Bac philo :
sujets et proposition de corrigé sur le bonheur

Plus de 700 000 lycéens ont planché le 14 juin sur les différents sujets de l’épreuve de philosophie du baccalauréat, dernière épreuve écrite de la cuvée 2023. Sujets à la fois riches et classiques. Illustration.
Par Hans Limon*

Les sujets du bac philo 2023

Filière générale :

  • Le bonheur est-il affaire de raison ?
  • Vouloir la paix, est-ce vouloir la justice ?
  • Un extrait de La Pensée sauvage (1962), de Claude Lévi-Strauss

Filières technologiques :

  • L’art nous apprend-il quelque chose ?
  • Transformer la nature, est-ce gagner en liberté ?
  • Un extrait de la Théorie des sentiments moraux (1759) d’Adam Smith

Proposition de corrigé : le bonheur est-il affaire de raison ?

Introduction

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« Ignorance is bliss », affirme Cypher, personnage du film de science-fiction The Matrix (1999) préférant être réencodé dans la simulation heureuse de la matrice plutôt que de vivre lucide au beau milieu d’un « désert du réel » au ciel obscurci, dominé par l’intelligence artificielle et le machinisme totalitaire. Avec cette sentence émerge la question de la nature du bonheur : réclame-t-il une part de calcul, de maîtrise et de prévision, un effort d’honnêteté, de réflexion, une conduite morale conforme à certains principes déontologiques, ou n’est-il qu’un état de satisfaction reposant sur la puissance des désirs et faisant feu du bois de l’ignorance, de l’illusion, du matérialisme et de la sensualité ? Le bonheur, étymologiquement affaire de chance, est-il à la portée de notre libre arbitre ? Peut-on travailler à être heureux ou faut-il, au contraire, en opportuniste guettant la moindre occasion, s’y abandonner ? Plutôt que sur la raison, le bonheur ne repose-t-il pas sur la passion ? Est-il marqué du sceau de l’égoïsme ou de la moralité ? Enfin, peut-on à coup sûr se rendre heureux ? Existe-t-il une technique du bonheur ? Dans quelle mesure peut-on se rendre soi-même heureux ? Voici quelques pistes de réflexion, à rédiger et à développer.

Première partie : le bonheur, une affaire de passion ?

L’évidence première définit le bonheur comme un état durable – à distinguer de la joie éphémère – découlant de la satisfaction de tous nos désirs.

  • Calliclès, rhéteur du Gorgias de Platon et chantre de « la justice selon la nature », ne conçoit de bonheur que dans l’accroissement des désirs et leur satisfaction subséquente.
  • De son côté, l’utilitarisme prône une moralité basée sur le bonheur du plus grand nombre, au niveau individuel comme au niveau collectif. Ce bonheur étant garanti par un calcul félicifique contrebalançant avantages et inconvénients.
  • Étymologiquement reliée à l’idée de calcul, la raison semble quelque peu abstraite, desséchante et théorique. Plaçant la vie au-dessus de la vérité, Nietzsche n’hésite pas à vanter les vertus de l’oubli et le pouvoir de l’illusion, notamment dans sa dimension artistique. 
  • La psychanalyse freudienne décrit l’économie pulsionnelle par l’intermédiaire du principe de plaisir. Le but de tout désir est d’obtenir satisfaction. En nous confrontant aux limites, normes et interdictions en tous genres, la raison nous précipite dans l’abîme douloureux et maladif du refoulement. 
  • Enfin, que peut l’aride raison aux principes universels face au subjectivisme de fond de tout bonheur ? Quelle prise a-t-elle sur le hasard, dont la faveur et la défaveur peuvent déterminer la trajectoire d’une vie ?

Transition
Un bonheur fondé sur la passion n’est-il pas un bonheur animal ? N’y a-t-il pas un bonheur spécifiquement humain dont la raison serait la condition ?

Deuxième partie : la raison au service du bonheur 

En tant qu’instrument – propre à l’homme – permettant de dissocier le vrai du faux, le bon du mauvais, le bien du mal, la raison est garante d’un bonheur sage, stable et équilibré. Il existe donc une dichotomie entre un bonheur animal, matériel, et un contentement consubstantiel à la moralité.

