Festival : les Journées magiques et l’Opération 2000 jeunes
« Mettons un rêve dans notre vie et soufflons dans les voiles. » Guy Rouquet.
Les actions culturelles sont aujourd’hui menacées et il faut rester vigilant, actif et solidaire pour créer et partager en tenant compte des différences sociales. À nous, habitants de la cité, de prendre en main notre destin.
C’est nanti d’une telle ambition que Guy Rouquet a initié l’Atelier imaginaire, l’œuvre de toute une vie, qu’il anime depuis trente-deux ans. L’Atelier Imaginaire est un festival littéraire et artistique bien ancré dans le paysage béarnais. Créé en 1984 avec le soutien prestigieux de Max-Pol Fouchet, Jacques Chancel et Jean Carrière et l’aide d’une dizaine de bénévoles, il offre chaque année aux habitants des villes de Lourdes et de Tarbes une pléiade de manifestations de haute tenue. Durant deux semaines, écrivains, comédiens, musiciens, diseurs et chanteurs se produisent dans de nombreux lieux publics.
Mais l’Atelier Imaginaire, est beaucoup plus qu’un simple festival. Transmettre le goût de la lecture, dès le plus jeune âge, est l’un des objectifs majeurs qui ont conduit Guy Rouquet à mener son action dans deux directions : l’action en milieu scolaire et l’Opération 2000 jeunes.
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L’action en milieu scolaire
Lorsqu’il a créé l’Atelier imaginaire, Guy Rouquet était professeur de lettres. Le festival était un bon tremplin pour faire partager son amour de la littérature aux plus jeunes.
Aussi de nombreux acteurs du festival animent des ateliers et proposent des spectacles dans tous les établissements scolaires qui en font la demande, du primaire au supérieur de la région de Lourdes, élargie certaines années jusqu’aux confins de Toulouse et du Pays Basque.
Cette année, avant les dernières vacances scolaires, les élèves ont pu assister sur place à des divers spectacles poétiques et participer à des travaux créatifs.
Ainsi, les comédiennes Isabelle Irène et Paule d’Héria sont intervenues pour des contes fantastiques dans des classes de 4e, (option esthétique) avec un texte de Pierre Étaix. Pour des élèves de 4e technique, il s’agissait de contes fantastiques. Pour d’autres élèves de 4e et 3e ce fut Victor Hugo avec une participation et une écoute au rendez-vous. Dans d’autres collèges, la « Pioche à Poème » connaît un grand succès : Hugo, Tardieu, Queneau, Prévert sont ovationnés par des auditoires qui peuvent aller jusqu’à cent-trente élèves.
De son côté l’auteur-chanteur Jacques Ibanès présentait des textes sur le thème des sorcières et des ogres à des 6e, chantait des poèmes d’amour à des 4e, animait un atelier d’appropriation de textes pour la lecture à voix haute à des 3e et présentait un récital sur Apollinaire à des classes de 1re. Ailleurs, Françoise Barret distillait des contes, et l’écrivain Abdelkader Djemaï parlait de son métier et animait des ateliers d’écriture.
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Les Journées magiques et l’Opération 2000 jeunes
Le festival connaît son apogée avec les cinq « Journées magiques ». Naguère, les prix Prométhée (roman, nouvelles) et Max-Pol Fouchet (poésie) étaient remis à cette occasion. Depuis cinq ans, ce sont des recueils collectifs dans lesquels des écrivains confient leur rapport à la littérature. Cette année, avec Lignes de cœur (Édition L’Atelier imaginaire/ Le Castor astral), dix-sept écrivains disent leur rapport à la poésie en racontant chacun leur expérience de lecteur et en donnant la liste de leurs dix poèmes préférés.
Et c’est au cours de ces journées qu’a lieu « l’Opération 2000 Jeunes ».
Celle-ci consiste en la rencontre d’écrivains prestigieux avec des lycéens ayant eu une mention au baccalauréat ou de jeunes lauréats du Concours général des lycées. Cette idée unique en France d’une immersion de cinq journées entre des créateurs et des jeunes est soutenue par le rectorat de l’académie de Toulouse, l’inspection académique des Hautes-Pyrénées, le Centre départemental de documentation pédagogique des Hautes- Pyrénées et l’Association des membres de l’ordre des palmes académiques.
