Autour de la guerre en Ukraine : les étapes à suivre en classe

Dans un premier temps, donner la parole en s’appuyant sur des documents. Puis revenir sur des éléments historiques pour expliquer les événements. Enfin, envisager des productions et des actions pour ne pas rester passif face à un conflit vécu en temps réel et qui peut paralyser d’émotion.

Par Alexandre Lafon, professeur d’histoire et historien

Dans un premier temps, donner la parole en s’appuyant sur des documents. Puis revenir sur des éléments historiques pour expliquer les événements. Enfin, envisager des productions et des actions pour ne pas rester passif face à un conflit vécu en temps réel et qui peut paralyser d’émotion.

Par Alexandre Lafon, professeur d’histoire et historien

Depuis le 24 février dernier et l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le monde et l’Europe semblent sidérés par l’événement. Condamné unanimement par la communauté internationale qui s’appuie sur le droit international avec la résolution de l’ONU du 2 mars 2022, cet acte s’inscrit dans un contexte géopolitique qu’il est nécessaire de comprendre pour faire face à l’émotion.

Cette invasion rappelle les heures les plus noires des conflits mondiaux du XXe siècle. Pour les anciens, elle réveille une mémoire sans doute douloureuse. Pour les élèves, les plus jeunes mais également les adolescents, elle représente une puissante intrusion dans leur univers, leur quotidien : la paix marque leur repère de vie, la guerre est une étrangeté qui bouscule ceux qui ont eu la chance de grandir dans des familles protégées des désordres du monde. D’autant qu’ils sont confrontés à l’exacerbation des émotions des adultes et à la diffusion en continu des images de destruction, de fuites, de pleurs, de souffrances à la télévision et sur les réseaux sociaux. Les médias de masse d’aujourd’hui, tout en apportant des éléments de compréhension, jouent d’ailleurs sur la spectacularisation de la guerre.

Tous ces éléments suscitent de nombreuses interrogations et sentiments parfois contradictoires qui doivent être canalisés. Il s’agit de savoir mettre à distance pour mieux comprendre et éviter deux écueils : la saturation et les idées reçues sur le conflit, avec une partition trop binaire entre les « bons » et les « méchants ». Sans compter la montée d’un climat belliqueux.

Pour faire comprendre aux élèves de tous les niveaux l’importance de l’événement et son contexte, il importe de leur présenter des documents, de les décrire et les analyser avec eux : cartes, images référencées, témoignages de spécialistes, paroles vérifiées, etc. Et pas seulement les seuls professeurs d’histoire et de géographie, car l’actualité s’inscrit dans une réflexion civique collective. L’ensemble des professeurs doit être en mesure de s’exprimer et de manière concertée.

Introduire le sujet : la parole aux élèves

En premier lieu, les professeurs doivent engager la discussion, faire émerger les émotions et les questions « à hauteur » des élèves. Toutes sont légitimes. J’ai adressé, par exemple, ces jours derniers, une synthèse des enjeux géopolitiques du conflit en Europe à mes élèves de première, leur demandant de me faire remonter leurs impressions et questions. Elles serviront à nos échanges en classe.

Le maître à l’école primaire ou les enseignants de collège peuvent commencer un cours par une image du conflit, une « Une » spectaculaire de la presse nationale du 24 février, par exemple. La première étape est bien de légitimer l’émotion ressentie. En témoigne, autre exemple, le premier message télévisé du Président de la République, plus haut responsable politique du pays[1].

Il est possible de lister les sentiments ressentis : peur, colère, tristesse, et de les associer à des images et des événements. Il est intéressant de sonder également la place de l’événement dans le quotidien des élèves : de quelles informations disposent-ils ? Par quels canaux ? Échangent-ils avec leurs parents au sujet de la guerre en Ukraine ?

Cet exercice s’inscrit dans les attendus de toute démocratie : le partage de la parole libre, le débat contradictoire dans la pluralité des points de vue. Ce premier travail collectif est essentiel : il amène à comprendre effectivement l’importance de l’événement, qu’ils ne sont pas isolés dans leurs émotions et que leur parole compte. Ce travail de partage, nécessaire après chaque événement traumatique (comme après les attentats de 2015, par exemple), renvoie à un exercice sain et serein de mise à plat. Ensuite, dans un deuxième temps, l’enseignant pourra poser des éléments de compréhension.

Pourquoi un tel événement ?

« Les événements de cette nuit sont un tournant dans l’histoire de l’Europe et de notre pays ». Ainsi parle avec solennité le président Emmanuel Macron, le 24 février 2022, aux premières heures de l’invasion. L’enseignant peut s’appuyer sur ces mots pour faire comprendre la portée de l’événement aux élèves.

