Antigone recouvrant le corps de Polynice", de Marie Stillman (1844 –1927)
« Antigone et Ismène enterrant Polynice », de Marie Stillman, 1873

Les enjeux d’Antigone
à travers les siècles
et son actualité dans les programmes

de seconde professionnelle

« Depuis le Ve siècle avant Jésus-Christ, la sensibilité occidentale a vécu les moments cruciaux de son histoire et de son identité en référence à la légende d’Antigone et à sa prolongation artistique et spéculative. »
Cette affirmation de George Steiner, qui a recensé plus de deux cents versions d’Antigone, marque à quel point le personnage et son mythe structurent en profondeur la pensée occidentale. Devenu depuis le XIXe siècle le « dénominateur commun conceptuel » de notre lecture à la fois de la psychologie collective, de la structure sociale et des codes symboliques, le mythe d’Antigone focalise tout particulièrement notre « économie de l’imaginaire ».

 

Les cinq conflits inhérents à la nature humaine

Georges Steiner explique en effet : « Je crois qu’il n’a été donné qu’à un seul texte littéraire d’exprimer la totalité des principales constantes des conflits inhérents à la condition humaine. Elles sont au nombre de cinq : l’affrontement des hommes et des femmes, de la vieillesse et de la jeunesse, de la société et de l’individu, des vivants et des morts, des hommes et de(s) dieu(x). Les conflits qui résultent de ces cinq types d’affrontement ne sont pas négociables. »
Ces cinq catégories fondamentales s’actualisent dans l’affrontement entre Antigone et Créon (vers 441-581 de la version de Sophocle).
Si Sophocle n’a pas inventé le personnage d’Antigone – l’existence d’une version d’Eschyle, aujourd’hui perdue, est attestée –, son œuvre a focalisé et cristallisé les enjeux du mythe, et la lecture que l’on en fit à la fin du XIXe siècle a construit le personnage comme symbole de la révolte contre la tyrannie. En effet, les hellénistes, après croisement des sources, s’accordent sur le fait que, si le matériau mythique préexiste à l’œuvre de Sophocle, c’est ce dernier qui a « inventé » le refus d’Antigone de s’en tenir à l’édit de Créon et l’affrontement tragique qui en découle.
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Deux visions du droit

Cependant, l’opposition entre le juste et l’injuste (Antigone / Créon) n’était pas si tranchée pour les contemporains de la pièce. Créon est, lui aussi, soumis à la pression tragique. Tous deux ont une vision du droit et se posent en gardiens de la loi. De plus, Polynice s’apprêtait à attaquer la terre de ses pères, à brûler les temples, faisant offense aux morts et aux vivants et s’opposant donc aux lois divines. Il était déjà banni, dans tous les sens du terme.
L’Antigone de Sophocle est ainsi accusée d’excès et de démesure par Créon ; et, pour les Grecs, l’hubris est une faute. Ce sont les lectures conjointes d’Hegel, d’Hölderlin et de Schelling, dans le contexte de la Révolution française, qui ont fait du personnage l’illustration de la lutte entre la conscience individuelle et le bien public. S’associent deux thèmes tout particulièrement prégnants dans l’histoire littéraire de la fin du XIXe siècle : les relations frère-sœur et l’enterrement vivant, qui hante et fascine encore de nos jours l’imaginaire.
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Les interprétations contemporaines d’Antigone