Depuis sa création il y a vingt-neuf ans, plus de deux mille lycéens ont été invités. Cette année, 43 jeunes étaient présents durant les Journées Magiques qui ont eu lieu du 20 au 24 octobre. Ces amoureux de littérature et de poésie ont eu le privilège de côtoyer auteurs, comédiens, chanteurs, musiciens, conteurs et plasticiens. Ils ont logé dans le même hôtel qu’eux, pris les repas en commun, utilisé les mêmes moyens de transports pour se rendre aux divers spectacles et conférences avec l’ambition pour l’organisateur Guy Rouquet que plus tard, ils seront à leur tour « passeurs » de leur propre « atelier imaginaire ».
Ces journées littéraires permettent également aux jeunes des différentes régions qui se rencontrent, d’avoir des échanges fraternels qui donnent naissance à de solides amitiés qui perdurent bien des années après. Et elles sont quelquefois le tremplin d’une carrière vouée à la littérature.
Ainsi, en proposant d’une part des spectacles donnés dans tous les établissements de la région qui le souhaitent (enseignement général, professionnel ou technique) et en invitant d’autre part les plus brillants d’entre eux venus de toute la France, l’inspecteur d’Académie peut parler à juste titre d’un « Atelier Imaginaire à la fois élitaire et égalitaire ».
Trois témoignages : un écrivain et deux jeunes
Abdelkader Djemaï : « Comment j’ai décidé de devenir écrivain »
« Je suis tombé dans les livres en tombant d’avion. Des livres, il n’y en avait pas chez moi, mes parents étant analphabètes et j’étais l’aîné d’une famille modeste .Comme tous les enfants de mon âge, dans les années 50 je lisais des illustrés, et mes héros s’appelaient Bleck le Roc, Zembla et Tartine Mariole. Un jour, dans le placard de ma classe, j’ai pris un livre de la “Bibliothèque verte”, avec sa couverture, ses caractères d’imprimeries et ses promesses au fil des pages.
Il racontait l’histoire de gamins de mon âge – j’avais 10 ans – qui étaient appelés à accomplir un grand voyage à travers le monde. Pour cela, ils devaient apprendre à sauter en parachute. L’instructeur leur expliqua son fonctionnement. L’un d’eux lui posa la question de savoir ce qu’il devait faire si son parachute ne s’ouvrait pas dans le ciel. L’instructeur lui répondit calmement qu’il devrait aller au magasin pour en acheter un autre.
Cette réponse me fit rire et mieux encore, je me suis senti intelligent parce que j’avais, si j’ose dire, compris la « chute » de l’histoire. Je m’étais alors promis d’écrire, quand je serai grand des livres. Il m’avait suffi de rencontrer par hasard, ce roman de la “Bibliothèque verte”, pour tomber définitivement dans la marmite de la lecture et de l’écriture ».
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Axel et Laure-Alice
Axel (Rueil ) et Laure-Alice (Malakoff) se sont faits les témoins des jeunes lauréats. Ils sont pour la plupart en terminale et aiment la littérature. Ils lisent Gide, Mallarmé, Verhaeren, Tolstoï, Dostoïevski ou encore La République de Platon en dehors du programme scolaire. Ils écrivent, font du théâtre, sont au conservatoire et échangent au sujet de leur passion.
Axel a 16 ans et vient de Rueil, c’est le plus jeune des lauréats, il a eu le 3e prix au Concours général d’histoire. On le remarque car, chaque jour, il se met au piano du hall de l’hôtel et nous interprète les plus grands classiques avec talent. Ses camarades l’apprécient et se taisent dès qu’il parle de littérature ou de musique. Au CP, il était rétif à la lecture car il n’avait pas appris à déchiffrer comme les autres enfants qui étaient dans la même classe.
