« Cinna », de Pierre Corneille (agrégation 2019)

“Auguste et Cinna ou la clémence d’Auguste”, de Gabriel Bouchet (1759-1842) © Musée national du château de Versailles

Sous le voile, une spiritualité chrétienne

Vers la fin du XVIIe siècle (1674), Boileau dans son Art poétique formule un interdit qui est déjà respecté depuis longtemps en littérature, mais aussi en art :

« De la foi d’un Chrétien, les mystères terribles
D’ornements égayés ne sont point susceptibles.
L’Évangile à l’esprit n’offre de tous côtés
Que pénitence à faire et tourments mérités. »
Art poétique, chant troisième.

Corneille, on le sait, ne respectera pas toujours cette sentence puisqu’en 1642 il donnera Polyeucte, une tragédie à sujet chrétien où le héros ne renonce en rien à sa gloire mais la fonde sur la gloire céleste obtenue grâce au martyre. Cette liberté de l’auteur ne fut pas bien accueillie. « Le christianisme avait extrêmement déplu », écrit Voiture. On pense que Cinna (1641) se conforme mieux à cette règle du classicisme qui consiste à prendre l’Antiquité grecque, romaine et l’Olympe pour cadre des tragédies, de la littérature et de l’art.

Certes Cinna est bien une tragédie romaine ancrée dans un contexte politique contemporain de l’auteur, celui de la France en ce XVIIe siècle si troublé. On y a vu une réflexion sur l’exercice du pouvoir et en particulier la raison d’État. Les souverains sont-ils autorisés à exercer une autorité implacable, une justice sans merci, pour maintenir l’ordre, leur autorité et l’intérêt de la nation, s’ils le jugent menacé ? Question pertinente, toujours actuelle. Les circonstances historiques rendaient urgente une réponse. L’Antiquité par ses exemples illustres pouvait la donner. À travers le personnage d’Auguste, reconsidéré selon un idéal humaniste, le dramaturge ne peut manquer de s’adresser aux souverains de son temps et en particulier à Richelieu dont la doctrine politique et l’action impitoyable ont fondé les bases de la monarchie absolue.
Face à la subversion, à la division, aux complots et à la guerre civile, l’autorité royale apparaît comme une garantie de paix et d’unité. Le prix de cet apaisement est l’exercice d’une politique hégémonique et d’une justice expéditive. On imagine que la clémence d’Auguste prônée par l’auteur aurait pu avoir une influence sur les monarques tentés par la manière forte[1]. Pourtant, Louis XIV plus tard, pour asseoir son pouvoir, réduira les oppositions et les divergences par la force aussi bien avec la sédition des grands seigneurs de la Fronde, que vis-à-vis des protestants. En ces périodes de vengeance et de châtiments, il est utile de prendre dans l’Antiquité un exemple de générosité et de magnanimité, pour le présenter comme un modèle de force et non pas de faiblesse, un héros et non pas un lâche, une solution et non pas un problème.
L’hypothèse de cette étude est de considérer cette tragédie politique romaine comme une œuvre profondément chrétienne qui cache à peine sous le voile très fin de la romanité un contenu théologique et moral.
[…]

Jean-Louis Benoit,
Université de Bretagne-Sud, laboratoire HCTI

 

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Jean-Louis Benoit
Jean-Louis Benoit

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