Expo « Alexandre Dumas à l’écran » :
quand Dumas fait son cinéma

Sur trois niveaux, cette exposition, dédiée aux adaptations de l’auteur des Trois Mousquetaires, présente plus de deux cents documents, des costumes et des accessoires, des photos et des story-boards à la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé.
Par Philippe Leclercq, critique

Quand Bouvard et Pécuchet se piquent soudain de lire des romans historiques, le narrateur du roman de Flaubert déclare : « Alexandre Dumas les divertit à la manière d’une lanterne magique. Ses personnages, alertes comme des singes, forts comme des bœufs, gais comme des pinsons, entrent et partent brusquement, sautent des toits sur le pavé, reçoivent d’affreuses blessures dont ils guérissent, sont crus morts et reparaissent. Il y a des trappes sous les planchers, des antidotes, des déguisements et tout se mêle, court et se débrouille, sans une minute pour la réflexion. » L’écriture du mouvement et du corps par l’auteur des Trois Mousquetaires (1844) les subjugue. Chez Dumas, tout est spectacle, aventures, complots, vitesse, courage, panache, évasion ! Pas étonnant que le cinéma – art par essence du geste et de l’image – se soit très tôt pris de passion pour ses récits, et sans discontinuer contrairement aux deux héros velléitaires de Flaubert.

Les costumes présentés lors de l’exposition © DR

Le cinéma de Dumas

En marge du film de Martin Bourboulon, Les Trois Mousquetaires : d’Artagnan, qui poursuit sa belle carrière en salle, la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé rend pour la première fois hommage à l’importante cinématographie adaptée des œuvres d’Alexandre Dumas. Organisée sur trois niveaux, son exposition Dumas à l’écran présente plus de deux cents documents, des dizaines d’objets, costumes et accessoires, des photos de plateaux, des planches de story-board, etc.

Elle débute au sous-sol avec une étonnante chronologie d’affiches française, japonaise, ou algérienne remontant jusqu’à 1921. On peut y voir des extraits d’adaptations internationales des Trois Mousquetaires, dont celles de George Sidney avec Gene Kelly (1948), du britannique Richard Lester (1973) ou encore de Randall Wallace, L’Homme au masque de fer, avec Leonardo DiCaprio (1998). « J’avais environ dix ans quand je découvrais Alexandre Dumas. Je le découvre encore », écrit Jean Renoir dans ses mémoires (Ma vie et mes films, 1987). Le souffle épique de l’œuvre, la force d’écriture des personnages, la puissance dramatique de ses images fascinent. Ils ont inspiré des dizaines de réalisateurs du monde entier : en Argentine, au Mexique, en Italie, en Russie, en Amérique (on compte même un Tom et Jerry intitulé « Les deux mousquetaires », 1952), et même à Bollywood (Les Trois Bagarreurs, 1960).

Les Trois Mousquetaires, mais aussi Le Comte de Monte-Cristo, La Tour de Nesle, Le Masque de fer, La Reine Margot, figurent encore aujourd’hui parmi les œuvres le plus souvent portées à l’écran depuis l’invention du 7e Art en 1895. La première adaptation muette d’un roman d’Alexandre Dumas date de 1898. Il s’agit des Frères corses, réalisée par le cinéaste-inventeur britannique George Albert Smith qui inaugura pour l’occasion le procédé de la surimpression. Henri Diamant-Berger tourna, pour sa part, en 1921, dans la petite cité médiévale de Pérouges, la première version française, muette également, des Trois Mousquetaires, en douze épisodes.

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Le rez-de-chaussée de l’exposition offre de revenir à la nouvelle adaptation de Martin Bourboulon, avec notamment les masques et une partie des costumes, patrons, dessins et esquisses de son chef costumier Thierry Delettre.

Au premier étage, le visiteur prend la mesure de l’abondance de l’œuvre dumasienne et la diversité des époques historiques qu’elle traverse. Les accessoires de films, tels que (pièces rares !) les bottes et l’épée de Gene Kelly/d’Artagnan, ou la robe ensanglantée d’Isabelle Adjani dans La Reine Margot, de Patrice Chéreau (1994), en ravivent l’imaginaire. Les nombreux documents graphiques mettent, quant à eux, en lumière l’importance visuelle sinon « cinématographique » de son écriture : souci descriptif des gestes, mobilité du regard-narrateur, découpage des scènes… Dumas sait l’art du portrait. Ses images inventent des mythes. Comme d’autres tracent la silhouette du pirate ou du cow-boy, lui dessine celle du mousquetaire dont le cinéma d’aventures, et son sous-genre de cape et d’épée, feront leur miel.

Un grand écran interactif permet enfin au visiteur de visionner un choix de vingt-quatre extraits de films – des raretés pour la plupart telles que ces images extraites des Frères corses d’André Antoine (1917), où l’acteur Henry Krauss compose un Alexandre Dumas plus vrai que nature.

Enfin, une série de conférences « la figure de d’Artagnan », « les relations des œuvres Dumas-Poe », des projections et des ciné-concerts accompagnent l’exposition qui, autant qu’à certaines adaptations entraperçues, donne envie de revenir aux textes.

P. L.

L’exposition « Alexandre Dumas à l’écran » se tient à la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé (Paris, 13e) jusqu’au 13 juillet 2023. Mardi et vendredi de 14h à 20h30 ; mercredi, jeudi de 14h à 19h ; samedi de 11h30 à 19h. Fermeture le dimanche et le lundi.

Ressources

Les Trois Mousquetaires : d’Artagnan, de Martin Bourboulon : adaptation altière, Philippe Leclercq, L’École des lettres, 4 avril 2023.


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Philippe Leclercq
Philippe Leclercq