La Saga Harry Potter :
essai sur l’architecture secrète de l’oeuvre

David et Lucas Torrès utilisent des méthodes qui évoquent la critique structuraliste et montrent comment le tome 4, La Coupe de feu, sert de pivot à une saga qui distingue en miroir l’enfance et l’âge adulte, et démontre le souci de composition de J. K. Rowling. Leur analyse à travers les stades de l’alchimie théorisés par Jung est moins convaincante.

Par Stéphane Labbe, professeur de lettres (académie de Rennes)

Avec La Saga Harry Potter – La magie de la narration, chez Third Éditions, David et Lucas Torrès ont voulu composer une somme de référence sur l’œuvre de J. K. Rowling, l’objectif étant affiché par le sous-titre : mettre en évidence la « magie de la narration » dans les aventures du jeune sorcier.

La cohérence d’une œuvre foisonnante

Et c’est effectivement dans cette analyse des procédés narratifs et de l’extrême cohérence d’une œuvre foisonnante que réside la force de ce gros ouvrage. Les auteurs démontrent de façon convaincante l’existence d’une architecture secrète, fondement d’une œuvre dont la rédaction s’est échelonnée sur plus de dix ans : le premier tome est publié en 1997, le dernier en 2007.

Le chapitre 1, Harry Potter à l’école des sorciers, montre par exemple comment les sept épreuves que traversent les héros dans le premier tome sont autant de mises en abyme des intrigues que développera chacun des sept titres de la saga. Utilisant des méthodes qui rappellent la critique structuraliste, les auteurs expliquent que les sept volumes obéissent à un principe de composition en miroir, le tome 4 (La Coupe de feu) servant de pivot à l’ensemble de la saga. « Le quatrième volume occupe une place bien particulière au sein de la saga Harry Potter, étant donné qu’il en incarne le centre exact. Il est le point médian qui sépare en deux l’intégralité du cycle avec, d’un côté, l’âge de l’innocence, et de l’autre d’âge adulte (tomes cinq à sept) ». Convoquant des motifs et situations bien précis, les tomes 1 et 7 se répondent, de même que les tomes 2 et 6 ou 3 et 5.

Dès la conception de l’ensemble, J. K. Rowling (dont les auteurs proposent une courte biographie (p. 17-49 et 189-200) a placé au cœur de son écriture des préoccupations d’ordre esthétique et un souci de la composition qui peuvent expliquer le succès de son œuvre. Alors qu’elle annonçait dès le début que les sept tomes correspondraient chacun à une année dans la vie de son héros, elle s’astreignait à la répétition d’éléments et au renouvellement d’autres pour relancer l’intérêt du lecteur. Pari tenu. La saga est allée à son terme avec un succès croissant.

Une incursion hasardeuse dans la psychologie jungienne

Si la démonstration formelle présente un intérêt certain, il n’en va pas de même des incursions des deux auteurs dans les domaines de l’interprétation psychanalytique ou ésotérique. Sont convoqués successivement pour éclairer l’œuvre, Jung, Sainte Thérèse d’Avila, Erikson et Campbell. Or, la simple lecture des ouvrages de C. G. Jung ne permet pas de s’improviser psychanalyste jungien. Ainsi nos auteurs plaquent sur les aventures du jeune sorcier différents concepts qui prouvent davantage la plasticité des théories convoquées qu’une polysémie de l’œuvre dont les développements peuvent très bien s’expliquer sans toute cette lourdeur didactique. Pour analyser le premier tome (L’École des sorciers, The Philosopher Stone en anglais) David et Lucas Torrès ont recours aux stades de l’alchimie jungienne, mais ne tiennent pas compte du fait que cette alchimie à laquelle le psychanalyste de Zurich s’était intéressé constituait un long et lent cheminement visant à accomplir ce qu’il appelait l’intégration du Soi (archétype de la totalité).

L’appliquer à l’ensemble du cycle pourrait à la rigueur faire sens, même s’il semble qu’il rapporte avant toute chose la longue et difficile confrontation à l’ombre, autre archétype symbolisé dans la pensée chrétienne par le diable et incarné dans la saga par le sorcier Voldemort avec lequel le héros entretient une connexion particulière. De la même façon, lorsque les auteurs cherchent à retrouver les différents archétypes jungiens, ils le font à l’aide d’une série d’analogies fallacieuses qui ne tiennent pas compte du fait que le livre a été écrit par une femme, laquelle s’est d’ailleurs signalée par son attachement à la distinction des sexes en contestant les propos des gender studies, ce qui lui a valu des accusations de transphobie notamment.

Jung a précisément cherché comment se manifestait cette distinction, il a créé les concepts d’anima et d’animus, l’anima étant l’image de la féminité qui habite l’inconscient masculin et l’animus, l’image de la masculinité qui s’inscrit dans l’inconscient féminin. Faire d’Hermione, l’héroïne de la saga, le seul personnage susceptible de développer les valeurs de l’animus et lui prêter comme idéal de sagesse son futur compagnon, Ron, c’est parvenir à un quasi-contre sens. Les manifestations de l’animus résident dans tous les personnages masculins de la série qui, chacun à leur manière, incarnent un aspect dudit animus.

On peut aussi déplorer que les deux auteurs ne se soient pas davantage appuyés sur les travaux antérieurs déjà nombreux sur Harry Potter (Isabelle Smadja, Marianne Chaillan, Isabelle Cani…) et qui ont apporté d’utiles éclairages philosophiques ou psychanalytiques sur l’œuvre de Rowling.

La Saga Harry Potter – La Magie de la narration est un beau livre, au design ludique et soigné : couverture et mise en page imitent la présentation d’un grimoire qui s’adresse facétieusement à son lecteur. Les auteurs ont su manifester l’extrême cohérence d’une œuvre ambitieuse dont le succès a bouleversé le monde de l’édition. Certaines interprétations ne sont cependant pas à la hauteur du minutieux travail d’observation structural qu’ils ont mis en œuvre.

S. L.

David et Lucas Torrès, La Saga Harry Potter – La magie de la narration, Third Éditions, 358 pages, 29,90 euros.


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Stéphane Labbe
Stéphane Labbe