Depuis la Seconde Guerre mondiale, l’Europe n’avait pas connu un tel acte belliqueux. La guerre civile en ex-Yougoslavie de 1993-1995, et sa prolongation au Kosovo en 1999, restaient dans les mémoires comme les derniers soubresauts de la dramatique histoire guerrière de l’Europe du XXe siècle. La dernière invasion remontait à celle de la Pologne par les blindés allemands du régime nazi en septembre 1939. Invasion qui précipita notre continent et le monde dans une deuxième guerre mondiale.

Après la catastrophe humaine de la guerre de 1939-1945 (déjà au lendemain de la Grande Guerre), les États européens ont souhaité construire un espace pacifié en Europe : ils ont notamment mis en place des outils économiques et politiques de coopération. Ainsi sont nés successivement l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE, 1975) et bien sûr l’Union européenne (traités de Rome de 1957 et de Maastricht en 1992). Le continent européen est ainsi devenu une des rares zones du monde où la paix est inscrite dans les fondements de la vie politique.

Les leçons tirées de la Seconde Guerre mondiale ont également permis la création de l’Organisation des Nations unies (ONU), le 24 octobre 1945. Cette force, dont l’enjeu premier est le maintien de la paix, a fermement condamné, le 2 mars dernier, l’invasion russe de l’Ukraine.

Le monde contemporain n’est certes pas exempt de tensions et d’affrontements, comme au temps de la guerre froide : sur différents fronts en Afrique, au Moyen-Orient ou en mer de Chine naissent des conflits autour des ressources, des frontières, du pouvoir.

L’invasion de l’Ukraine fait également remonter à la surface le passé douloureux des démocraties populaires et le souvenir de la mainmise soviétique sur l’Europe de l’Est entre 1945 et 1991. Les chars de l’Armée rouge avaient repris en main Budapest en Hongrie (1956) et Prague en République tchèque (1968). Ils étaient déjà pourtant stationnés dans ces deux pays. Durant la guerre froide, le « monde libre » s’opposait aux velléités impérialistes du communisme totalitaire. Cette histoire semble se rejouer aujourd’hui dans un cadre différent : celui de la mondialisation, de l’interconnexion des territoires qui conduit à un enrichissement plus marqué des sociétés.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie est donc sidérante par le rappel d’un passé dramatique (guerres mondiales, guerre froide) et par le sombre avenir qu’il annonce. L’Ukraine, État démocratique, est attaqué frontalement par un État totalitaire qui souhaite le reconstruire « à sa botte ». L’Europe comme les États-Unis ne peuvent laisser faire, eut égard aux valeurs qu’ils défendent (état de droit, démocratie, droits de l’Homme) et aux traités internationaux qui les lient (Otan). Mais ils ne peuvent pas intervenir directement sous peine de déclencher une nouvelle guerre mondiale.

« Nous appuierons l’Ukraine, pour assurer leur stabilité, a déclaré Emmanuel Macron le 24 février. Les événements de cette nuit sont un tournant qui aura des conséquences durables et profondes. »

La position de la Russie

Le conflit est en cours. Personne ne sait combien de temps il va durer, et il peut prendre des chemins fort différents : règlement diplomatique, pourrissement dans une guerre locale, élargissement du conflit et des violences, troisième guerre mondiale nucléaire…

Il aura, quoi qu’il en soit, des répercussions sur la société européenne et mondiale.

Vladimir Poutine, tout autocrate qu’il est, n’agit pas « uniquement » par folie ou pulsion de mort. Il appuie son action sur des représentations et des rapports au monde en grande partie partagés par la société russe :
– un sentiment de déclassement de la Russie depuis la chute de l’Union soviétique en 1991 ;
– une volonté de maintenir une zone d’influence sur des territoires perçus historiquement comme « russes » (le président Poutine, lors de son adresse du 24 février, a évoqué la « petite Russie », communauté spirituelle) ;
– un sentiment concomitant d’être assiégé par les démocraties et l’Otan, héritage de la guerre froide ;- l’enjeu économique que représente l’Ukraine pour la Russie : terre de ressources naturelles importantes (blé, métaux, etc.) et permettant un accès à la mer.

Les outils pédagogiques

Les enseignants disposent d’outils pédagogiques adaptés pour poursuivre la séquence entamée avec les prises de parole des élèves. En premier lieu, les cartes historiques et courtes animations comme celles proposées par l’émission Le Dessous des cartes[2] (pour le collège et le lycée), France Info[3] ou le site Télécrayon[4].

Les professeurs intervenant en enseignement de spécialité en classe de première comme de terminale disposent du temps nécessaire pour développer ces différents éléments clés. Des outils pédagogiques et séquences sont déjà disponibles sur des sites spécialisés comme les Clionautes[5] (axe 1 « Essor et déclin des puissances : un regard historique », du thème 2 « Les puissances », du programme de première ; axe 1 « La dimension politique de la guerre » du thème 2 « Faire la guerre, faire la paix », du programme de terminale).