En CE1, ses parents lui ont offert Les Trois Mousquetaires dans la “Bibliothèque verte” et il s’est mis à adorer lire. Il aime plus que tout écrire de la poésie et du théâtre, il trouve sa prose emphatique voire décadentiste (un choix délibéré) car il recherche toujours un synonyme rare, un mot plus riche. Pour Axel, la beauté du mot a plus d’importance que sa portée, il aime lire en anglais ou allemand. Pendant notre entretien, Werner Lambersy vient lui offrir un recueil de poésie.
Ce jeune érudit qui aime Aragon, Baudelaire et Lamartine est né dans une famille de grands lecteurs mais il se souvient d’un professeur de 3e qui commençait toujours ses cours par des lectures de poèmes. Ainsi, chaque fois, les élèves pouvaient décliner leurs poètes préférés.
Laure-Alice, elle, a 17 ans et vient de Malakoff. Elle est lauréate du Concours général en composition française et passe son bac en terminale S. Très curieuse, elle s’est fait remarquer pendant le séjour par son regard pétillant, ses questions pertinentes et sa façon de vivre un rêve éveillé. Chez elle, on ne parle pas beaucoup de littérature et ses premiers souvenirs de lectures sont surtout les livres de la Cabane magique auxquels elle donne tout de suite du sens en disant qu’elle est comme ces personnages qui vont dans une forêt où il y a une cabane de livres qui donnent accès à de nouveaux horizons à explorer. Elle aimait aussi Harry Potter ou Helen Keller qu’elle a étudiés en 6e ; en ce moment elle lit les ouvrages de Claude Roy.
Elle dit avec humilité qu’elle n’a jamais été une grande lectrice mais elle aime la littérature et se souvient elle aussi d’une enseignante en 1re qui ne cessait de dire à ses élèves « Faites- vous avant tout plaisir ! ».
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Un atelier de poésie
Les quarante-trois lycéens reçus cette année n’étaient pas blasés et avaient soif de livres. Ils ont vécu de riches heures avec les comédiens, musiciens et poètes présents. Quand on leur offrait des livres ils restaient ébahis d’un tel cadeau, tout comme la vie de rêve qu’ils avaient à l’hôtel ou les spectacles qui leur ont été offerts, parfaitement conscients de la chance qu’ils avaient…
« La poésie est le journal intime d’un animal marin qui vit sur terre et qui voudrait voler » (Carl Sandbourg). Tout le monde a en mémoire le film Le Cercle des poètes disparus et les cours du professeur Keating. C’est à une semblable féérie que les jeunes ont été conviés au cours d’un mémorable atelier de poésie en présence de Michel Baglin, Sylvestre Clancier, Guy Goffette, Vénus Khoury Ghata, Werner Lambersy, Jean Pierre Lemaire, Jean-Yves Reuzeau et Jacques Tornay.
Face à la défaite du quotidien assénée chaque jour par le monde médiatique, le groupe a débattu sur la poésie qui permet l’impossible. « Vivre dans l’intensité est une manière d’être au monde et c’est déjà faire naître le poème. »
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Des moments magiques
Ce séjour fut ponctué d’actions culturelles diverses, dont la visite de la citadelle de Lourdes, et de moments forts et insolites. Avec une mention spéciale à Hugues Vassal pour ses interventions autour d’une exposition sur Édith Piaf dont il fut le photographe attitré et qui par la suite cofondera l’agence Gamma avec Raymond Depardon.
Plusieurs moments étaient consacrés à la « Môme Piaf » pour la faire mieux connaître auprès d’un jeune public : une exposition de photographies et une rencontre au Palais des Congrès de Lourdes et une soirée de conférence avec illustrations musicales intitulée « Raconte-moi Édith Piaf » au Théâtre des Nouveautés de Tarbes. Avec, au final, le bonheur d’entendre Milord reprise en chœur par les lycéens dans la rue à leur sortie.