Aujourd’hui, ces lectures d’Antigone, toujours actuelles, se trouvent complétées par l’apport de la psychanalyse et, notamment, par la question de l’inconscient collectif tel que l’a théorisé Carl Gustav Jung dans Sur l’interprétation des rêves. L’anthropologie (James George Frazer, Claude Lévi-Strauss) fera sienne cette approche en mettant en évidence la fascination de l’héroïne pour la mort (Antigone est du côté des morts, Créon du côté des vivants) et la mise en question de l’organisation sociale soulevée par son refus (ce qui ouvre sur le rôle des femmes dans la famille et, plus largement, dans la cité). Par ailleurs, Jacques Lacan évoque une Antigone « ténébreuse », opposée à l’Antigone « héroïque », « mue par le pur et simple désir de mort ».
Les Antigones nées de la Première puis de la Seconde Guerre mondiale deviennent de faibles individus face à l’État tout-puissant, symbolisé par Créon et assimilé à une dictature fasciste. De fait, de nos jours « Antigone est considérée comme le symbole de la résistance individuelle à l’arbitraire d’État au nom d’un devoir supérieur. Elle est celle qui dit “non”, sans négociation possible, à l’abus de pouvoir […], et ce “NON” définitif architecture toutes les Antigones contemporaines qui le déclinent sous différentes formes : résistance à l’oppression, refus de l’injustice, objection de conscience, désobéissance civile, rébellion, dissidence… ».
Mais il ne s’agit pas d’un refus de la légalité : simplement du mauvais usage qui en est fait.
Le champ des Antigones contemporaines est donc très vaste, et l’on notera, en outre, une véritable féminisation de son combat à partir de la seconde moitié du XXe siècle. On peut ainsi évoquer une « reconfiguration du personnage sous le signe du féminin », par exemple au sein de l’écriture romanesque avec l’Antigone d’Henry Bauchau (1997), en focalisation interne. Antigone n’y meurt pas vraiment mais se transforme en un autre personnage de femme, et devient une voix.
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Le féminin contre-pouvoir de l’autorité tyrannique

Par ailleurs, nombre d’Antigones contemporaines, investies par des écrivaines, portent un ordre utopique dans lequel le féminin serait le contre-pouvoir de l’autorité tyrannique. Tous ces éléments ne seront pas abordés explicitement dans la séquence proposée, qui se centrera sur les objets d’étude recommandés pour la seconde professionnelle.
Néanmoins, il s’agira de construire la complexité du personnage d’Antigone, à la fois femme, sœur, et révoltée. Il s’agira également d’amener les élèves à comprendre comment ce personnage focalise les divers possibles de la révolte contre la tyrannie (qu’il s’agisse de l’offense faite à l’amour fraternel, aux dieux, à la justice, aux femmes…) et comment chaque auteur s’est approprié Antigone afin de conduire les jeunes lecteurs / scripteurs à engager les mêmes processus d’identification-appropriation.

Magali Jeannin, ÉSPÉ de Caen

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• Pour recevoir l’ensemble de la séquence « Antigone, celle qui choisit de dire non » ,  abonnez-vous à une formule “lycée”.

Affiche de la première représentation de l'"Antigone" de Jean Anouilh, en 1944, au théâtre de l'Atelier
Affiche de la première représentation de l'”Antigone” de Jean Anouilh, en 1944, au théâtre de l’Atelier


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• Une séquence expérimentée en classe de troisième a également été consacrée à l’« Antigone » d’Anouilh : 
La lecture et l’étude de la pièce de Jean Anouilh passionnent les élèves de troisième. Il s’agit d’une œuvre courte, usant d’un vocabulaire contemporain, dont l’héroïne est une adolescente combative et révoltée. Son inscription dans le contexte historique moderne par sa date de représentation (février 1944) permet à la fois une liaison avec le programme d’histoire et une ouverture dans l’interprétation des sens. Pour l’enseignant, l’étude d’« Antigone » se rattache à celle d’une forme théâtrale très codée, la tragédie. De la tragédie classique française du XVIIe siècle au renouveau du XXe siècle, les variations qu’elle offre sont autant de points à aborder en troisième, même modestement, en vue d’un approfondissement dans le second cycle.
Pour recevoir l’ensemble de cette séquence proposée pour une classe de troisième (25 pages), abonnez-vous à une formule “collège”.

Contact : courrier@ecoledeslettres.fr

 

Magali Jeannin
Magali Jeannin

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