Ilan Halimi : une figure pour déconstruire les préjugés racistes

Collage à la mémoire d’Ilan Halimi, torturé et assassiné il y a 15 ans (Photo by Xose Bouzas / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP)

PROJET. Avec ses classes de troisième, Clément Huguet a initié un travail autour de la mémoire d’Ilan Halimi. Aboutissant à une exposition itinérante assortie d’une visite guidée par les élèves, ce projet permet de déconstruire les préjugés racistes, de travailler la prise de parole en public et la transmission par les pairs.
Par Clément Huguet, professeur d’histoire-géographie au collège Michel-Richard Delalande à Athis-Mons.

Remise du prix Ilan Halimi. Le 13 février 2019, les premiers élèves de troisième ayant participé au projet « Convoi 77 », initié au collège Michel-Richard Delalande (REP) à Athis-Mons (Essonne), recevaient cette récompense du département de l’Essonne pour leur travail autour de l’histoire d’enfants français et juifs victimes de la Shoah. C’est à l’occasion d’une séance de préparation à la cérémonie qu’une question a fusé dans la classe, presque instantanément et de manière totalement spontanée : « Mais, c’est qui Ilan Halimi en fait ? ».
Une discussion s’est alors engagée, et nous avons rapidement constaté qu’aucun ne connaissait son histoire. Aucun n’en avait jamais entendu parler.
Ils étaient tous très jeunes lors des terribles vingt-quatre jours de janvier et février 2006 au cours desquels ce jeune homme de 23 ans a été enlevé, séquestré, torturé et laissé pour mort le long des voies de chemin de fer à Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne) parce qu’il était juif.
La richesse des discussions qui se sont alors déroulées en classe, leur envie de comprendre les ressorts de ce crime antisémite et leurs réactions indignées et pleines d’humanité, nous ont encouragés à imaginer, pour l’année scolaire suivante, un travail autour de l’histoire d’Ilan Halimi avec une nouvelle classe de troisième.
 

« Comment raconter cette histoire avec nos propres mots ? »

C’est ainsi qu’à partir de la rentrée de septembre 2019, un projet dédié à cette histoire a commencé avec les élèves de 3e2. Très vite, l’idée d’imaginer et de créer une exposition itinérante s’est imposée afin que chacun puisse s’exprimer à travers des productions différentes. En effet, nous avons souhaité que ce travail permette de raconter l’histoire d’Ilan tout en suscitant une réflexion sur le caractère antisémite de ce crime. Il nous semblait aussi nécessaire qu’il comporte à la fois une analyse du traitement médiatique des faits, mais également des productions permettant d’exprimer les émotions éprouvées et verbalisées par chacun au cours du projet.
Si nous n’avons pas souhaité aborder avec nos élèves ce crime raciste et ses ressorts à travers le prisme de l’émotion, la découverte de cette histoire a créé une réflexion intellectuelle, mais aussi un choc émotionnel à qui il fallait aussi faire une place.
Niamé, une élève de la classe, l’a clairement formulé en fin d’année scolaire : « En découvrant l’histoire d’Ilan, on était tous submergés par les émotions et on ne savait pas comment les exprimer. Je me demandais comment raconter cette histoire avec nos propres mots ? ».
Progressivement, les questions, les réflexions et les idées se sont bousculées mais, loin de constituer une quelconque difficulté, elles sont venues, au contraire, enrichir le projet imaginé initialement.
Après quelques premières séances de réflexion, nous avons surtout compris qu’il était nécessaire de donner du temps aux élèves afin qu’ils s’approprient pleinement ce travail et trouvent les mots justes pour raconter.
Ainsi, après plusieurs séances de travail réalisées en présence de l’écrivaine Emilie Frèche, les élèves ont imaginé une bande dessinée pour raconter l’histoire d’Ilan, ils ont écrit une lettre adressée à Ruth, sa maman, ils ont réalisé des dessins, des collages d’articles de presse issus d’un travail d’analyse et de déconstruction du traitement médiatique des faits, des acrostiches et des calligrammes.
 

« Je souhaitais transmettre l’histoire d’Ilan »

