Crise de vocation ?

Les observateurs de la crise de recrutement que traverse l’Éducation nationale s’attardent beaucoup sur les causes externes de cette crise : manque de considération, difficultés des conditions de travail, médiocrité des rémunérations.
Nul ne se lasse alors d’entonner l’éternel couplet sur la revalorisation du métier.

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Dans l’enseignement, une vocation,
c’est d’abord la rencontre avec une matière

Ces commentaires sont peut-être un peu courts, et surtout un peu vains. Ils ont, entre autres, le défaut de passer vite sur les origines d’une vocation – si tant est que l’enseignement relève de vocations. Aussi devrions-nous noter que jamais une vocation ne naît d’une réflexion sur une perspective de carrière, ou sur des avantages miroités ou pas. Dans l’enseignement en particulier ce n’est pas la place qui peut faire rêver, mais la matière à enseigner.
Ce n’est pas l’exercice du métier dans sa matérialité socio-économique qui est à soupeser, c’est l’intérêt pour une discipline qui est à prendre en compte. En clair dans l’enseignement, une vocation c’est d’abord la rencontre avec une matière avant d’être la rencontre avec une carrière.
La question à se poser n’est donc pas en priorité celle du statut de l’enseignant mais celle des contenus enseignés : nos matières sont-elles encore aimables ? Donnent-elles l’envie d’être poursuivies dans le supérieur ? Nos programmes, nos méthodes, nos objectifs sont-ils de nature à éveiller un goût, voire une passion ?
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L’intelligence des auteurs a laissé la première place
à l’intelligence des programmes eux-mêmes

Je ne parlerai que du français. Il n’est que trop évident qu’il a changé depuis trente ans. Tel qu’il fut enseigné à tous ceux de ma génération, tel qu’il est enseigné aujourd’hui, ce n’est plus la même matière. Ce ne sont plus, pour commencer, les mêmes manuels. L’époque du Lagarde et Michard n’est plus (sauf dans les prépas littéraires) : combien d’entre nous, pourtant, ont appris à aimer la littérature française à travers ce manuel ?
Combien aujourd’hui diront encore qu’ils ont découvert la littérature dans les manuels les plus récents ? Le français, c’était alors le plaisir de rencontres, rencontres avec des auteurs, des intelligences que l’on suivait d’extraits en extraits. On ne se proposait pas alors d’autre but. Conversations avec de grands esprits, des honnêtes hommes, comme l’aurait dit Descartes.
Un programme n’était qu’une liste d’auteurs, ambition somme toute modeste, simple parcours chronologique de la littérature, avec des arrêts au pied de ses grands monuments. Aujourd’hui, l’intelligence des auteurs a laissé la première place à l’intelligence des programmes eux-mêmes, à leur ingéniosité, leurs finalités, leur sophistication, leur totalité.
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Retrouver aujourd’hui des amateurs, demain des professeurs…

Cela dit la nostalgie n’est pas notre propos, ni d’ailleurs notre idéal, et si l’enseignement actuel du français n’est pas franchement enthousiasmant, ce n’est certainement pas en se tournant du côté du passé qu’on lui rendra son attractivité. Les nouvelles ressources d’Internet, les nouveaux outils, la fureur d’écrire, de s’écrire (songeons à l’explosion des blogs, des ateliers d’écriture, de l’échange d’expériences), la vitalité de la littérature contemporaine, tout cela indique que l’enseignement du français ne manque ni de matière ni de matériaux pour séduire les futurs professeurs de lettres de demain.
Juguler la crise de vocation doit passer par une remise en question de l’enseignement des disciplines déficitaires dans le secondaire, et notamment le français. Il n’est pas normal que notre patrimoine, que nos auteurs contemporains, que notre création artistique si passionnante trouvent si peu d’écho dans les classes.
Les compétences se soucient de « savoir-faire » : elles se traduisent en items bien clairs : je sais identifier, je sais décrire, je sais situer, etc. Il faut, à côté, développer des motivations : j’aime ceci, j’aime cela, j’ai envie de… Le travail sur les goûts, les passions, le plaisir, est présent chez les éditeurs, sur les sites consacrés aux études et dans certaines fictions radio ou télé.
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Invitez des écrivains dans vos classes…

Parler en classe d’une façon vivante, non techniciste, des textes, de ce qu’ils disent, de ce qu’ils enseignent, est peut-être un fil solide pour retrouver aujourd’hui des amateurs, demain des professeurs.
En revanche, tant que des garçons et des filles de seize ans se tueront à identifier les points de vue dans Manon Lescaut sans produire de réflexion sur la passion au XVIIIe siècle, tant qu’ils se croiront jugés sur le repérage d’analepses et d’ellipses chez Flaubert ou Maupassant, tant qu’un sonnet sera étudié dans « l’argumentation », alors il ne faudra pas s’étonner d’un tarissement durable des inscriptions en fac de lettres.
Invitez seulement un écrivain dans vos classes, discutez avec lui, lisez avec lui, et l’enseignement du français, peut-être, retrouvera une raison d’être.

Pascal Caglar

Pascal Caglar
Pascal Caglar

2 commentaires

  1. Ce qui vaut pour la littérature est transposable au domaine de la langue. La nouveauté en grammaire structurale, puis transformationnelle, puis en grammaire de texte a consisté trop souvent à charger la mémoire d’un jargon de plus en plus encombrant. La méthode se développait en deux temps : apprends et applique. Je force à peine les traits. Or le fait d’étiqueter, d’identifier ne signifie pas pour autant que l’on a une vision meilleure du fonctionnement de son propre système.
    Les élèves ont changé. Sans doute. Mais renouveler les contenus est loin de suffire. Il faut changer aussi les modalités d’intervention en classe ou plutôt… avec la classe : faire en sorte que l’élève devienne acteur de ses découvertes, sans avoir le sentiment de subir. Le rôle du professeur serait-il d’accompagner ? Surtout pas. Face aux outils actuels de l’Internet, il est le recours par excellence, celui qui a su créer une demande, soulever des hypothèses et guider une découverte qu’il a prévue étape par étape. Sans quoi la grammaire devient vite (comme le reste) une galère.

  2. Je vous rejoins en partie, le plaisir est effectivement dans la rencontre, l’étonnement, l’admiration que peuvent susciter œuvres littéraires et contemporaines. La crise des vocations est sans doute aussi imputable aux médias qui renvoient une image détestable de notre profession. Peut être aussi faut-il chercher du côté de la réception (les élèves), zapping et moyens de communications divers ont créé une nouvelle humanité qui supporte mal d’échapper, ne serait-ce que quelques minutes, à l’interactivité : or l’acte même de lire suppose une disposition à l’écoute, au silence, à l’accueil dont une majorité de collégiens et de lycéens sont dépourvus.
    Merci pour votre réflexion un peu nostalgique mais certainement pertinente.

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