Autre bonheur : les artistes étant logés au même endroit que les invités, des rencontres spontanées avaient lieu chaque jour. Après un concert de chansons séfarades à l’abbaye de L’Escaladieu qui fut un immense succès, deux jeunes filles musiciennes ont demandé aux artistes du Trio Morenica de leur apprendre un chant en canon. Après le repas, nous entendions dans le hall de l’hôtel les répétitions spontanées de la chanson L’Âge d’or de Léo Ferré à plusieurs voix… Chanson donnée une première fois à la fin d’une conférence de Jean-Claude Siméon à sa demande (un moment de grâce) et une seconde fois, lors du Petit Échiquier (en hommage au Grand) sur la scène du Palais des Congrès de Lourdes.
Moments magiques, aussi, ceux passés en la compagnie du chauffeur de bus, un ancien instituteur, détaillant à ses passagers l’historique du Pic du Midi, ou encore le témoignage de l’assistante de direction de l’hôtel vantant le comportement ouvert et poli de ses jeunes clients toujours souriants.
Merci à Guy Rouquet de résister à la médiocrité ambiante et de montrer sans démagogie à chaque jeune la voie vers laquelle couve le feu de Prométhée qu’ils auront pu approcher l’espace de cinq journées denses et inoubliables.
Alexandra Ibanes
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Les manifestations des Journées magiques
« Max–Pol Fouchet et le passeur de rêves », raconté par Guy Rouquet avec le concours musical de Jacques Ibanès. – « La Source et le Royaume », présentation du recueil de poèmes de Sylvestre Clancier, assisté de Pierre Hossein aux guitares. – « D’Édith Piaf à l’agence Gamma », conférence d’Hugues Vassal. – « Marguerite(s), opéra-comique », avec J. Goron, C. Kluber et P. Maurel. – « Les ateliers de l’Atelier ». Débats sur la littérature avec des écrivains et poètes. – « Voyage autour de ma langue », avec Jean-Claude Bologne. – « Shakespeare for ever », avec Claude Mourthé. – « Les Sonnets du grand Will », avec J.-L. Debattice et J.-C. Rieudebat. – « Falstaff », projection du film préféré d’Orson Welles. – « Raconte-moi Édith Piaf » par Hugues Vassal, assisté de P. Maisonneuve et A. Giuliano. – « Les ateliers de l’atelier ». Débats sur la poésie. – « Les mots étaient des loups », rencontre avec Vénus Khoury-Ghata. – « Romances et chansons séfarades », par le trio Morenica. – « Lignes de vie ». Récital de poèmes et chansons de poètes. – « N’importe où… » spectacle musical avec A. Velter, J.-L. Debattice et Ph. Lignac. – « Lignes de cœurs », présentation du livre avec lectures et illustrations musicale. – « La poésie sauvera le monde », avec Jean-Pierre Siméon. – « Le Petit Échiquier », dans le souvenir du Grand… – « Mingus erectus » de Noël Balen, création poético-jazzique. – « Fausses routes » de Gilles Verdet, Grand Prix de la nouvelle 2016 de la SGDL – Rencontre avec Noël Balen, écrivain et musicien.
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Quatre expositions étaient présentes lors de cette Quinzaine
Trois étaient conçues et réalisées avec le concours de l’Éducation nationale.
Édith Piaf – De l’enfance de la Môme à sa disparition. Exposition conçue et réalisée par Hugues Vassal, photographe attitré de l’artiste.
La Déclaration universelle des droits de l’homme – Du A de Asile au Z de Zola, ans oublier le B de barbarie et le X de xénophobie…
Livres de paroles – Torah, Bible, Coran – Panneaux de la Bibliothèque nationale de France. Du polythéisme au monothéisme – Abraham – Naissance : du judaïsme, du christianisme, de l’islam. L’image : dans le judaïsme, dans le christianisme, dans l’islam. Figures communes.
Si la langue française m’était contée – Jacques Gaucheron livre une synthèse de tous les évènements qui ont marqué l’évolution du français en France, dans les régions et dans la Francophonie. Et une histoire racontée par l’évocation de ceux qui l’ont illustrée : de Charlemagne aux auteurs de bandes dessinées en passant par Gutenberg et Jules Ferry.