Les productions ont ensuite été rassemblées et imprimées en grand format sur six panneaux autoportants mesurant chacun deux mètres de haut et formant, conjointement, une exposition itinérante.
Celle-ci a été inaugurée au collège les soirs des 20 et 21 janvier 2020, en présence d’élus, de membres de la communauté éducative, de représentants des autorités académiques, de parents et d’autres élèves.
Terriblement stressés par l’exercice, mais totalement engagés dans l’épreuve, les élèves ont présenté leur travail avec brio et ont fait preuve d’une exceptionnelle solidarité au sein du groupe. Longuement applaudis et chaleureusement félicités, nombreux sont ceux qui affichaient leur fierté avec un large sourire, un sentiment mêlé, pour quelques-uns, à une intense émotion que leurs yeux parfois humides laissaient transparaître. Cette inauguration a constitué un moment essentiel et majeur du projet.
Néanmoins, la production de l’exposition n’avait de sens que si elle permettait de transmettre l’histoire d’Ilan au plus grand nombre, tout en les alertant sur les préjugés racistes et antisémites. Elle n’avait de sens que si elle permettait de susciter des questions et des discussions, tout en créant du lien avec leurs camarades des autres classes du collège.
Nous avons donc formé les élèves afin qu’ils soient guides de l’exposition car nous soupçonnions toute la pertinence d’un travail d’éducation par les pairs en la matière. En réalité, l’expérience a dépassé, et de loin, toutes nos espérances.
C’est ainsi que, durant plusieurs semaines, nos élèves guides ont fait visiter l’exposition à toutes les classes du collège, de la 6e à la 3e (soit plus de 700 élèves), au cours d’un véritable marathon de plus de quarante heures de médiation. Organisés en binôme, ils y ont mis toute leur énergie en cherchant à raconter avec les mots justes et en ayant à coeur de répondre au mieux aux nombreuses questions soulevées par leur travail.
Le matin, avant que les cours ne commencent ou dans le courant de la journée, lors des récréations, nous avons assisté à de magnifiques moments de solidarité, d’entraide et de camaraderie au cours desquels les élèves se retrouvaient autour de l’exposition pour s’encourager et se motiver pour les visites guidées. Les plus à l’aise à l’oral n’hésitaient pas à formuler des conseils personnalisés à ceux qui sentaient quelques fragilités dans leur présentation quand d’autres semblaient heureux de partager, tout simplement, leur expérience de guides.
Autour de cette exposition s’est donc aussi noué fermement ce lien si particulier entre les élèves de la classe, et tous se sont accordés à dire qu’en dépit des difficultés inhérentes à un tel exercice, cette expérience resterait « gravée dans leur mémoire ».
Prendre la parole en public et, a fortiori, devant d’autres élèves, n’avait pourtant rien d’évident. Certains ont même expliqué que cette expérience avait bouleversé leur rapport à la parole. Ainsi, pour Mohamed, qui se montrait assez timide et réservé en troisième, « le projet m’a permis de ne plus avoir peur de parler devant d’autres gens. Maintenant, je suis au lycée et j’aime parler et discuter avec les autres. Ça a changé ma façon de voir les choses ».
« Au début de l’année, je n’imaginais pas pouvoir prendre la parole en public pour présenter une exposition, a confié Youssra, une autre élève de la classe. Ce projet m’a beaucoup appris sur moi-même et sur le pouvoir de la parole. J’étais très stressée mais j’ai réussi car je souhaitais transmettre l’histoire d’Ilan et lutter contre les préjugés antisémites ».
 

Lutter contre la haine, déconstruire les préjugés

En prenant la parole devant leurs camarades, nos élèves ont aussi cherché à déconstruire leurs propres. Pour cela, ils se sont appuyés sur le stéréotype qui a conduit à l’enlèvement et à l’assassinat d’Ilan : pour ses bourreaux, parce qu’il était juif, il était, de facto, riche.
Les élèves sont remontés aux origines moyenâgeuses de ce préjugé et ils en ont analysé l’évolution autant que la permanence à travers les époques. Ainsi, au cours des visites guidées, ils ont déconstruit cette idée reçue en expliquant à leurs camarades son origine et son historicité. Les discussions qui en ont découlé ont été d’une grande richesse et nos élèves ont transmis un message de mobilisation contre toutes les formes de racisme. Ils ont aussi cherché à alerter sur la nécessité d’analyser les stéréotypes que chacun peut avoir en tête afin de ne pas se laisser enfermer dans une logique simpliste et caricaturale.
« Lors des visites guidées de l’exposition, j’ai pu échanger avec mes camarades des autres classes et j’ai constaté que l’histoire d’Ilan les avait intéressés, raconte Lylia, une élève de la classe. J’espère que notre message aura été entendu et que notre travail donnera envie à d’autres élèves de sensibiliser à la lutte contre le racisme ».
Cette question est devenue cruciale à mesure que nous avancions dans l’année. Pour cinq d’entre eux, la volonté de s’engager a été si forte qu’en pleine période de vacances d’hiver, le 13 février 2020, ils se sont rendus ensemble à Sainte-Geneviève-des-Bois afin de participer à la cérémonie d’hommage que la mairie organise tous les ans à la date à laquelle Ilan Halimi a été laissé pour mort le long des voies de chemin de fer.
Ariane a raconté son expérience des visites guidées de l’exposition en insistant sur le fait que « raconter et transmettre, c’est déjà lutter contre la haine ». Quant à Ilyès, il a évoqué la « nécessaire tolérance » et a dit sa « fierté » que le projet ait, de nouveau, remporté le prix Ilan Halimi que le département de l’Essonne a décerné à la classe le 6 février 2020 à Evry.
Cette expérience pédagogique démontre que l’éducation par les pairs constitue un levier intéressant et pertinent dans la déconstruction des préjugés racistes à l’école. Surtout, elle permet de mettre en avant l’engagement citoyen exceptionnel de collégiens de banlieue parisienne et rappelle toute la place qu’occupe l’école dans l’émergence d’un socle commun s’appuyant sur le refus inconditionnel de la négation d’autrui, à rebours de certains discours médiatiques ambiants.

Clément Huguet

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