"Balzac à vingt ans" ou le génie en marche

Qui est Balzac en 1819 ? Décèle-t-on en lui le génie qui va révolutionner le roman moderne ? C’est à ces questions qu’Anne-Marie Baron répond avec enthousiasme dans un petit ouvrage paru Au diable Vauvert, Honoré de Balzac à vingt ans. L’esclave de sa volonté.

Essai biographique, le livre se lit comme un roman et, pour qui – comme c’était mon cas – a délaissé l’œuvre du grand romancier depuis longtemps, voilà une formidable incitation à la revisiter.

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L’obstination à devenir romancier

Comme tous les biographes, Anne-Marie Baron scrute dans la vie de l’auteur l’avènement de l’œuvre à venir. Et ce qui fascine chez Balzac, c’est précisément cette obstination, que souligne le sous-titre à devenir romancier. Faut-il la chercher dans l’amour dont la froideur d’une mère égoïste et distante l’a privé, ou dans la quête effrénée de respectabilité d’un père qui mit toute son énergie à dissimuler ses origines, au point d’usurper une particule ? « L’inconscient, souligne justement la biographe, transforme, élabore, met en scène comme le rêve, la réalité obstinément refusée de l’amour maternel ? »

Le drame vécu par le petit Honoré enfant puise ses origines dans la trame même de l’organisation familiale bourgeoise. Sa mère mariée contre son gré à un homme de trente-deux ans son aîné, refuse son amour à la progéniture issue de cette union : Honoré, l’aîné, mais aussi ses deux sœurs Laure et Laurence, seront élevés par des nourrices et des gouvernantes quand, Henry, enfant adultérin se verra adulé par sa mère.

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Un perfectionniste en quête de la forme idéale

Faut-il voir dans l’amer constat que cette enfance délaissée ne pouvait qu’engendrer, la matrice de l’œuvre future ? Probablement, le fantasme d’inceste fraternel (substitut d’affection féminine) qui parcourt l’œuvre de jeunesse, les images duelles de femmes sans cœur (Foedora) ou inaccessibles (Pauline) dans La Peau de chagrin, la volonté de disséquer la société bourgeoise à l’origine de tous les malheurs individuels trouvent peut-être leur élan dans ce vide affectif.

Il n’y a cependant dans l’essai d’Anne-Marie Baron aucun de ces excès qu’on peut reprocher à certaines approches psychanalytiques : quand elle utilise la psychanalyse, c’est toujours de façon rationnelle et respectueuse, consciente au fond que le mystère du génie ne s’explique pas.

D’ailleurs le génie ne sort pas tout armé de la tête de son auteur. Le mérite de cet essai est aussi de nous rappeler que Balzac, avant de publier ses premières grandes œuvres, fut un travailleur acharné qui, sous des pseudonymes variés (Lord R’hoone, Horace de Saint-Aubin), publia quantité de romans feuilletons dans les journaux, domptant sa plume, cherchant l’angle de vue qui lui permettrait de produire une œuvre forte et originale.

Certaines idées reçues sont aussi corrigées avec justesse : Anne-Marie Baron nous montre que Balzac fut en réalité un perfectionniste, allant jusqu’à l’épuisement pour trouver, réédition après réédition la forme idéale convenant à son Louis Lambert, par exemple.

Vif, bien écrit, fourmillant d’hypothèses éclairantes et touchant, par là même au mystère de la création littéraire ce Balzac à vingt ans est un ouvrage précieux dont on conseillera la lecture à nos lycéens : tout un chacun y reçoit de surcroît une belle leçon de littérature.

Stéphane Labbe

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