  • Socrate n’hésite pas à qualifier l’homme selon Calliclès de « pluvier », un oiseau qui mange et fiente en même temps. Le bonheur platonicien est en effet le fruit d’une tempérance et d’une harmonie entre les trois parties de l’âme : l’epithumia ou désir, le thumos ou courage, et le noûs (également logistikon) ou l’intellect. Vouloir satisfaire tous ses désirs revient à tenter de remplir un tonneau percé, en l’occurrence celui des Danaïdes.
  • Le bonheur du stoïcien n’est possible que par la distinction entre ce qui dépend de lui et ce qui n’en dépend pas, autrement dit de la prévalence lucide du principe de réalité sur le principe de plaisir. 
  • Aristote fait dépendre le bonheur de la vertu, juste mesure en toute chose acquise par l’habitude, et d’une activité conforme à la raison, part divine de l’homme.
  • Dans sa Lettre à Ménécée, Épicure, en médecin de l’âme, propose une hiérarchisation éclairée des désirs menant à l’aponie, calme du corps, et à l’ataraxie, sérénité de l’âme.
  • Dans sa correspondance avec Élisabeth, fille du roi de Bohême, Descartes distingue bonheur et béatitude : cette dernière est la conséquence de la générosité, c’est-à-dire le bon usage de notre libre arbitre. S’illusionner revient selon lui à s’étourdir « avec du pétun », c’est-à-dire se perdre dans les fameux « paradis artificiels » : dans un langage sartrien, celui qui s’illusionne sait bien, au fond, qu’il s’illusionne. Son bonheur est donc fragile car incessamment menacé par l’immixtion de la réalité.

Transition
La raison est-elle un instrument infaillible ? Le bonheur s’offre-t-il immanquablement à tout être raisonnable et moral ? Plutôt qu’un but accessible par une conduite conforme aux prescriptions de l’intelligence et aux injonctions du devoir, le bonheur n’est-il pas un idéal de l’imagination ?

Troisième partie : les limites de la raison et le bonheur comme idéal de l’imagination 

On peut être sensé, altruiste et lucide, sans toutefois être heureux. Si elle est nécessaire au bonheur, la raison n’y suffit pas pour autant.

  • Kant opère une distinction entre doctrine de la vertu et doctrine de la prudence : agir par devoir relève de l’évidence et d’un impératif catégorique, quand se rendre heureux dépend d’impératifs hypothétiques, c’est-à-dire de conseils dont l’effet n’est jamais garanti.
  • Aristote lui-même n’hésite pas à préciser qu’un sage, même vertueux, ne peut pas être heureux si la fortune s’acharne contre lui. Comment, en effet, accéder à la béatitude si je suis enchaîné à une roue en feu qui ne cesse de tourner ?
  • D’autres moyens d’accès au bonheur sont à envisager : la sensibilité, l’intuition ou ce que Pascal, dans ses Pensées (1670), nomme « vérités de cœur », par opposition aux « vérités de raison ». Dieu étant l’une de ces vérités de cœur.
  • La lucidité, comme l’explique Kant, est bien souvent une cause de tristesse (d’après l’expression qui lui est consacrée, c’est l’imbécile qui est heureux). Le respect de la loi morale, elle-même identifiée comme fait de la raison (factum rationis), ne conduit pas nécessairement au bonheur. Le pouvoir des hommes se limite à s’en rendre digne. Pris en lui-même, le bonheur n’est qu’un idéal de l’imagination qu’un sage peut rechercher, sans l’atteindre, toute une vie durant. Devant cette injustice, la raison n’est aucunement démunie : elle postule un Dieu justicier qui, dans l’au-delà, récompensera – proportionnellement – la moralité par le bonheur.

Conclusion 

Le bonheur n’est pas le fruit du pur hasard, pas plus qu’il n’est la somme d’un calcul savant. Il peut aussi consister en un « lâcher-prise » ou une « intensification du sentiment d’exister » telle que la décrit Rousseau dans Les Rêveries du promeneur solitaire (1782) : un abandon au pur et simple temps présent. Reste à savoir si l’on peut invoquer une raison collective – une raison d’État ? – garante d’un droit au bonheur que stipule – entre autres – la constitution américaine. Et si, individuel comme collectif, le bonheur est la responsabilité de chacun, n’est-il pas – de nos jours – irrémédiablement conditionné par les médias et les réseaux sociaux ? La sentence de Cypher ne serait-elle pas, dans cette mesure, plus raisonnable qu’il y paraît ?

H. L.

*Hans Limon est professeur de philosophie au lycée Louis-Massignon d’Abu Dhabi et chargé de projets culturels.


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Hans Limon
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