Fronde contre la fermeture de prépas littéraires à Paris

Trois établissements parisiens, Chaptal, Lamartine et Décour, ont appris que certaines de leurs hypokhâgne et khâgne allaient fermer à la rentrée 2024. Pourtant, ils pratiquent un recrutement plus divers et les candidatures augmentent. Ils défendent cette exception française, publique et gratuite. Par Pascal Caglar, professeur de lettres (Paris)

Trois établissements parisiens, Chaptal, Lamartine et Décour, ont appris que certaines de leurs hypokhâgne et khâgne allaient fermer à la rentrée 2024. Pourtant, ils pratiquent un recrutement plus divers et les candidatures augmentent. Ils défendent cette exception française, publique et gratuite.

Par Pascal Caglar, professeur de lettres (Paris)

Durant ces dix dernières années, les épreuves du Capes ont été maltraitées, dénaturées, vidées de leur substance alors même que le nombre de candidats chutait. Voici que l’on s’attaque au vivier des étudiants les plus enclins à se tourner vers l’enseignement : les élèves des classes préparatoires littéraires.

Avec la brutalité dont peut se rendre capable ce ministère, pas moins de trois établissements pour la seule académie de Paris, les lycées Chaptal, Lamartine et Décour, ont appris le 13 novembre par le rectorat que leurs hypokhâgne ou khâgne allaient fermer en 2024, après l’hypokhâgne de Victor-Hugo en 2023. Le rectorat peine à invoquer des raisons objectives pour justifier ces décisions, comme les effectifs, les options, les incidents ou le corps professoral.

« L’argument des effectifs est inaudible, peste le Sens-FSU dans un communiqué du 28 novembre, elles sont toutes au-delà de 34 élèves et la plupart sont bien au-delà de l’effectif pléthorique. » Selon le syndicat majoritaire chez les enseignants, « l’académie justifie également les fermetures par l’ouverture de nouvelles classes préparatoires réservées aux bacheliers professionnels : une TSI (technologie, science de l’ingénieur) à Chaptal pour amener des bacheliers pro vers les écoles d’ingénieurs, une ECT (économique et commerciale, option technologique), réservée aux bacheliers professionnels du tertiaire à Lemonnier. »

Le problème n’est pas ces nouvelles formations qui, « d’une durée de trois ans, sont une très bonne nouvelle », précise-t-il, mais le fait de déshabiller les uns pour habiller les autres. Plutôt que d’allouer les budgets nécessaires à la démocratisation de l’enseignement supérieur, le gouvernement a créé Parcoursup « pour ne pas augmenter les places dans les filières non sélectives très demandées », dénonce le Sens, qui résume : « Toute ouverture se fait au détriment de l’existant, sans tenir compte du travail accompli par les collègues dans ces classes. »

Dynamiques brisées

Stupéfaits, les enseignants de classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) s’insurgent :

« Nous nous opposons à cette décision qui vient briser la dynamique dont jouissent depuis des années les CPGE littéraires, tout particulièrement dans des lycées comme les nôtres, où un recrutement moins sélectif aboutit à des promotions aux profils géographiques et socio-culturels variés. », déclare un collectif dans une pétition lancée en ligne le 23 novembre.

Ils réfutent un potentiel problème de recrutement : « Nos classes n’ont aucun mal à recruter des élèves. L’augmentation très forte des candidatures sur la plateforme Parcoursup entre 2017 et 2023 au lycée Chaptal en témoigne, tout comme nos effectifs (49 et 46 élèves cette année en hypokhâgne dans les établissements concernés cette année). Cette attractivité reflète, plus généralement, celle de la filière littéraire en classe préparatoire (+1,2 % d’inscrits en 2022 sur l’ensemble de la France). »

Ils contrent également l’argument de l’élitisme : « Il s’agit bien plutôt d’un système entièrement gratuit qui, grâce à l’interdisciplinarité, au nombre élevé d’heures d’enseignement, aux séances d’oral, offre un accompagnement solide et un encadrement permettant particulièrement à des bacheliers moins bien armés culturellement, moins autonomes dans leur travail, de réussir leur entrée dans le Supérieur. Cela fait des années que les classes préparatoires, notamment littéraires, s’efforcent de diversifier leur recrutement, en augmentant chaque année leur taux d’élèves boursier(ières). »

Même écho au lycée Lamartine où la fermeture annoncée de la classe d’hypokhâgne a donné lieu à la publication d’une tribune de personnalités offusquées, comme Mathieu Amalric, Maylis de Kerangal ou Olivier Rolin, dans Libération :

« Dans des classes préparatoires dites « de proximité » comme les nôtres, le recrutement se fonde autant sur l’envie d’apprendre que sur le niveau académique : nous nous adressons à celles et ceux qui désirent parfaire leurs outils intellectuels et méthodologiques dans un cadre exigeant, où le travail de groupe et l’entraide ont toute leur place. Cette exigence, nous pensons fondamentalement qu’elle doit rester accessible au plus grand nombre, au sein de classes servant de maillon entre l’enseignement secondaire et le supérieur ; ce passage est périlleux, on le sait, et particulièrement pour les étudiants moins favorisés par leur milieu d’origine, et qui ressentent le besoin d’être guidés dans leurs projets d’orientation. »

Dans une tribune parue dans Le Figaro Étudiant, les professeurs de l’établissement expliquent :

« Dans une hypokhâgne comme celle de Lamartine, environ un candidat sur trois a ses chances d’être accepté. Et une fois qu’il est chez nous, il fait partie de la classe quels que soient son niveau et ses éventuelles difficultés, le but étant alors de l’accompagner au mieux pour lui permettre de progresser et de poursuivre ses études d’une façon optimale. »

La démocratie dans l’éducation

Derrière la décision arbitraire du rectorat, chacun devine une volonté de réduire le nombre d’enseignants dans les prépas littéraires et le nombre de candidats aux concours d’entrée à l’école normale supérieure. La mobilisation réunit les défenseurs d’un enseignement démocratique.

Les prépas littéraires ne sont pas les seules menacées d’élimination : certaines prépas commerciales ou scientifiques sont aussi en danger : les perspectives de fermetures augmentent à Paris et en Province, au Havre, à Châlons, à Saint-Etienne. Quelle va être la réaction de jeunes de tous horizons, de tous milieux, de toutes régions, qui, encouragés dans leurs établissements, voudraient tenter l’expérience de la prépa avec, à la clé, des écoles et des diplômes plus nombreux qu’ils ne l’auraient pensé ?

Plutôt que d’exploiter des sujets démagogiques et nostalgiques – retour de l’uniforme, retour du redoublement, retour de l’autorité –, pourquoi ne pas préserver un système de formation qui symbolise une exception éducative à la française, donne satisfaction aux élèves, professeurs, établissements supérieurs, et reste, en sus des connaissances délivrées, une école de l’effort, de l’exigence et du plaisir de savoir ?

P. C.


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Pascal Caglar
Pascal Caglar