Ces outils peuvent également être utiles aux professeurs d’histoire en lycée (programme de terminale) ou de lettres-histoire en lycée professionnel. Pour ces derniers, le thème 1 en histoire intitulé « Le jeu des puissances dans les relations internationales depuis 1945 » entre parfaitement en résonnance avec le contexte actuel.

L’ensemble des acteurs mondiaux (ONU, Otan) et régionaux (UE), investis dans le soutien à l’Ukraine, peuvent être remis en lumière auprès des élèves. La crise en Ukraine pose la question du poids de ces instances face à la question de « puissance » et de « superpuissance » que la Russie souhaite retrouver en remettant en cause l’indépendance des républiques comme l’Ukraine qui lui étaient attachées.

Une revue de presse et l’étude des titres des grands journaux nationaux du 24 février au 1er mars permettent de prendre la mesure de l’événement. L’étude d’un article plus précis sur la cyberguerre comme celui proposé par le journal Le Monde[6] peut aider à alerter sur la guerre de l’information à l’œuvre, comme dans toute guerre mais avec ses dimensions modernes via les réseaux sociaux et à réfléchir au rôle de la propagande dans un conflit et à l’impact des fake news. Le professeur d’anglais peut s’associer au professeur de lettres-histoire en proposant une revue de presse en anglais.

Pluridisciplinarité et actions collectives

La pluridisciplinarité est une entrée pertinente. Le professeur documentaliste et le CDI jouent un rôle essentiel de coordination et d’apport en ressources utiles : littérature slave ; articles sur les questions de défense et sur le thème de la guerre ; exposition de « Unes » de journaux ; ateliers dédiés à l’éducation aux médias (Radio France abonde en articles et vidéos utiles) ; rencontre avec des journalistes…

Des productions collectives ou individuelles d’élèves sont envisageables. Elles peuvent prendre la forme de travaux plastiques ou d’écriture : aide aux associations ukrainiennes, prise de contact avec les écoles françaises en Ukraine et/ou en Russie. Mettre en place des actions concrètes permet d’être actif dans un événement grave et de ne pas rester passif. Elles inscrivent aussi les élèves dans l’engagement, pilier de la citoyenneté en démocratie.

Le monde suit la guerre en Ukraine en temps réel. La couverture médiatique de l’événement reste dense, le sort des civils ukrainiens captivant principalement l’attention des médias. Mais l’attention collective peut rapidement vaciller. Les regards n’étaient pas trop tournés vers cette partie du monde où des combats se déroulent en réalité depuis 2014 dans la région du Dombass.

L’un des dangers de nos sociétés hyper connectées et hyper émotives, fondées sur la sensation et le spectacle, est de laisser se faner l’intérêt pour l’événement. Sauf à ce que les répercussions ne heurtent directement nos vies quotidiennes.

Si l’histoire ne se répète pas, les sociétés démocratiques, malgré d’importantes politiques de mémoire et d’enseignement civique, ont une fâcheuse tendance à se croire à l’abri des maux du passé. La guerre en Ukraine doit rappeler à la réalité. Des lectures complémentaires, comme Indignez-vous ! de Hessel, Matin brun de Pavloff ou Inconnu à cette adresse deKressmann Taylor, en collège ou en lycée, peuvent aider à se projeter.

A. L.


[1] https://www.youtube.com/watch?v=pncMh_URPbc

[2] https://www.youtube.com/watch?v=EuHbbKqM4oE

[3] https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/infographies-crise-ukraine-russie-cinq-cartes-pour-comprendre-le-conflit-et-ses-origines_4975641.html

[4] https://www.youtube.com/watch?v=GkNc6n2ek04

[5] https://www.clionautes.org/guerre-ukraine-2022.html

[6] https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/02/27/guerre-en-ukraine-sur-internet-propagande-et-cyberattaques-revendiquees-mais-inverifiables_6115460_4408996.html

RESSOURCES PÉDAGOGIQUES :

« Comment évoquer la guerre en Ukraine avec les élèves ? », Jean-Riad Kechaou, L’École des lettres, 5 mars 2022.

« La poésie comme arme de résistance », Antony Soron, L’École des lettres, 7 mars 2022.

« Un poète ukrainien, chantre de la liberté : Taras Chevtchenko », Pascal Caglar, L’École des lettres, 4 mars 2022. 

Évoquer la guerre en Ukraine dans nos classes – quelques pistes, ressources pédagogiques, APHG, 25 février 2022.

« Six documentaires à voir pour comprendre la guerre en Ukraine, Télérama, 1er mars 2022.

Andreï Kourkov : « Nous, intellectuels ukrainiens, sommes unis», Isabelle Mandraud, Le Monde, 4 mars 2022.

« La singulière version de l’histoire de l’Ukraine selon Vladimir Poutine », France Culture, 23 février 2022.

« Que pèsent les mouvements néonazis en Ukraine ? », France culture, 3 mars 2022.

La Russie inquiétante de Poutine, livre numérique, Libération, 2014.

Alexandre Lafon
Alexandre Lafon